Fanfiction Diablo III

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La Voie du Péché

Par MagoFou#991
Les autres histoires de l'auteur

Prologue

Chapitre 1 : Premiers pas

Chapitre 2

Chapitre 3 : Héritage

Chapitre 4 : Everyday Combat

Chapitre 5 : Legendary Tales

Les torches disposées à intervalles réguliers dans le long couloir pourtant sombre projetaient au sol et aux murs les ombres mouvantes des deux hommes.
L'un, le plus petit des deux, serait apparu fluet sans l'épais manteau qui l'entourait. Ses longs cheveux roux luisaient à la faible lumière, mais les flammes qui se reflétaient dans ses yeux révélaient une passion ardente. L'homme s'arrêta au niveau d'un flambeau et sa voix résonna :

- Que sais-tu de Pierrick, Vaclav ?

L'autre individu cessa lui aussi d'avancer. Plus grand que son compagnon, il était également bien mieux bâti. Tout son corps clamait sa nature de guerrier : ses larges épaules, son torse musclé, ses mains calleuses... Il était habitué au combat. Pour l'instant, son visage reflétait une expression indécise.

- Votre fils, Sire ? répondit-il enfin.

L'empereur gloussa et un sourire espiègle illumina ses traits. Il décrocha la torche de son socle et se déplaça en fixant le mur, cherchant quelque-chose.

- Je sais ce que tu penses de mon fils, Vaclav. Je te parle du Pierrick de la légende, le démon Pierrick, comme on a plus tendance à l'appeler. Mis à part le fait que sans lui, Sanctuary ne serait peut-être pas unifié sous le joug de notre glorieuse cité d'Harrogath...
- Rien de plus que ce que tout le monde sait, Sire... Sa vie est peu détaillée, ne restent que les horreurs qu'il a commises.

Vaclav ne voyait pas où son maître voulait en venir. Il le regarda marcher le long du mur avant de le voir s'arrêter avec une exclamation satisfaite.

- Ah ! Voici ce que je cherchais.

Reculant afin de pouvoir éclairer l'ensemble de ce qu'il venait de découvrir, le souverain fit signe à son ami d'approcher.

- De toutes les tapisseries qui ornent mon palais, et Tyraël sait qu'elles sont nombreuses, c'est celle que je préfère. Qu'en dis-tu, Vaclav ?

Le guerrier s'avança et examina la trouvaille de l'empereur.

Bien qu'aux couleurs défraîchies par les siècles, la fresque restait bien entretenue et parfaitement compréhensible.

Au premier plan était brodé un vieil homme affublé des atours de prêtre, poignard en main, accomplissant quelque macabre office : devant lui se trouvait un autel où était allongée une jeune femme d'une beauté irréelle.

L'arrière plan décrivait un affrontement figé pour l'éternité : un jeune homme défiant un ange déchu, immobilisés épée contre épée. Même sur cette simple représentation, une impression de puissance se dégageait du tissu.

- Il s'agit du sacrifice de la prêtresse Jamila, récita Vaclav d'un ton las. C'est pratiquement la première chose que l'on inculque aux enfants...
- Certes, certes, approuva le roi en faisant courir ses doigts sur les peintures. Mais tu oublies ce que certains y ajoutent...
- Oui, on dit que le jeune combattant dans le fond n'est autre que Pierrick, avant qu'il ne soit rongé par la folie. Écoutez, je sais que vous prêtez foi à ces rumeurs, mais...
- Ça ne te semble pas évident ? Logique ?

Le ton de l'homme s'était fait pressant, avide, tentant de persuader son interlocuteur de la justesse de ses propos.

- On dit aussi qu'il prit part à la quête visant à détruire les Trois Premiers démons, reprit-il, et voici qu'on le retrouve dans les légendes, combattant Izual, l'ange déchu.
- Peut-être bien, mais rien n'indique que l'homme sur cette tapisserie soit Pierrick, et quand bien même, la seule chose qu'on ait retenue de lui, c'est les massacres qu'il a perpétrés.
- Voilà le point important. Comment peut-on ajouter foi à ces massacres si l'on ne croit pas les rumeurs ? N'est-il pas raisonnable de penser que seul un homme capable de renverser les Trois pourrait être responsable de ces horreurs ?
- Je ne vois pas bien où nous mène cette discussion, Sire... De toute évidence personne ne pourra nous départager...
- Ce que je cherche à te faire comprendre, c'est qu'il faut savoir regarder au-delà des apparences, plus loin que la réputation, lire les signes... Ce n'est pas un hasard si j'ai donné ce nom à mon fils. Malgré tous ses défauts je sais qu'il pourra accomplir ce pourquoi il est fait, et il ne s'agit pas d'une lubie paternelle, fit-il en riant doucement. En réalité, c'est la raison pour laquelle je t'ai demandé de m'accompagner ce soir...

Le monarque resta pensif un instant, le regard perdu devant lui, avant de déclarer sombrement :

- Je voudrais que tu t'occupes de lui...
- Comment ça ? demanda brusquement le guerrier, soudain inquiet.
- Oh ne sois pas si naïf, Vaclav, rétorqua l'empereur reprenant un ton presque joyeux. Le peuple me déteste, tu le sais bien. Même dans mon plus proche entourage, rares sont ceux à qui je peux totalement me fier...
- Je ne laisserai personne vous assassiner !
- Je sais, Vaclav, je sais... Cependant il est des forces contre lesquelles même toi tu ne pourras rien.
- Que voulez-vous dire ? Qu'avez-vous vu ?
- Le don de double vue est utile pour prévoir sa mort. Cela laisse le temps de préparer son départ... Il n'y a plus rien que je puisse faire. Le peuple nourrit trop de rancoeur envers moi, depuis trop longtemps. C'est la décadence de l'empire qui nous a menés à ce point critique. Après un demi-millénaire de paix, les démons ont enfin trouvé une brèche pour Sanctuary.
- Je vais sonner l'alarme...
- Ne sois pas idiot, gloussa l'empereur. Je te l'ai dit : il n'y a rien que tu puisses faire. Quand bien même ma mort ne serait pas inévitable, me sauver ne représenterait pas la bonne solution. Il faut du sang neuf, Vaclav. Et je compte sur toi pour faire de mon fils un souverain attentionné, aimé de son peuple, ainsi qu'un habile combattant. Je sais que ce sera sûrement difficile, ajouta-t-il en notant d'un air amusé l'incrédulité se peindre sur le visage de son ami. Mais peut-être pas tant que ça... Tu es connu et apprécié dans Sanctuary. Tu assureras la régence le temps qu'il faudra. Maintenant rentre chez toi : je dois être seul.
- Mais, Sire... Quand... ?
- Ce soir, Vaclav... Je te fais mes adieux, mon vieil et fidèle ami...


- Adieu... répéta-t-il en observant le guerrier s'éloigner.
On se fait beaucoup d'illusions sur l'identité des héros qui défirent les Trois. En réalité, rien ne laissait présager de leur destinée. Leur coterie n'était composée que d'un vieillard loufoque, un paladin collectionneur d'oreilles et au passé de pervers, un loup mangeur d'enfants, une assassin brisée par sa formation, une jeune ensorceleuse au coeur déchiré entre deux hommes, une amazone belliqueuse, un maître d'arme barbare totalement idiot, et un monstre poilu au rire fort désagréable. Sans oublier, évidemment, un jeune étranger possédé par une puissance terrifiante...
Deckard Cain, dernier Horadrim de l'ère post-démoniaque.



Une brèche s'ouvrit au fond d'une grotte, dans les profondes entrailles du Mont Arréat. Ce fut tout d'abord une simple ligne incandescente au milieu de la cavité rocheuse. Puis, la magie aidant, cela devint une fente, une écorchure rougeoyante, avant de se muer en une plaie béante, portail flamboyant d'où s'échappa un être immense.

De forme humanoïde, il mesurait plus de trois mètres de haut. Son corps massif et couvert d'écailles brunes dégageait une chaleur infernale, communiquée à l'épée titanesque qu'il tenait dans sa main droite. Son énorme crâne le faisait ressembler à un taureau maléfique, ses naseaux fumants étaient affublés d'un anneau hérissé de pointes et son front s'ornait de deux cornes noires enroulées sur elles-mêmes.

Le démon inspira longuement, semblant profiter pleinement de cet instant jouissif : celui où il rejoignait enfin Sanctuary après des siècles d'emprisonnemement dans les plans infernaux.

Il s'avança d'un pas pesant. Derrière lui apparurent bientôt deux créatures ailées, sorcières corrompues dont le corps aurait pu être gracieux sans les chaînes qui les ceignaient et l'aura funeste qui les nimbait.
Suivirent cinq squelettes aux orbites enflammées, armés de haches ou d'épées ébréchées.

Sans émettre la moindre parole, le minotaure s'avança dans l'ombre de la caverne uniquement éclairée par le portail encore présent et les flammes qui consumaient les démons. Suivi par ses sbires, il parcourut moins d'une centaine de mètres sous la montagne avant de sentir du mouvement dans l'ombre.

Une forme allongée surgit de la pénombre dans un bond fulgurant, entraînant avec elle un squelette, les os se disloquant sous son poids. L'animal se releva et se tourna vers les démons en grondant sourdement. C'était une louve blanche.

Trois de ses congénères avancèrent prudemment hors de l'obscurité, les babines retroussées sur des crocs impressionnants.

Le beuglement du minotaure ébranla la caverne, faisant s'effondrer des morceaux de paroi, alors que ses monstres entraient en action, déclenchant un enfer de sortilèges.

La louve fondit sur un autre squelette, esquivant de justesse une hache qui manqua lui mordre la gorge. Ses griffes percèrent le thorax et ses crocs allaient se refermer sur les vertèbres lorsqu'une violente brûlure au flanc gauche l'envoya rouler contre la paroi.
Elle secoua la tête, se releva en tentant de repousser la douleur qui irradiait ses muscles. La sorcière qui venait de la blesser était tournée vers elle, traçant des arabesques dans l'air afin de lancer un nouveau sort.

