Bestiaire - La mort fouissante

La mort fouissante, d'après le manuscrit d’Abd al-Hazir (Diablo III)

Alors que je me préparais à coucher sur papier le contenu de mes pensées sur les débuts de mon épopée épique, qui consiste à rassembler tout le savoir du monde en un seul tome, la providence me fit un signe inattendu. En effet, la nouvelle qu’un fouisseur solitaire avait tué un villageois aux portes de la ville se répandait, et m’offrit l’occasion parfaite de contempler de mes propres yeux l’une des créatures les plus dérangeantes que le monde ait porté : le féroce térébrant des dunes.

Les térébrants des dunes furent chassés il y a bien longtemps des installations indigènes vers les lointaines étendues sauvages des Marches, c’est pourquoi il sont rarement vus par les citadins. Pourtant, de temps à autres, à la suite d’une blessure ou de leur âge avancé, une de ces bêtes impies s’aventure aux frontières du monde civilisé pour se régaler de la chair des frêles humains. Quand la situation se présente, un professionnel tel que Franklin Burroughs, le célèbre guide et chasseur, est appelé à la rescousse pour éliminer la menace.

Heureusement, Burroughs et moi sommes tous deux des hommes aventureux et voyageurs, et nos chemins se sont déjà croisés par le passé ; les lecteurs fidèles de mes œuvres se souviendront sans nul doute de cet homme grisonnant, véritable roc dégrossi, dépeint dans mes Chroniques de Xiansaï. Aussi le contactai-je pour me joindre à lui dans la traque de ce cauchemar fouisseur. Bien qu’il semblât tout d’abord réticent, je sais bien qu’au fond, il était content de m’avoir à ses côtés.

Nous nous rencontrâmes au crépuscule, sur les rochers sableux qui ceignent le désert de Tardein. Tandis que j’approchai, Burroughs inspectait quelque chose, accroupi sur la pierre noire. Je portai mon regard sur la matière indéfinissable qu’il examinait si intensément, mais fus incapable de l’identifier. Il leva sa main, me faisant signe d’approcher doucement. Quand je lui demandai quel était le problème, il désigna l’objet de son attention et me demanda si je voulais finir comme ce pauvre fou. Je ris alors, pensant qu’il s’agissait encore d’une de ses blagues : tout le monde savait bien que les térébrants des dunes attaquent de sous le sable, et qu’on était parfaitement en sécurité sur les rochers !

« Va donc le lui expliquer… », répondit-il.

Je regardai alors plus attentivement, et ce que je vis me retourna l’estomac. La roche trahissait le désespoir avec lequel la victime s’était cramponnée : des lambeaux de peau arrachés à ses mains et ses doigts jonchaient la roche ensanglantée.

« Ils bondissent sur ces rochers et t’emportent avec eux. Un chasseur expérimenté pourrait survivre à cette attaque, mais quelqu’un comme toi finirait en déjeuner à force de marteler le sol de tes pas comme tu le fais. » Il se mit à glousser tandis qu’il remontait vers son wagon lourdement chargé.

Rapidement (et sans bruit), je m’éloignai du bord des rochers. C’est alors que j’entendis le hurlement. Burroughs avait sorti un gros objet, une sorte de cage recouverte d’une bâche noire, de laquelle provenaient d’épouvantables émanations. D’épaisses cordes pendaient depuis un endroit situé profondément sous le voile noir. « Ce n’est pas encore assez loin. », déclara-t-il. Comme pour avérer son assertion, il se mit à secouer la cage qu’il tenait : des cris encore plus méphitiques fusèrent soudain, qui résonnèrent et percèrent dans ma tête comme autant de lames froides et acérées. Mais ce n’était rien en comparaison du son qui se fit entendre juste après – le grouillement funeste du sable qui augurait de l’approche du térébrant.

« Le son qu’ils produisent rendent les térébrants complètement fous. Mieux vaut les mettre dans le sable avant d’avoir de la compagnie en surface. » Sur ces mots, il arracha le voile de la cage. La seule vue de ce qu’elle contenait suffit à me bouleverser subitement : le monde se mit à vaciller et à s’estomper dans une sorte de gris fade et écœurant, tandis que mes genoux cédaient sous mon poids.