L'animal blanc blanc prend son élan, bondit vers la magicienne impie. Trop tard. L'incantation de la démone s'achève et libère une sphère d'énergie flamboyante. Les flammes se ruent à la rencontre de la louve. Puis tout se fige. Un étrange silence s'installe autour d'elle. Elle flotte dans une bulle magique créée par la deuxième sorcière, se mouvant avec une lenteur extrême. Les secondes s'égrènent fatalement, chaque mesure, chaque pulsation, la rapprochant lentement mais inexorablement du feu maléfique. Derrière le sort, son adversaire est également prise dans la toile magique. Une panique sans nom s'empare alors d'elle, mais ses mâchoires et son souffle ne lui permettent pas de proférer le moindre son.

Le bruit revint brutalement. Et avec lui la vitesse. Au même instant les flammes disparurent et une plainte retentit. Un loup s'était lancé vers l'énorme boule de feu pour épargner sa congénère. Avant même qu'il n'ait atteint le sol, le minotaure le frappa de sa lourde épée, l'envoyant percuter violemment la paroi de la grotte. L'animal s'effondra sur la pierre froide, le poil fumant sinistrement.

La louve blanche termina sa course en plaquant la sorcière au sol avant de plonger ses crocs dans sa chair démoniaque. Elle déchiqueta son ennemie avec une avidité nourrie par la frayeur qu'elle ressentait encore. Sa furie fut stoppée par une douleur effroyable à la gorge. Le sang noir et visqueux était empoisonné.

Déjà ses pattes faiblissaient et sa vue se brouillait. Elle entendait vaguement le pas lourd du minotaure s'approcher d'elle, mais ne put voir la lourde épée se lever pour la frapper.

Un hurlement bestial arrêta le geste du démon. Un ours, presque aussi grand que lui, venait d'apparaître. Une telle puissance émanait de lui que le démon délaissa sa victime désormais inintéressante pour accorder toute son attention au nouveau venu.

Le taureau maléfique leva son épée tenue à deux mains pour l'abattre avec toute la force dont il disposait sur son nouvel adversaire.

L'ours fut plus rapide.

Son énorme patte balaya le monstre comme s'il s'était agi d'un frêle squelette. L'animal poursuivit sa proie à terre, frappant et frappant encore, plantant ses crocs dans le cuir épais de la bête et lacérant son ennemi de ses griffes.

Le minotaure roulait des yeux affolés, poussant des beuglements d'incompréhension, de la bave lui coulant des lèvres. Le poids de l'ours le plaquait au sol et chaque choc ébranlait tout son squelette. Dans un effort ultime il parvint à repousser violemment l'ours, de toute la puissance de ses jambes démoniaques, l'envoyant heurter la paroi rocheuse.

Le grand démon profita du fait que son adversaire était sonné pour se relever. Il entreprit une fuite désordonnée, trébuchant à chaque pas, haletant. Sans plus faire aucun cas de ses sbires à présent décimés, il se dirigea maladroitement vers le portail encore ouvert. Une fois qu'il l'eût franchit le passage se referma, ne laissant la grotte éclairée que par les flammes encore présentes sur les squelettes désarticulés. Il ne restait plus de démons vivants.


L'ours reprit forme humaine. Un rapide coup d'oeil vers ses compagnons lui apprit qu'ils avaient la situation en main.
- Je vais prévenir les autres, déclara-t-il avant de s'éclipser au pas de course.
La louve blessée s'était muée en une jeune fille d'une vingtaine d'années. Malgré son jeune âge elle arborait une chevelure d'un blanc immaculé. Un homme plus âgé la soutenait, lui tendant de temps à autres une fiole remplie d'un fluide rouge. Soulagé de voir que son amie se remettait, il se tourna vers le fond de la caverne et croisa le regard désolé d'un autre homme qui secoua lentement la tête en disant :
- Ilak ne s'en est pas tiré...
Accusant le coup, son camarade ne laissa pas la peine le déborder.
- Il faut ramener son corps au clan, répondit-il d'un ton grave. Je m'occupe d'elle, ajouta-t-il en montrant la jeune fille affaiblie.

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Le jeune homme courait dans les ruelles sombres. Ses longs cheveux blonds et brillants dégoulinaient de sueur et ses kilos en trop tressautaient, flasques, à chacun de ses pas. La respiration sifflante, il s'arrêta enfin pour reprendre son souffle, s'appuyant au mur d'une maison.
D'autres pas, plus légers et plus nombreux que les siens, retentirent dans la nuit. Soupirant, il voulut reprendre sa course, mais deux silhouettes se découpèrent dans l'ombre devant lui, lui coupant la route. Lorsqu'il se retourna, il vit que toute retraite lui était de même interdite.

Avant qu'il n'ait pu réagir, un poing le cueillit sur sa joue droite, le jetant à terre. Sa graisse amortit le choc, mais il n'en eut pas moins le souffle coupé par l'atterrissage. Quand il voulut se relever en s'aidant de ses mains, ignorant le goût amer du sang qui lui coulait dans la bouche, un pied vint s'appuyer sur son dos et une voix pleine de morgue retentit :

- Alors blondinet, on en a assez de courir ? Tu es peut-être fatigué ? Faut dire qu'un peu de sport te ferait pas de mal, hein ? Faudrait penser perdre tout ça !

Un violent coup de pied le frappa au flanc, le forçant à cracher le sang qu'il gardait dans la bouche. La douleur irradia tout son côté droit, lui arrachant des larmes de rage.

- Mon père... grogna-t-il entre ses dents douloureuses.
- Oh ? Qu'est-ce que j'entends ? feignit de s'étonner l'agresseur. On appelle Papa ? Vous entendez ça les gars ? Le petit Pierrick appelle son père à l'aide !

Des rires retentirent autour de lui, sans qu'il sache combien étaient les personnes qui l'entouraient.

- Ton père s'occupe aussi bien de toi que de Sanctuary, tout le monde sait ça ! cracha la voix.

Semblant à court d'arguments, l'homme frappa à nouveau, et encore, et encore, bientôt imité par ses compagnons.

Avant que Pierrick ne sombre totalement dans l'inconscience, il entendit les cris. Des hurlements abominables qu'aucun humain ne saurait pousser. Leur seul effet bénéfique fut de disperser les agresseurs. Alors le jeune homme s'évanouit, tremblant de douleur et de haine.

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Des rires l'entouraient. Des enfants pour la plupart, heureux pour une raison quelconque. Tout cela ne l'intéressait pas. Il regardait les boules de papier voler d'un enfant à un autre sans les voir réellement.

Soudain un projectile le frappa au visage.

Alors tout s'éteignit. Plus un bruit, plus un mouvement n'était perceptible, hormis celui des poitrines se soulevant et les battements sourds et accélérés des coeurs.

Il se pencha lentement et ramassa le morceau de papier froissé qui l'avait percuté. Son regard parcourut la salle dans laquelle il se trouvait. Le fautif n'était pas difficile à repérer : il se retrouvait seul, tout le monde s'étant écarté de lui, de peur des représailles.

Ce n'était qu'un enfant, n'ayant certainement pas encore vécu une décennie, et pourtant il comprenait toute la précarité de sa position. Tremblant, il tentait vainement de prononcer des excuses, mais aucun son ne semblait vouloir passer ses lèvres.

Alors il se leva, et avança. A chacun de ses pas, le jeune garçon se recroquevillait un peu plus, voyant marcher vers lui l'immense silhouette sombre, enveloppée du grand manteau noir que tout le monde connaissait de réputation.

Lorsqu'il arriva à sa hauteur, l'enfant n'était plus qu'un tas informe de chair et de vêtements tremblant de peur. Pourtant, l'homme lui lança seulement son morceau de papier, sa voix étonnamment calme s'élevant pour la première fois de la soirée :

- Tu as perdu ça, je crois.

Puis, sans attendre de réaction, il sortit.

Le soulagement qui saisit le petit garçon était tel qu'il lui tira les larmes qui n'avaient pas encore voulu couler. Des rires s'élevèrent à nouveau autour de lui, comme une soupape qu'on ouvrait pour évacuer le trop-plein de pression.

Reconnaissant, il baissa les yeux vers l'objet qu'il tenait encore dans ses mains.

Son cri retentit horriblement lorsque, une à une, les huit pattes d'une araignée enflammée sortirent des plis du papier.
L'empereur Kieel fut certainement le plus haï de l'histoire de l'empire. Du moins le fût-il jusqu'à ce que son fils récupère le trône...
Document historique, source inconnue.


- Par les sacrées couilles flamboyantes de Tyrael ! Elvan !

Les beuglements retentirent dans la petite église du sud d'Harrogath. Les gens se trouvant à l'intérieur assistaient à l'étonnant spectacle du prêtre se mouvant dans la masse des croyants, s'arrêtant parfois pour répondre à quelque pieuse question, mais gardant toujours comme objectif d'atteindre le jeune homme à l'entrée de la chapelle. Jeune homme dont il hurlait d'ailleurs le nom à intervalles plus ou moins réguliers.

- Elvan ! Sacré foutu nom de Lui !

Il ralentit un instant pour répondre à une petite dame qui l'interpellait :

- Mais non madame vous n'irez pas en Enfer pour l'avoir forcé à manger sa soupe ! Foutez-lui une ou deux baffes pour qu'il apprenne ! Elvan !

Ayant enfin réussi à traverser la masse de fidèles, l'homme s'arrêta près de son vis-à-vis. C'est pourtant sans baisser le ton qu'il continua d'exprimer toute sa colère :

- Combien de fois, Elvan ? Combien de fois je devrais t'en coller une pour que ça rentre ?
- Vous n'êtes pas mon père, répondit laconiquement l'intéressé.
- Oh, pour ce que t'en sais, ta mère aurait très bien pu faire partie des nombreuses pucelles que j'ai culbutées pendant mes croisades dans l'est !

Le père Gernst était un véritable colosse, si bien que sa soutane s'étirait douloureusement à ses épaules et sur sa poitrine, menaçant de se rompre au moindre mouvement. Originaire du nord de la cité, il avait hérité de la corpulence et du caractère barbare. Il s'était pourtant tourné, dès son plus jeune âge, vers le Zakarum qu'il avait servi en tant que paladin pendant toute sa jeunesse, passée pour la plupart à guerroyer dans Scosglen contre les druides hérétiques. Ce n'est que récemment, l'âge aidant, qu'il avait récupéré cette église où il faisait régner malgré tout un ordre et une ambiance militaires.
Ses paroles, Elvan le savait, tenaient plus de la colère que de la véritable volonté de blesser. Il y était habitué et ne s'en formalisa pas.

- Mon père était un mage, et je l'ai connu...
- Justement, maugréa l'homme d'église, on penserait que plus jamais un homme ne voudrait se tourner vers les arcanes, après ce qui est arrivé avec ce démon, Pierrick... Il se signa en proférant ces mots. Mais enfin Elvan, une araignée enflammée !
- Bah, le gamin n'en est pas mort, que je sache. Il a juste eu un peu peur...

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- Mort !

La femme était atterrée. Allongée en sanglots sur le corps mutilé de son fils.

- Je suis désolé, Ilam... murmura le druide qui avait porté le cadavre de son compagnon jusqu'à la caverne du clan. Ilak s'est sacrifié pour nous sauver...

Les deux hommes étaient rentrés en bien triste état : l'un charriant un mort et l'autre un corps qui ne valait pas mieux.

L'homme se dirigea vers son confrère, qui avait ramené la jeune fille blessée.
- Élias, demanda-t-il, comment va Jamila ?
- Elle se remet doucement, répondit l'intéressé tristement. Le sang de ces sorcières est une vraie pourriture !

Le visage de la druide, malgré le fait qu'il fût enveloppé de cheveux blancs, paraissait plus pâle encore. Pourtant elle était éveillée, bien que trop faible pour faire plus qu'observer les alentours.
Et ce qu'elle observait, c'était son frère. Son puissant frère, qui était venu les sauver alors qu'ils étaient sur le point de mourir.
Elle l'apercevait dans une des salles naturelles qui composaient leur réseau de cavernes sous la montagne. Il était en train de faire son rapport au conseil et, bien qu'elle ne l'entendît pas, elle voyait son visage tendu.

- Comme vous l'aviez prévu, disait-il, des démons. Moins d'une dizaine, faibles pour la plupart, mais il y avait un des lieutenants d'Azmodan. Si je n'étais pas arrivé à temps il les aurait tués...
- Nous te sommes reconnaissants d'avoir repoussé une nouvelle attaque, Thann. Tes exploits contribuent à préserver ce monde.
- Mais à quoi bon ? s'emporta le jeune druide. A quoi bon continuer ? Un de mes amis est encore mort là-bas. Et pour quoi ? Pour protéger quoi ? L'empire ? Kieel nous a bannis. Que lui devons-nous ?
- En effet...

La vieille chamane du conseil s'était penchée en avant. Des rides centenaires ombraient son visage parcheminé, lui donnant un air fantomatique dans la lueur vacillante du feu.

- Nous nous posons tous la même question, reprit-elle doucement. Pourquoi défendre un empire qui nous rejette ? Pourquoi défendre un empereur qui nous refuse ? Mais contrairement à toi, nous avons poussé le raisonnement plus loin. Imagine-toi empereur de Sanctuary. Tu es mage et prévois le futur. Qu'y vois-tu ?
- Comment le saurais-je ? maugréa Thann.
- Tu y discernes la guerre, le désespoir, la mort... Mais aussi une lueur, si faible qu'on n'espère même pas la reconnaître, de peur que cela suffise à l'éteindre. Pourtant le temps passe et cette étoile persiste, malgré les ténèbres qui s'étendent, tentant de l'étouffer.
- Je ne vois pas...
- Alors laisse-moi finir, répliqua sèchement l'aïeule. Tu veux te retenir, mais l'espoir fait tout de même son chemin dans ton esprit. Pourtant, cette lumière, si tu la vois, alors ton ennemi ne sera pas aveugle non plus.
- Et en effet, raisonna lentement Thann, vous en avez eu vent...
- Ne sois pas stupide mon garçon, le rabroua un vieil homme dans l'ombre. Nous ne sommes pas les ennemis de l'empire.
- Tu dois donc tout faire pour détourner le regard de l'adversaire. Voilà où nous arrivons. Il faut berner les démons, les envoyer sur une fausse piste. Voilà pourquoi nous avons été bannis, il y a plus d'un siècle de cela.
- Je crois que je comprends... Pour détourner les soupçons de nous, l'empereur nous a rejetés...
- C'est plus subtil que ça. Si Azmodan est perfide, il n'est pas idiot pour autant. Il sait que Kieel a vu l'espoir. Voilà pourquoi nous sommes là. Le Seigneur du Péché est à notre recherche, il veut nous détruire.
- Mais...
- Tu n'as toujours pas compris, Thann ? la femme avait à présent le regard enflammé. Nous ne sommes qu'un leurre. Un leurre destiné à détourner le regard d'Azmodan du véritable élu. Voilà pourquoi nous nous battons. Pas pour l'empereur, ni pour l'empire, mais pour donner une opportunité à l'élu de surgir et de détruire Azmodan !
- Kieel a bien manoeuvré, concéda un autre ancien. Il savait que, selon notre code, nous n'irions pas à l'encontre de son plan.
- Et c'est ça ? s'écria Thann. C'est pour ça que nous nous battons ? C'est pour ça que nous mourons ? Alors nous ne sommes rien de plus que des jouets !
- Calme-toi mon garçon ! Notre peuple est fier d'agir comme il le fait. N'oublie pas que nous avons pour mission de protéger ce monde des démons. Kieel l'a compris aussi et s'en est servi. Hais-le si tu le désire, mais ne remets pas en cause notre décision !

Le jeune druide resta un moment sans parler, si bien qu'un membre du conseil concéda à lui faire un dernier aveu :

- Encore une chose, Thann : cette nuit, Kieel est mort...

_______________


- Mort ! Ton père est mort ! Et il m'a demandé de faire de toi un homme digne de porter son titre !

Vaclav était excédé. Ce gros blond fainéant n'avait même pas tenu cent mètres. Il lui fallait perdre cette graisse immonde et acquérir quelques capacités de combat, mais l'entreprise semblait vouée à l'échec.

Pierrick était effondré, moins par la nouvelle de la mort de son père que par la fatigue et les crampes qu'il avait obtenues en tentant de courir, poursuivi par les rires et les insultes des hommes d'armes. De plus, cette épreuve lui était imposée avant même le lever du jour, et la seule lumière qu'il percevait était celle dispensée par la lune. Comme à son habitude, sa seule défense avait été d'implorer le nom de son père.

Vaclav ne l'aimait pas. Pourtant il n'était pas si injuste que Pierrick pouvait le penser à cet instant. Le maître d'armes avait vertement tancé ses hommes : qu'il soit blond et gras n'ôtait pas au fils de Kieel son nouveau titre d'empereur pour autant. Seul son statut de régent et de pseudo éducateur accordait au barbare cette autorité.

Le jeune homme sentit un objet dur atterrir sur lui. Il ne broncha pas, tentant simplement de reprendre son souffle. L'objet roula de son dos graisseux jusqu'au sol où il put l'apercevoir : Vaclav venait de lui envoyer un bâton.

- Suis-moi.

Pierrick ne bougeant toujours pas, le barbare retint un soupire et interpella un homme :

- Traine-le à l'arène.

Le soldat acquiesça. Quand son capitaine était de cette humeur, il ne valait mieux pas discuter ses ordres.

Ils se mirent à deux pour relever Pierrick, toujours amorphe, et si l'effort n'était pas un problème pour les deux barbares entraînés, le manque flagrant d'enthousiasme du jeune homme n'aidait en rien.

Arrivés dans une arène sableuse, ils aperçurent Vaclav, le torse bronzé et couturé de cicatrices, à moitié dénudé au centre du cercle délimité par des gradins. Obéissant à un signe de leur capitaine, les deux hommes laissèrent tomber leur fardeau qui s'affala sur un des bancs normalement réservés au public. Le chef barbare observa un instant le tas informe qui s'apitoyait encore sur son sort. Si encore il avait été en train de pleurer son père... Il prit une grande inspiration pour calmer sa colère.

- Finalement, dit-il à l'intention de Pierrick, tu ne t'entraîneras pas aujourd'hui. Mais je veux que tu observes ce que je vais faire. C'est ce que tu devras être capable de réaliser quand nous en aurons fini avec toi.

Alors que le jeune empereur lui jetait un regard fatigué mais curieux, Vaclav fit signe à quatre de ses hommes de s'approcher de lui. Tous tenaient une longue épée. Quand ils furent prêts, le colosse attrapa un bandeau qui pendait à sa ceinture et l'enroula autour de sa tête, masquant ses yeux.

Dans l'arène, plus un bruit ne se faisait entendre. Tous savaient ce qui arrivait et ne voulaient rien manquer de ce rare spectacle. Vaclav ne tenait pas d'arme et il allait combattre, en aveugle, quatre des ses hommes armés.

- Allez !

L'ordre était un signal de départ. Avec une vitesse que ne laissaient supposer les muscles de ces hommes, le quatuor s'élança avec un synchronisme parfait vers leur capitaine qui demeurait immobile, apparemment inconscient du danger qui se profilait autour de lui.

Ils avaient choisi de lancer une attaque en forme de croix. Deux horizontales et deux verticales, se croisant sous les côtes du barbare. Une technique rapide et mortelle...

Pourtant, à l'instant où il allait être touché par l'acier acéré, Vaclav fit un pas. Que ce soit de la chance ou non, il venait d'esquiver ces coups de taille. Mais la réaction de ses hommes fut vive, car ils savaient leur capitaine capable de ces prouesses. D'un puissant revers, ils tentèrent d'atteindre des points spécifiques du corps de Vaclav qui leur tournait alors le dos. Une des lames visait la nuque, deux autres était dirigées vers ses reins et la dernière voulait lui trancher les jarrets.

Encore une fois, Vaclav n'eut qu'un pas à faire. Il n'était même pas tendu. Tous ses muscles étaient relâchés et sa respiration était calme. La faible lueur des torches lui donnaient l'air d'un fantôme, se déplaçant sans but et tenant en échec les efforts faits pour le capturer.

Alors que les lames fondaient encore une fois sur lui, il fit un bond en avant, tourna sur lui-même en l'air et présenta son dos, horizontalement, aux épées encore tendues vers la position qu'il occupait un instant plus tôt. Semblant en parfaite harmonie avec son environnement, il se rétablit en souplesse, pour se propulser sur le côté, pressentant une nouvelle attaque.