Alors que je m’effondrais, Burroughs me rattrapa par le col et me secoua violemment : « Tu tiens vraiment à servir de repas au térébrant, hein, al-Hazir ? », s’exclama-t-il. « N’as-tu donc jamais vu de charognards ? »

Si, j’avais déjà vu ces petites créatures fouisseuses qui se repaissent de cadavres. Toutefois, contrairement à la plupart des créatures de cette sorte, ils sont éminemment agressifs et n’hésitent pas à s’en prendre à quiconque a le malheur de croiser leur chemin. Les charognards ont des pattes musculeuses qu’ils utilisent pour bondir sur leur proie, frappant aux endroits vulnérables tels que le visage et la gorge. Leur anatomie est étonnamment semblable à celle des bondisseurs du désert d'Anaroch, c’est pourquoi de nombreux spécialistes classent les deux races dans la même espèce. Un autre spécimen ensorcelé (certains diraient démoniaque) est connu pour avoir harcelé les aventuriers dans la région de Tristram il y a une vingtaine d’années de cela. Les charognards furent également à l’origine d’un épisode traumatisant de ma jeunesse, que je ne souhaite pas aborder dans ces pages.

« Ouais. Un fouisseur pour attraper un autre fouisseur. », expliqua-t-il. Puis il empoigna les extrémités des cordes qui pendaient de la cage et les ficha dans le sol à l’aide de gros piquets. Il attacha également ce qui ressemblait à de longs couteaux sur les côtés de ses bottes lourdes et abîmées, et enfonça les lames dans le sol.

« Tu ferais mieux de prendre tes distances », me conseilla-t-il. Alors, s’agrippant aux cordes, il actionna le mécanisme d’ouverture de la porte latérale de la cage, et la jeta immédiatement sur le sable. Elle explosa littéralement sous l’effort des charognards pour se libérer de leur prison. J’eus à peine le temps de me demander comment Burroughs avait pu passer les colliers (fixés au bout des cordes) au cou de ces créatures barbares que celles-ci s’enfonçaient déjà dans le sol meuble.

À cet instant, j’étais particulièrement tendu. Je me sentais comme nu et sans défense. Quelle folie avait donc pu me faire croire que venir ici était une bonne idée ?

Je scrutais les étendues désertiques dans la lumière mourante, essayant en vain de détecter les palmes cornues si propres au térébrant, fendant la surface du sable.

Sans avertissement, le térébrant des dunes jaillit brutalement du sable alors que ses effroyables mâchoires se refermaient sur les trois charognards. Il y eut d’énormes projections de sable au moment où le monstre replongea dans le sol, emportant ses proies avec lui. Les cordes se raidirent brusquement et je crus que Burroughs serait emporté vers une mort certaine. Je ne comprenais pas comment il comptait ramener cette colossale horreur à la surface, mais il n’essaya même pas : il se contentait de tenir bon.

Après plusieurs secondes de lutte qui parurent une éternité, la corde commença à s’agiter de soubresauts étranges.

« Ah. Nos petits amis font leur boulot. », lança-t-il dans un sourire funèbre. « Ça devrait être rapide, maintenant. »

Après quelques instants énigmatiques, la corde semblait se calmer et il commença à tirer sa prise à lui. Tandis qu’elle remontait partiellement sur la roche, je compris ce qui s’était passé. Le térébrant n’avait fait qu’une bouchée des charognards, qui ont tout de suite commencé à le dévorer de l’intérieur, remontant vers l’estomac du monstre avant que les sucs digestifs ne les tuent à leur tour. L’un des charognards vivotait encore un peu, car il avait réussi à se frayer un tunnel dans la chair de son hôte, fouettant l’air de ses griffes à mesure que sa peau se dissolvait sous l’effet corrosif du liquide mortel. Je vomis.

Burroughs se moqua de moi une fois de plus, tandis qu’il découpait la tête triangulaire de la bête, et commença à me faire la leçon sur l’étonnant térébrant des dunes : la dynamique de ses protubérances, sa mâchoire inférieure angulaire capable de creuser son chemin dans le sol, la façon dont la conception de sa mâchoire lui permet de nager sans effort dans le sable avec une facilité déconcertante, et tant d’autres détails qui ne m’intéressaient pas à ce moment. Je me mis à opiner du chef faiblement et me demandai quand je pourrai m’en retourner poliment chez moi et me réfugier au fond de mon lit.

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