Le rythme s'accéléra, les soldats étant à présent sûrs que leur capitaine était bien échauffé. Ils attaquaient sans relâche, en une unité bien rodée, portant des coups vicieux, encerclant leur adversaire, frappant avec une violence féroce. Le capitaine ne contre-attaquait pas. Avec maestria il tournoyait, forçant ses attaquants à se démener, à déployer leurs techniques les plus viles, en vain. Une chorégraphie répétée des centaines de fois n'aurait pas eu cette beauté. Avec souplesse, l'homme déjouait les attaques de ses adversaires, ne s'échappant qu'à l'ultime seconde, sans aucun mouvement inutile, n'offrant aux lames assoiffées que de l'air à happer.

Enfin, il entra en action.

Un des attaquants se fendit, visant le centre du large abdomen de son chef. Vaclav fit un pas vers l'homme, tourna sur lui-même et, d'une pression sur le poignet, entraîna son soldat dans un cercle dont il était le maître. Alors qu'il était au sommet de son déséquilibre, l'homme rencontra le poing de son capitaine avec une telle vitesse qu'il en lâcha son épée *. Poursuivant son mouvement, Vaclav attrapa la garde de l'arme, continua sa rotation, para une lame qui se tendait vers lui, lança la garde de son arme dans la mâchoire de son agresseur, s'empara d'une seconde épée, toujours tenue par son propriétaire, avec son autre main et s'immobilisa enfin.

Plus un mouvement. La pose des soldats était presque cocasse. L'un d'entre eux se tenait le visage à pleines mains. Un autre était en extension, tenant la garde de son épée qu'il ne pouvait lâcher, ses mains étant enserrées dans l'étau puissant qu'était la poigne de Vaclav. Enfin, les deux derniers n'osaient faire un pas, chacun ayant une lame appuyée contre la gorge.

Vaclav resta ainsi un instant, puis se détendit. Il relâcha ses épées, se redressa et enleva son bandeau. Laissant ses hommes se reprendre seuls, il fit signe à ceux qui encadraient Pierrick de le suivre. Ils traversèrent plusieurs couloirs souterrains. Les murs de pierres grossières étaient éclairés par des torches, mais la lumière blafarde du jour commençait à poindre au travers de percées dans le plafond, bien que le soleil ne soit pas encore vraiment levé. Ils arrivèrent alors dans une allée plus large et de chaque côté étaient creusées des espèces de petites grottes circulaires d'environ trois mètres de diamètre pour à peine plus de haut. Leur sol était tapissé d'un épais feuillage dont l'origine était inconnue, aucun arbre ne poussant dans ces grottes. Et en leur centre s'élevait un épais poteau de bois, solidement ancré dans la pierre et montant jusqu'au plafond où étaient creusées plusieurs ouvertures. A environ cinquante centimètres du haut, un trou horizontal était percé dans le bois et une barre le traversait.

Vaclav s'avança vers la grotte, ôta ses bottes et marcha sur l'épais humus. D'un bond il attrapa la barre et se hissa à une hauteur respectable. Enserrant le poteau de ses puissantes jambes, il retira l'axe de son trou et le projeta hors de la cavité. Il ne tenait plus que par la force de ses jambes.

- Le soleil se lève, souffla-t-il sans sembler peiner. Regarde l'entraînement que tu devras t'imposer.

Alors que les rayons lumineux commençaient à percer par les orifices, la végétation commença à se mouvoir au sol. De longues tiges sombres commencèrent à s'élever dans un grincement aigu. Les lianes couvertes de petites pustules dégoûtantes semblaient gémir d'envie en serpentant vers le fou qui osait s'aventurer dans leur antre. A mesure qu'elles grandissaient, il devenait évident aux observateurs que Vaclav était trop bas pour être hors d'atteinte. Or, sa tête frôlait déjà le plafond. Voyant cela, il étendit son dos au-dessus du vide, se retrouvant, toujours maintenu par ses jambes, à l'horizontale. Il avait maintenant un bon mètre de marge au-dessus de lui. Sans effort apparent, il grimpa jusqu'à presque toucher la paroi rocheuse, son corps obstruant certains trous.

- Que font ces plantes ? hasarda Pierrick.
- Elles s'enroulent autour de tes membres et occasionnent d'affreuses plaques de démangeaison, expliqua un soldat. Le capitaine Vaclav va rester comme ça jusqu'au crépuscule. Quand le soleil sera couché, alors les plantes se rendormiront.

Le jeune empereur regarda la scène d'un air indifférent avant de s'exclamer :

- J'ai vraiment envie de manger !



* : Pour les amateurs d'Aïkido, c'est un Kokyu nage sur la forme Kote Gaeshi, sur une attaque Chudan Tsuki, mais peut-être un peu violent...
Les druides furent officiellement bannis en l'an 397 de l'ère post-démoniaque. L'empereur Kieel, tout juste couronné, déclara que leur impiété face à l'archange Tyraël était impardonnable. Il organisa de nombreuses croisades à leur encontre, s'enfonçant au plus profond de Scosglen afin d'éradiquer ce peuple. Les pertes des deux camps furent si lourdes que peu à peu l'armée de Tyraël, comme on les appelait, perdit foi en son leader. La haine à l'encontre de Kieel s'explique en partie par son manque d'humanité durant cette période, poussant ses troupes à l'extrême, les engageant dans des missions suicidaires. Mais plus encore c'est son pouvoir que les gens craignaient. Intouchable, aussi impitoyable qu'il se montrait, Kieel ressemblait au démon Pierrick qui avait marqué l'histoire de Sanctuary de son sceau sanglant. Le fait que l'empereur donne ce nom à son fils n'améliora en rien son image.

Auteur inconnu.



- Pompe !
- Pompe !
- Pompe !

Avec une régularité parfaite, la voix de Vaclav s'élevait dans la nuit. Il marchait lentement devant la ligne formée par ses hommes. Tous avaient les pieds appuyés contre le mur d'enceinte et les mains posées dans le sable. A chaque exclamation du capitaine ils descendaient puis poussaient, et recommençaient sans fin*. Tout au bout de la file, un gros garçon blond faisait ses pompes debout, les mains appuyées sur le mur.

Chacun de ses faibles mouvements lui arrachait un râle. Comment osait-on lui infliger une telle humiliation ? A quoi avait pensé son père en confiant son éducation à ce monstre nordique ?

Après ce qui lui sembla une éternité, les bras pendant le long de son corps, Pierrick fut mené dans l'arène de sable où Vaclav avait fait sa démonstration le premier jour. Là tous les hommes se regroupèrent en groupes de trois, l'un se bandant les yeux et tentant de se défendre face aux deux autres à l'aide d'une épée de bois. Le jeune empereur était quant à lui toujours placé avec un seul adversaire. Maintenant habitué - cela faisait une semaine qu'il subissait ce traitement - le garçon se recroquevilla au sol, les bras protégeant au mieux sa tête, sans voir le regard méprisant que lui jetait le soldat.
Habitué ou non, le moment était toujours désagréable. Les coups se mirent à pleuvoir, heurtant ses bras, ses flancs et ses épaules. Les gémissements de douleur qu'il laissait échapper n'attendrissaient pas son bourreau. Que n'aurait-il donné pour s'évanouir...

Finalement la torture prit fin, le laissant effondré, des larmes de rages coulant sur ses joues. Essuyant rapidement son visage, il se redressa tant bien que mal. Il savait ce qui arrivait à présent. Les soldats allaient se séparer en deux groupes. Les plus entraînés se dirigeraient vers les cavernes où dormaient ces plantes infâmes, alors que les autres iraient manger leur premier repas de la journée, alors que le soleil se levait à peine.
Pierrick suivit évidemment le second groupe. Pourtant cette perspective n'avait rien d'attirant, bien que de tout ce qu'on lui infligeait ici, les repas étaient le moins pénible. Il lui semblait qu'à chaque fois il ingurgitait une ridicule portion d'une bouillie sableuse qui rappelait la boue des porcheries. Il en eut assez.

- Ça suffit ! cria-il d'une voix trop aiguë.

D'un geste il balaya son bol de terre cuite qui alla se fracasser au sol. Les regards se tournèrent vers lui. Vaclav s'approcha.

- Ça fait une semaine que je suis maltraité au milieu de toutes ces brutes puantes ! Mon père est mort ! C'est moi l'empereur maintenant ! Je veux qu'on m'apporte quelque chose de correct à manger, qu'on me serve dans mes appartements avec le service de luxe ! Et je ne veux plus être forcé à faire tous ces exercices ridicules ! Je suis votre empereur et j'attends qu'on me traite de la sorte !

Le silence retomba. Vaclav toisa le jeune homme avec une colère contenue.

- Tu as raison, répondit-il trop calmement. Ton père est mort et tu dois être désigné empereur. Dans ce cas tu dois être mis au courant de la situation. Des démons commencent à surgir de partout, non seulement en dehors mais également à l'intérieur de nos frontière, jusque dans notre belle cité d'Harrogath. Nous faisons ces exercices ridicules afin de pouvoir résister à leurs attaques. Toi tu dois succéder à ton père, et sache que tu n'es pas aimé à Harrogath, pas plus qu'il ne l'était. Depuis une semaine, nous avons déjà déjoué trois attentats visant à t'assassiner. La plupart des gens semblent penser que n'importe qui serait meilleur que toi à la tête de l'empire.

La voix toujours calme du barbare sonnait comme un glas. Toutes les personnes présentes au réfectoire, servantes et cuisiniers compris, observaient attentivement la scène.

- Alors, empereur, reprit Vaclav, qu'ordonnes-tu à ton armée ?
- Je... bafouilla Pierrick, paniqué. Je ne sais pas ! Tuez les démons et les traîtres ! Ne me mêlez pas à ça !

Vaclav soupira, se retourna et se mit à avancer vers la porte.

- Tu n'es pas notre empereur, lâcha-t-il. Repose-toi aujourd'hui, l'entraînement reprendra demain avant l'aube..

A ces mots, tous les soldats présents dans la salle se levèrent comme un seul homme, négligeant ce qui leur restait à manger, et suivirent leur capitaine hors du réfectoire.

- Qu'est-ce que vous faites ? s'écria Pierrick. Revenez ! C'est de la trahison ! Je vous ferai tous enfermer !

Ses cris retentirent un instant dans le silence apeuré qui régnait à présent. Essouflé, le coeur battant la chamade, le jeune homme jeta un regard autour de lui, espérant vaguement que quelqu'un était resté. Mais les seules personnes encore dans la salle étaient des domestiques qui l'observaient d'un air indécis.

Alors il partit, courant presque, vers ses appartements. Ironie du sort, ils étaient situés dans les étages supérieurs du palais et il y arriva éreinté et trempé de sueur. Sans prendre le temps de se dévêtir, il s'écroula sur son lit, le corps tremblant légèrement. Il ne méritait pas cette vie... Toute sa jeunesse il avait été pourchassé par des gens jaloux de son ascendance, et maintenant que son père était mort, c'était au tour de Vaclav de le torturer... Tyrael n'avait-il donc aucune pitié ?

Pierrick sombra alors dans une étrange torpeur, mélange de sommeil agité et de veille fiévreuse. Le visage autoritaire de son père lui apparut à plusieurs reprises, parfois accompagné de ceux de ses anciens bourreaux. Puis son esprit se concentra sur l'image d'une magnifique jeune femme. Alors qu''il tentait de mieux percevoir ses traits, tant elle était belle, sa vision se fit floue, l'empêchant de discerner autre chose que sa bouche aux lèvres charnues et la peau légèrement foncée de son parfait visage. Comme hypnotisé, il vit les lèvres bouger sans entendre le son qu'elles produisaient, puis il réussit à saisir un murmure quasi inaudible.

- Pierrick...

Alors il s'éveilla. Ne comprenant d'abord pas où il se trouvait, il lui fallut quelques instants pour se souvenir de ce qui lui était arrivé. Le soleil se couchait et il avait dormi toute la journée. Une étrange sensation le tenait, comme un appel à la fois doux et insistant. Il se leva et se dirigea vers sa fenêtre. La lune qui apparaissait était pleine, illuminant Harrogath de sa lumière éthérée. La ville semblait si calme dans le silence nocturne.

Le soleil disparaissait totalement lorsqu'il sentit une légère vibration dans l'air, se répercutant jusqu'au plus profond de son être. Une mélopée surgit alors du silence, si faible qu'il doutait presque de ses sens, et pourtant il en émanait une impression d'éternité...
Comme par enchantement, toutes ses tensions disparurent, son esprit redevint clair. Il put prendre une grande inspiration et pour la première fois depuis bien longtemps, un sourire éclaira son visage. Il était apaisé.

_______________


La serrure rougeoya dans la pénombre. S'ensuivit un faible sifflement accompagné d'un nuage de fumée. La porte était ouverte. Elvan pénétra silencieusement dans le manoir, suivi de ses deux acolytes. Il avançait d'un pas déterminé, sachant parfaitement où aller. Pas une fois, son regard ne s'attarda sur les riches tapis ou les ornements fixés aux murs. Les deux hommes qui le suivaient se montrèrent d'abord déboussolés, mais la renommée d'Elvan parlait pour lui. Il devait y avoir ici un objet bien plus précieux et leur avenir à tous en serait assuré. Le jeune homme s'arrêta bientôt devant une belle étagère. Il recula de quelques pas pour l'admirer à la lumière de la lune, perçant par les fenêtres. Le meuble était finement ouvragé et s'élevait jusqu'au plafond. Au dernier niveau trônait une sphère qui laissait de temps à autres apparaître des reflets scintillants.

- C'est là que j'ai besoin de vous, Don, Lore, murmura Elvan. Vous allez devoir grimper l'un sur l'autre pour attraper ça.

Les deux hommes se regardèrent. La raison de cette requête était évidente : chacun d'eux dépassait Elvan d'au moins deux têtes et possédait une musculature capable de supporter le poids de l'autre.
Ils s'exécutèrent en silence. Lore s'agenouilla et attrappa fermement les jambes de Don alors qu'il les posait sur ses épaules. Ahanant, il se redressa lentement, tentant de conserver son équilibre.

Une fois debout, Don s'aperçut qu'il atteignait à peine la dernière étagère. Il était impensable d'échouer ici. Pas après toute leur préparation. Elvan était venu les chercher deux mois plus tôt en leur faisant miroiter une récompense inégalable. De leur côté, ils s'étaient fait un nom au cours des dernières années en cambriolant quelques nobles, mais ce coup-ci promettait de les propulser au sommet.
Avec un grognement sourd, déstabilisant son partenaire, Don étendit un bras et agrippa un des tenants de l'étagère avant de se hisser lentement, centimètre par centimètre, jusqu'à la sphère. Le bois se courbait dangereusement sous son poids et les craquements qu'il laissait échapper menaçaient de réveiller tous les habitants. A l'instant où ses doigts se refermèrent sur l'objet, l'étagère céda. Don chuta brusquement en arrière, entraînant Lore avec lui.

Etendu au sol, les bras en croix, ses jambes reposant sur le torse de Lore, Don tenait encore fermement la sphère dans sa main. Il entendit alors un sifflement strident. Avant qu'il puisse ramener ses mains à lui pour se boucher les oreilles, une douleur cuisante lui étreignit le bras qui tenait la sphère. Une lourde grille sombre venait de tomber entre eux et Elvan, et les piques qui la terminaient s'étaient plantées dans sa chair, le clouant littéralement au sol.

Don laissa échapper un hurlement de douleur, accentué par le mouvement que lui imposa Lore en se dégageant de sous lui.

- Fais-nous sortir ! Vite ! souffla ce dernier à l'attention d'Elvan.
- Tout de suite, assura le jeune homme en ramassant nonchalamment la sphère que Don ne pouvait plus tenir. Approche-toi et tends-moi ta main.

Déjà, des pas précipités résonnaient dans les escaliers. Ils avaient peu de temps. Lore s'exécuta. Elvan prit le temps de placer l'objet dans une poche rembourrée avant de saisir fermement les mains de ses deux acolytes, arrachant un râle à Don.
Il colla son visage contre la grille afin que les deux hommes puisse entendre ce qu'il dirait.

- Vous allez tout oublier... souffla-t-il avec un sourire sardonique.

Déjà il s'estompait. Ses contours devinrent flous et bientôt Lore put apercevoir, à travers son corps transparent, les propriétaires du manoir qui accouraient. Mais qu'est-ce qu'il faisait ici ? Et qui était-il ? Soudain plus rien n'avait de sens et c'est sans aucune résistance qu'il se laissa enchaîner.


Elvan ricanna. Le vent nocturne faisait voler son long manteau. Rien n'était plus simple que de trouver des abrutis et de les leurrer avec de belles récompenses. Quand Gernst apprendrait ça, nul doute qu'il entrerait dans une colère noire et invoquerait les organes génitaux de tous les archanges, mais qu'importe. Elvan voulait cet objet qui lui permettait de décupler sa magie.

Au loin, une lumière attira son attention. Bien que cela se trouve à plusieurs kilomètres de là, plus haut sur les pentes du mont Arréat, il percevait parfaitement ce qui ressemblait à une grande stèle blanche, brillant à la lumière de la lune. D'une certaine façon, il se sentait attiré vers cet endroit. Se promettant d'y revenir plus tard, Elvan reprit sa route vers le centre d'Harrogath.

_______________


- Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Jamila regarda son frère d'un air étonné, ne comprenant pas sa question.

- Tu viens de traverser toute la grotte comme si tu étais somnambule et tu restes à regarder la lune comme si elle pouvait répondre à toutes tes questions.
- Je... Tu n'as pas entendu ?
- Entendu quoi ?
- Je sais pas... Une sorte de musique... Et une voix...
- La lune est pleine Jamila. C'est normal que tu te sentes différente. Nos pouvoirs sont galvanisés pendant cette période. Tout doit te sembler plus perceptible et tes transformations plus fluides.
- Non, c'est autre chose...

Thann ricanna.

- Alors c'est encore le sang de démon qui fait son effet. Tu devrais te reposer. Ça fait déjà une semaine mais la guérison prend parfois plus longtemps.
- Peut-être... Je vais rester ici un peu avant de retourner dans la grotte.

Cette sensation était vraiment étrange. Avec l'appel qu'elle avait perçu, une immense tristesse l'avait saisie, comme si on la condamnait à rester seule pour l'éternité...
Jamila regarda la lune encore un moment, sans chercher à essuyer les larmes qui roulaient sans fin sur ses joues.




*[ilien=https://diablo2.judgehype.com/index.php?page=fanfic&ff=531]Un excellent auteur de ma connaissance[/ilien] appellerait ça des P.E.A.E.P.F.L.C.A.L.V.D.B.

Si les druides ont été publiquement haïs par la plupart des habitants de l'empire, peu de gens savent qu'ils se sont montrés les fervents défenseurs de Sanctuary en affrontant les démons, de façon anonyme, quand personne n'était même au courant du danger...
Algoria, ancienne.



- Dégage !

L'enfant se protégea le visage juste à temps pour éviter la pierre que lui lançait la marchande.

- Allez ! Fous le camp, sale mendiant !

L'horrible femme se penchait déjà pour ramasser plus de projectiles.
Le jeune druide n'avait pas dix ans et s'était aventuré hors des grottes pour pouvoir jouer un peu à la lueur du soleil, mais par mégarde sa balle lui avait échappé et avait roulé jusque dans la rue où les Tyraëlites étendaient leur commerce.

- T'en veux encore ?

Nouveau jet.
Une ombre recouvrit le petit. Une jeune femme à la chevelure immaculée s'était agenouillée, l'enlaçant, et avait reçu la lourde pierre sur son épaule nue, gardant une marque d'où perlait un peu de sang.
Jamila se redressa et toisa la marchande d'un regard furieux. Sous cette pression bestiale, cette dernière recula d'un pas.
La druide était menue, presque chétive. Vêtue d'un léger corsage et d'un pantalon clair, elle pouvait paraître inoffensive, mais le loup qui se terrait en elle brûlait d'une telle fureur qu'il était impossible de l'ignorer.
Déjà, les autres marchands présents dans la rue se rapprochaient pour prêter main forte à leur amie.

- Rentrons, souffla Jamila.

Elle se retourna brusquement. Tout en elle respirait la majesté. Sa posture, le vent dans ses cheveux, le fait qu'elle s'en aille fièrement sans plus accorder un regard à ses agresseurs. C'était une druide, et pour tout cela, un grand nombre de gens dans ce monde auraient souhaité sa mort.


Une fois qu'ils furent arrivés chez eux, Jamila installa le petit sur un banc et, à l'aide d'un linge humide, nettoya précautionneusement sa peau abîmée.

- Heureusement que tu n'as pas grand-chose, soupira-t-elle, soulagée.
- Jamila, souffla l'enfant, pourquoi tout le monde nous déteste ?

La jeune femme prit un air grave. Qui, parmi les druides, ne s'était jamais posé cette question ? La réponse n'était pas simple, et elle-même n'était pas certaine d'en avoir saisi tous les tenants.

- Je crois qu'ils ont peur que nous ayons raison... répondit-elle en laissant son regard se perdre au loin.

_______________


L'établissement était sale. A chacun de ses pas, ses bottes avaient menacé de rester collées au sol, retenues par les résidus de sang et d'alcool. Les tables étaient faiblement éclairées par de vieilles bougies à l'odeur désagréable. Dans un coin, quelques filles de joie scrutaient leurs clients potentiels; ça et là, des hommes à la mine inquiétante parcouraient la salle du regard, cherchant peut-être leur prochaine victime.
Elvan venait parfois ici car malgré tout le reste, la bière était bonne. Il passa commande et alla s'installer à une table suffisamment proche de l'entrée pour pouvoir fuir facilement si le besoin s'en faisait sentir.
Bientôt une serveuse lui apporta une choppe bien remplie. Sans prendre la peine de la remercier, Elvan porta le récipient à ses lèvre et savoura une longue gorgée.
Il buvait depuis quelques minutes quand un individu enveloppé dans une cape sombre vint s'asseoir à sa table.

- On dit que tu cherches des informations sur Stern... souffla l'homme.
- On dit aussi que ceux qui en ont les gardent farouchement, rétorqua Elvan sur le même ton.
- Tout peut se monnayer...
- Alors tu prendras bien un verre ?
- Certainement pas ! cracha l'inconnu. C'est tellement crade ici que je me demande pourquoi des gens viennent encore ! Je veux de l'or, et pas moins de cinq cents pièces !
- Laisse-moi d'abord juger de la qualité de l'information, répliqua sèchement le jeune homme.
- Dans ce cas...

L'homme se redressa et se dirigea vers la sortie d'un pas décidé. Il passa la porte sans se retourner.
Elvan bouillait de colère. Il n'aimait pas la tournure que prenaient les événements. Cette information pouvait lui être d'une importance capitale, mais s'il poursuivait son interlocuteur dans la rue, il risquait fort de tomber dans une ambuscade...
Tant pis. il se leva et sortit à son tour.

Il n'était pas resté longtemps dans l'auberge, mais il pleuvait à présent. Il perçut la silhouette de son homme qui s'éloignait lentement. Après avoir sondé les environs pour s'assurer qu'ils étaient seuls, Elvan l'interpela.

- Hé ! Deux cents maintenant, et deux cents autres si l'information me plait !

Le fracas de l'eau sur les toits n'avait pas couvert sa voix, et l'homme encapuchonné se retourna, un sourire au lèvres. Il laissa Elvan combler la distance qui les séparait et susura :

- Marché conclu.

Il tendit les mains et laissa le jeune homme y déposer quatre bourses bien remplies, puis les rangea sous sa cape sans prendre la peine de compter le tout.

- Bien, tu veux retourner t'asseoir à l'intérieur ou rester ici ?
- Dis ce que tu as à dire !
- Comme tu voudras. Stern a plusieurs résidences. Un grand manoir ici, à Harrogath, proche du quartier de la garde. Il l'a fait construire contre la montagne. Lui-même y vient régulièrement. En général deux ou trois jours par semaine. D'après ce qu'on m'a dit, il en est parti ce matin. En son absence, l'endroit est protégé par un groupe d'une dizaine d'hommes ainsi qu'un magicien. Le bâtiment comprend une entrée principale et deux secondaires, ainsi qu'un passage secret qu'il a fait installer en creusant dans la roche. Tous ces points sont surveillés.

Elvan suivait l'énoncé avec attention, enregistrant la moindre information.

- La deuxième est à Tristram. Une simple maison. On dit qu'il y aurait grandi et que c'est par nostalgie qu'il la garde. Il y passe quelques jours tous les mois ou tous les deux mois. Et il passe toujours la nouvelle année là-bas. Quand il n'y est pas, un domestique y habite à sa place. Pas d'autres gardes. Enfin, son dernier repaire est situé à l'extérieur de Tur Dura, près de la côte Nord-Ouest de Scosglen. C'est une maison modeste, mais on dit qu'il y héberge parfois les sorciers de Xiansai. Comme pour Tristram, il n'y passe pas très souvent, moins d'une dizaine de fois par an. Pas de gardes particuliers, mais des protections magiques dues à ses locataires.

Une pause.

- Voilà ce que j'ai à te dire.

Sans proférer la moindre parole, Elvan sortit à nouveau quatre bourses et les remit à l'homme. Il marqua un temps d'arrêt, puis en ajouta une cinquième, avant de se retourner pour rentrer chez lui.

_______________


Vaclav étala le parchemin sur la table basse.

- C'est une carte de la région d'Harrogath, expliqua-t-il à Pierrick.
- Merci, je connais la géographie ! répliqua sèchement ce dernier.

Il était affalé dans un fauteuil luxueux. La pièce où ils se trouvaient était située dans l'aile nord du palais et servait habituellement aux rassemblements des gradés pour discuter des décisions à prendre. Aujourd'hui seuls Vaclav et lui étaient présents.

Le garçon était au palais depuis presque deux mois à présent, et son apparence avait considérablement changé. Il n'était pas musclé, à cause du peu d'ardeur qu'il mettait dans les exercices qu'on lui imposait, mais le régime auquel il était soumis lui avait fait perdre du gras et il avait repris des proportions plus habituelles. Cependant, son visage émacié par le manque d'intérêt qu'il portait à sa nouvelle vie n'augurait rien de bon quant à sa popularité en tant qu'empereur.

- Des groupes de démons arrivent à intervalles plus ou moins réguliers ici et ici, continua Vaclav en montrant deux points à la périphérie d'Harrogath, à une vingtaine de lieues de la cité. Nous avons donc placé des postes avancés un peu en retrait pour intercepter leurs attaques.

Pierrick bailla. Le seul intérêt de ce genre de réunion était qu'il pouvait rester avachi dans son fauteuil. Oh il écoutait, mais tout ce qu'on lui racontait était d'un ennui...

- Nous n'avons presque jamais de pertes et la puissance de leurs raids ne varie pas. Nous pensons donc qu'il s'agit simplement de bataillons suicidaires destinés à nous mettre en confiance et à retenir notre attention afin de préparer une attaque de grande ampleur. Pour pallier à cela, nous avons des patrouilles qui parcourent tout ce périmètre, ajouta le barbare en traçant un cercle de son doigt.

Le chef de guerre fit une pause et observa le garçon à qui il faisait face. Mentalement il n'avait pas beaucoup changé, si ce n'est qu'il suivait plus docilement les ordres et ne rechignait presque plus devant les exercices. Mais ce n'était pas par bonne volonté ! Il s'était simplement résigné...

- Là où les choses se corsent, reprit-il, c'est que nos éclaireurs ont découvert des places fortes à plusieurs endroits dans tout Sanctuary. Pour l'instant nous en avons trouvé trois, mais soupçonnons l'existence de plus. Il s'agit de forteresses contenant un nombre relativement réduit de guerriers mais conçues pour être défendues par peu de monde. Il faudrait une armée entière et un long siège pour les défaire...
- Ou quelques hommes seulement... intervint Pierrick d'une manière presque mécanique.

Vaclav sursauta. Non seulement il n'avait pas encore envisagé cette éventualité, mais en plus l'idée ne lui semblait pas mauvaise.

- Qu'est-ce qu'il y a ? fit le garçon. J'ai dit quelque chose de mal ?
- Non, non, enfin je ne crois pas... Explique-moi pourquoi tu as dit ça ?
- Eh bien... répondit le jeune homme en soupirant. Vous avez dit qu'il n'y avait pas beaucoup de démons dans les forteresses, mais que le principal problème venait du fait qu'une armée devrait rester en place longtemps pour réussir à affaiblir les assiégés. Un petit groupe pourrait se faufiler et si besoin est, ouvrir les portes au gros des troupes... Vous savez, c'est grossièrement ce qu'il s'est passé lors de la guerre contre les Trois, ajouta-t-il d'un air narquois.

Le barbare resta un instant plongé dans ses pensées. Instant que Pierrick mit à profit pour s'agiter nerveusement dans son fauteuil. Il en avait assez. Quasiment tous les après-midis, il avait droit à un topo sur la situation militaire, économique ou politique.

- Quoi qu'il en soit, reprit brusquement Vaclav, la totalité de nos hommes ont des tâches précises assignées et nous ne pouvons pas nous permettre d'en détacher un groupe pour une mission qui pourrait bien être suicidaire. Mais il faudra que j'en parle aux autres généraux.
- Est-ce qu'on en a terminé ?
- Presque. Je vais te parler de l'activité des druides qui vivent dans les cavernes de la montagne. Ils auraient intercepté plusieurs attaques de démons ces derniers temps. Nos espions essayent de savoir comment ils arrivent à déterminer où les forces infernales frapperont, mais jusqu'à maintenant nous n'avons pas beaucoup de succès. Tout ce que nous parvenons à apprendre, et encore pas à chaque fois, c'est le lieu de la prochaine apparition démoniaque.

Un court silence s'installa, comme si Vaclav attendait une réaction du jeune empereur. Il se résigna enfin :

- Bien, tu peux partir maintenant...
Le cimetière d'Harrogath est réputé pour abriter les restes de héros des temps anciens. On y retrouve notamment les huit pierres tombales finement ouvragées à l'image de ceux qui défirent les Trois. En leur sein apparaît également la dernière demeure de la prêtresse Jamila. Elle aurait demandé à reposer auprès de ses compagnons plutôt que dans le panthéon dédié à sa lignée. Cependant, la capitale impériale recèle des choses plus improbables. Non loin de ces nobles tombes est dressé un grand cristal brut, d'un noir impénétrable. Les textes les plus anciens, datant du début de l'ère post-démoniaque, l'évoquent en le comparant à la Pierre Monde, détruite par l'Archange Tyrael. Certains fanatiques assurent qu'il s'agit d'une sépulture rendant hommage au démon Pierrick.
Un autre monument remarquable se dresse, en dehors de la ville cette fois, dans les collines. C'est une stèle d'un blanc divin, non terni par les siècles. A son pied repose la statue d'un guerrier au repos, et on peut encore y lire les mots suivants :

« Ci-gît Elvan, messager de Tyrael. Rappelé au Paradis pour avoir courageusement bravé les instructions qu'il avait reçues. Jamais Elvan ne sera considéré comme un traître parmi les Anges. Sa dévotion envers ses amis était plus grande encore que son amour de la vie. »

Puis une date :

15 jours avant la Chute Démoniaque

Le plus étrange, c'est que certains écrits prétendent que ces gravures ont réellement été faites avant la mort de Baal...

Recueil de faits historiques.


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Pas un bruit. Pourtant l'air empestait la magie... Elvan se faufila, tenant fermement la sphère dans sa main. Il était vêtu comme à son habitude, tout en noir et enveloppé dans un manteau à capuche. A sa ceinture pendait une petite arbalète rapide. Il s'appuya silencieusement contre une colonne et se laissa glisser au sol. Levant la main à son visage, il observa profondément l'objet qu'il tenait. La sphère semblait abriter un vide si noir qu'on menaçait de s'y perdre. Il était difficile d'en détourner les yeux... Presque à contre-coeur, il baissa son bras. Mais il ne pouvait se résoudre à la ranger totalement, ou bien il perdrait cette puissante source de magie...

Il se fondait dans les ombres, et même les deux gardes qu'il avait croisés n'avaient pu le repérer à l'aide de leurs puissantes lanternes.

Le manoir était immense. Il avait déjà parcouru deux étages entiers sans trouver ce qu'il cherchait.

Soudain, alors qu'il passait devant une vieille porte, une curieuse impression le saisit. L'objet magique qu'il tenait se mit à palpiter sourdement. Chaque pulsation remontait jusqu'à son épaule, tel un choc électrique répété.

Elle était là, à n'en pas douter.

Elvan poussa lentement la porte qui s'ouvrit sans difficulté. Une lueur dansante éclairait faiblement la pièce. Elle semblait battre en harmonie avec la sphère du jeune homme. Oubliant toute prudence, il ouvrit complètement le battant.

La salle paraissait vide. En son centre s'élevait un piédestal d'où émanait le halo. Une grande arbalète y était posée. D'un rouge si sombre que l'obscurité l'aurait fait paraître complètement noire, sans les veines rougeoyantes qui la parcouraient.

L'objet était magnifique et rayonnait d'une magie inquiétante.

Elvan avança lentement, laissant inconsciemment retomber sa sphère dans une de ses poches. Il tendit la main et plus la distance le séparant de l'arme s'amenuisait, plus il sentait le pouvoir grandir en lui.

Chaque pas semblait lui coûter un effort inhumain, et chaque seconde s'étendait douloureusement.

Après ce qui lui sembla des heures, sa paume toucha enfin l'objet. Ce ne fut pas du tout ce à quoi il s'était attendu. Au lieu du bois rugueux et des imperfections attendues au niveau des veines, l'arbalète était entièrement lisse. A tel point qu'il lui était difficile de s'en saisir. Il tenta alors d'approcher son autre main pour s'en aider, mais celle-ci ne bougea pas, comme si elle était retenue.

Baissant alors les yeux, il vit le piège.

Jusqu'au dessus de sa taille s'élevait une sorte de barrière, flot circulaire de magie formant un cylindre blanc. Ses frontières mouvantes s'élevaient lentement, ondulant telle une vague paresseuse.

Une voix pompeuse se fit alors entendre derrière lui.

- Bien, disait-elle, notre visiteur est enfin décidé à se montrer.

D'un effort surhumain, Elvan parvint à se retourner. La personne se trouvant face à lui devait être le sorcier qui protégeait ce manoir. D'un âge avancé, la peau parcheminée qui s'étirait sur ses pommettes saillantes menaçait de craquer au moindre mouvement brusque. Malgré cela il souriait. Le vieillard était vêtu d'une longue robe de mage aux amples manches d'où dépassaient à peine ses mains squelettiques.

- Faudrait voir à manger un peu plus, mon vieux... lança Elvan d'un ton incertain.
- Oh de la raillerie ? Allons, je suis sûr que tu peux faire mieux que ça.
- Désolé... Dans cette position j'ai un peu de mal...
- Dans ce cas, j'imagine qu'il n'est pas nécessaire que tu conserves l'usage de ta bouche...

Alors que le sorcier prononçait ces mots, les lèvres du jeune homme se plaquèrent l'une contre l'autre avec tant de force que le vide qui les séparait se combla, laissant une parcelle de peau lisse entre son nez et son menton.
Sans céder à la panique, il bougea lentement sa main qui se trouvait cachée par la barrière magique. Il avait l'impression d'être placé dans une substance tellement visqueuse que chaque mouvement monopolisait toute sa force.

- Maintenant que tu n'as plus rien à dire, tu n'es plus très intéressant... Je vais m'amuser un peu avant de te tuer. Je vais commencer par te fermer un oeil. Lequel préfères-tu ? Le gauche ? Ou le droit peut-être ? Bah, aucune importance... Commençons par le droit.

Comme pour sa bouche, sa paupière droite s'étendit jusqu'à ce qu'il ne puisse plus l'ouvrir. Sa main, en revanche, était parvenue difficilement jusqu'à sous son manteau. Encore un effort...

- Oh mais j'y pense. Avant que tu ne deviennes complètement aveugle, je voudrais que tu voies ça.

D'un geste de la main, le mage transporta l'arbalète jusqu'à lui.

- Magnifique, n'est-ce pas ?

L'objet flottait au-dessus de sa paume, tournant lentement sur lui-même.

- Malheureusement, c'est n'est qu'une illusion...

Il ferma alors son poing et l'arme disparut silencieusement.

- Dommage, non ? D'être venu mourir ici pour rien, j'entends... Bon, je vais fermer ton autre oeil, puis ce sera au tour de tes narines... Ensuite j'attendrai patiemment que tu meures.

La seconde paupière d'Elvan commença à se baisser. Il semblait voir la lumière pour la dernière fois de sa vie, quand le phénomène cessa. La barrière qui l'entourait disparut soudain et le sorcier poussa un cri de douleur, perdant la concentration qui était nécessaire à son sort.

Le jeune homme venait d'attraper la sphère magique dans sa poche. Il avait puisé dans son pouvoir pour annuler sa prison. Puis il avait utilisé sa propre arbalète pour tirer un carreau qui avait atteint le vieillard à l'épaule.

L'homme était trop puissant pour qu'Elvan parvienne à le combattre ainsi : à moitié aveugle et incapable de respirer par la bouche. Il tira encore plusieurs traits grâce à son arme à répétition. Les projectiles furent contrés par un bouclier magique élevé en hâte par le sorcier. Mais c'était plus que ce dont le jeune homme avait besoin. Il se précipita en avant, percuta violemment le mage encore accaparé par sa propre protection. A ce contact, le rempart enchanté brûla son épaule, mais il n'avait pas assez de temps pour y prêter attention. Pompant encore un peu le pouvoir de la sphère, il augmenta sa vitesse, au risque de s'asphyxier lui-même car il avait besoin de plus d'oxygène que ce que pouvait lui fournir son nez.

La pénombre et son oeil manquant n'aidaient pas. Il se cognait aux murs, aux meubles, se baissait de justesse pour esquiver un sort dévastateur qui venait ouvrir une plaie béante dans les parois. Plusieurs fois il croisa un des gardes, mais la consigne semblait être claire : lorsque le magicien se déchaînait, il valait mieux ne pas se montrer.

Il arriva dans une grande salle qu'il aurait trouvée magnifique s'il en avait eu le temps. Une pièce destinée à recevoir des invités de marque à dîner. Mais l'intéressant était le gigantesque lustre qui pendait au plafond. Des milliers de médaillons de cristal y étaient accrochés, de manière à ce que la moindre source de lumière se propage dans tous les recoins.

Le sorcier entra à son tour, juste à temps pour voir le jeune homme lancer un rayon lumineux vers le plafond avant de reprendre sa fuite endiablée. Décidé à ne pas se laisser distancer, il avança d'un pas décidé avant de comprendre son erreur.

L'un après l'autre, les pendentifs de cristal s'illuminaient et réfléchissaient des rayons partout. L'intensité devint rapidement si forte que les objets présents dans la pièce commencèrent à fondre ou à prendre feu. L'éclat était intolérable pour le vieil homme et il dut se décider à renoncer à sa poursuite. Bien lui en prit : un instant plus tard, sous la puissance magique qu'il dégageait, l'immense lustre se décrocha et chut au ralenti, avant de se fracasser au sol telle une déferlante flamboyante.

Il sentit plus qu'il ne vit l'homme encapuchonné s'approcher de lui.

- Il a réussi à s'enfuir, constata celui-ci calmement.
- Il était mieux préparé que nous ne le pensions, expliqua le mage.
- Peu importe. Nous l'aurons la prochaine fois.


Elvan se retrouva enfin à l'extérieur. Mais il n'était pas tiré d'affaire pour autant. Sa course effrénée l'avait essoufflé, et il ne parvenait plus à tirer assez de magie de la sphère pour inverser le sort qui lui fermait la bouche. Manquant d'air, sa vision devenait chaque seconde plus floue. Prenant la meilleure décision qui se présentait à lui, il sortit alors une dague de sa botte et sans la moindre hésitation, perça la nouvelle peau qui recouvrait le bas de son visage.

Ignorant la douleur, il élargit sauvagement la plaie. Il put enfin respirer à nouveau, toussant pour recracher le sang qui coulait abondamment. Lorsque son pouvoir serait revenu, il pourrait cicatriser et libérer son oeil.
Il fit quelques pas dans la nuit, suffisamment pour trouver un endroit à l'abri des regards. Enfin, il cessa de lutter et se laissa tomber au sol avant de sombrer dans l'inconscience.

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- Retourne-toi maintenant ! intima Jamila d'un ton autoritaire.

Amusé, Thann s'exécuta et fixa le mur face à lui, croisant les mains dans son dos. Jamila enleva alors son corsage et entreprit de dérouler la bande de tissu qui lui enserrait la poitrine.

- Tu es lente, ricanna son frère. Quand j'ai fait cette cérémonie, tout avait pu finir avant midi.
- Ce n'est pas de ma faute si la nature m'a rendue parfaite alors qu'elle n'a fait de toi qu'un homme, rétorqua la jeune femme, arrachant un petit rire à Thann.

Lorsqu'elle eut terminé, elle plaqua les bras sur ses seins et alla s'installer à califourchon sur une chaise, face au dossier pour offrir son dos nu.

- C'est bon, fais-les entrer, annonça-t-elle presque à contrecoeur. Mais ne vous rincez pas trop l'oeil !

Il se dirigea vers le rideau qui les séparait du reste de la grotte et fit signe aux gens d'entrer.
Un des anciens était là, accompagné d'un assistant qui portait un bol rempli d'une encre noire, ainsi qu'une fine pointe de métal.
Sans prononcer le moindre mot, l'ancien se dirigea vers Jamila et approcha un tabouret afin de pouvoir s'asseoir juste derrière elle. Son assistant fit de même. Thann, quant à lui, se plaça face à sa soeur.

- Ça va être douloureux, tu sais ?
- Oh ça va, finissons-en au plus vite !

Thann adressa un hochement de tête au vieil homme. Celui-ci prit son temps, plongeant délicatement la tige de métal dans l'encre que lui présentait son apprenti. De son autre main, il palpa le dos de Jamila afin de prendre ses marques. Puis il piqua. Le corps entier de la jeune femme tressaillit, mais pas un mot ne s'échappa de sa bouche. Elle avait vingt ans ce jour là et la tradition indiquait qu'elle devait être instruite des fondements de la croyance des druides.Thann prit la parole.

- Il y a presque cinq cents ans, un groupe d'aventuriers s'est rassemblé dans un petit camp retranché abritant des guerrières Rogues chassées de leur monastère par les démons à la solde d'Andarielle. Ces combattants venaient de tous les horizons. Un barbare, maître d'arme d'Harrogath, un paladin, serviteur du Zakarum, une amazone des îles, un druide venu d'un petit clan établit au pied du mont Arréat, une assassin formée par les Vizjerei, un nécromancien pratiquant les arts occultes, ainsi qu'une ensorceleuse ayant grandit à Harrogath, dont le nom était Jamila.

Le vieil homme avait commencé à tracer de larges contours encore trop vagues pour qu'on puisse en reconnaître la forme. Jamila tentait de se concentrer sur l'histoire qu'on lui narrait. Elle connaissait les grandes lignes, mais elle était censée apprendre des choses intéressantes ce jour là...

- Alors que leur groupe semblait au complet, deux personnages inattendus firent leur apparition. On dit qu'ils venaient de deux mondes différents. L'un appartenait à une race appelée Troll. Sa force rivalisait sans peine avec celle des plus puissants barbares. L'autre était un jeune homme de moins de vingt ans, se prénommant Pierrick. Ses atours étaient particuliers et il affirmait posséder une puissance suffisante pour contrer à lui seul le pouvoir des Trois.

Thann marqua une pause, voyant que l'artiste entreprenait une partie spécialement douloureuse pour sa soeur.

- Pourtant, avant même d'arriver face à Andarielle, le groupe découvrit que le garçon n'était qu'un imposteur incapable de s'illustrer dans le moindre combat. Jamila entra alors dans une colère noire, animée par la déception qu'elle ressentait face à cette trahison. Le jeune homme n'eut d'autre choix que de fuir, retournant se réfugier auprès des Rogues.

Le tatouage commençait à prendre forme. S'étalant sur un bon quart du dos, de l'épaule droite à la colonne vertébrale, il représentait la silhouette d'un loup.

- Les aventuriers vainquirent Andarielle et continuèrent leur route vers l'est, à la poursuite d'un mystérieux rôdeur que l'on soupçonnait d'être Diablo en personne. Il arriva pourtant un moment où à la recherche d'artefacts dans le désert, ils se retouvèrent face à une magie infranchissable et si l'arrogant garçon les avait en quelque sorte trahis, il avait une fois montré une résistance impressionnante au même type de magie. On retourna donc le chercher afin de l'exposer au danger. Le résultat ne fut pas tout à fait celui escompté et tout aurait pu se solder par la mort de Pierrick si son corps n'avait eu une réaction étrange. Une magie de glace d'une puissance phénoménale se manifesta, le protégeant et semant la mort parmi ses ennemis.

L'ancien prenait son temps, il était en ce moment en train de remplir une petite surface d'encre en multipliant les piqûres au même endroit et Jamila devait lutter pour garder ses muscles dorsaux décontractés.

- On dit que lorsque tous se furent remis de leurs émotions, Pierrick et Jamila commencèrent à passer de plus en plus de temps ensemble, éloignés de leurs autres compagnons. Tant et si bien que, alors que leur quête les amena à rencontrer l'Archange Tyraël en personne et que celui-ci proposa au garçon de le renvoyer chez lui, ce dernier refusa pour rester aux côtés de l'ensorceleuse.

En variant la concentration d'encre selon les endroits et malgré le fait qu'il ne dispose que d'une seule couleur, le vieil homme parvenait à donner l'illusion d'un pelage agité par un vent violent.

- Un bateau les emmena jusque dans la jungle entourant le port de Kurast. Pierrick mit tout son temps à profit pour suivre les enseignements de ses compagnons et acquérir des capacités de combat loin d'être ridicules. Il était devenu si puissant que lorsque leur chemin les mena à la prison du seigneur Méphisto, le garçon put le vaincre en combat singulier. Ils allèrent alors jusqu'aux Forges Infernales dans le but de détruire la pierre d'âme de Méphisto puis d'aller combattre son frère Diablo. Leur chemin passa par la Forteresse du Pandémonium où l'Archange Tyraël renouvela son offre en proposant à Pierrick de le renvoyer chez lui. Le garçon déclina une seconde fois. C'est à cette époque qu'ils combattirent pour la première fois le démon Izual. Ils crurent obtenir une victoire aisée, mais la mort du démon libéra l'âme d'un ange déchu qui s'enfuit. Ils l'ignoraient alors, mais il s'agissait de l'être qui serait plus tard responsable de la pire des tragédies. Enfin, après un combat acharné, c'est Diablo, le cadet des Trois, qui tomba.

Jamila tremblait. La douleur était telle qu'elle n'en avait jamais connue. Il lui semblait qu'une marée d'insectes grouillaient sur son dos, arrachant minutieusement sa peau. Mais elle écoutait. Elle avait enfin l'occasion d'apprendre la vérité sur son homonyme et le Pierrick des temps anciens, enfin elle entendait autre chose que les mensonges que propageaient l'Empire.

- L'Archange Tyraël envoya ensuite les aventuriers à Harrogath. Pour le barbare ainsi que pour Jamila, il s'agissait d'un retour au pays. D'ailleurs, et à la surprise de Pierrick, il s'avéra que l'ensorceleuse était promise à un homme de la cité, éminent capitaine du nom de Thann. Les deux hommes se disputant les faveurs de Jamila, ils finirent par s'affronter en duel selon la tradition barbare. Cette dernière interdisant l'usage de la magie, le jeune étranger subit une cuisante défaite. Pourtant sans rancune*, Pierrick décida d'aller, seul, au secours de Thann lorsque, plus tard, il se trouva à la merci du vil nécromancien Nihlathak. Les deux hommes en revinrent réconciliés et éprouvant l'un pour l'autre un profond respect. Pour remercier Pierrick, Thann et sa soeur, Anya, décidèrent de lui offrir leur épée familiale, dont on disait qu'elle possédait le pouvoir des Anciens.

La jeune druide forçait son esprit à rester concentré. Jusque là elle n'avait pas appris grand chose, mais à présent le récit se focalisait sur la vie de Pierrick.

- C'est lorsqu'ils s'apprêtaient à affronter les Anciens, trois barbares mythiques qui gardaient l'entrée du donjon précédant la Pierre Monde, qu'un phénomène étrange se présenta. Frappé par un éclair, Pierrick perdit connaissance. Quand il se releva, ce n'était plus son esprit qui commandait à son corps, mais un être possédant une puissance inouïe. Grâce à lui, vaincre les Anciens fut tâche aisée, mais il s'effaça rapidement, laissant à nouveau la place à l'âme de Pierrick.

Était-ce vrai ? Un grand nombre de légendes entouraient les anciens héros, et penser que l'un d'eux put être possédé par une si grande puissance n'était pas saugrenu. Cela pourrait alors expliquer le comportement que les Tyraëlites lui reprochaient, s'il n'avait pas toujours été lui-même...

- Ils tuèrent finalement Baal. Mais dans sa mort, le dernier des Trois emporta plusieurs d'entre eux. Le Troll, l'assassin, ainsi que le druide perdirent la vie ce jour-là. L'Archange Tyraël descendit alors dans la chambre de la Pierre Monde et comme ultime remerciement, il proposa une dernière fois au jeune homme de le renvoyer chez lui. Brisé par la perte de ses amis, ainsi que par la présence de Thann auprès de sa Jamila, Pierrick accepta.

La druide laissa échapper un gémissement. A la fois dû à la souffrance qu'elle ressentait mais également à la peine que suscitaient étrangement ces informations.

- Cependant, l'ensorceleuse ne l'entendait pas ainsi, car elle décida de franchir le portail à sa suite, abandonnant tout ce qui aurait dû l'attendre à Sanctuary. Un an et demi passa dans ce monde avant que tout ne change. L'Archange Tyraël ouvrit un nouveau passage vers le monde de Pierrick pour venir chercher Jamila. Il lui apprit que, depuis la mort de sa mère, elle était devenue Prêtresse d'Harrogath. Son rôle consistait, lors de l'apparition d'un certain démon, à donner sa vie lors d'un rituel macabre ayant pour finalité l'éradication de l'être maléfique.

Le tatouage approchait de la fin. Le loup représenté semblait frémir à chaque tremblement de la druide, comme s'il était prêt à bondir. Mais il n'était pas tout à fait terminé. Représenté de profil, il manquait encore son oeil ainsi que plusieurs finitions sur lesquels l'ancien s'attardait.

- Pierrick refusa d'accepter que son amour doive sacrifier sa vie. Il la suivit. Après une terrible bataille dans les collines sanglantes, ils découvrirent que leur ennemi n'était autre que l'ange déchu Izual. Ils s'avéra également que l'être qui avait autrefois possédé Pierrick était en réalité le frère de ce démon. Par chance, il se trouvait du côté du bien. Le rituel devait avoir lieu dans peu de temps, et pour que Pierrick n'intervienne pas, l'esprit, dont le nom était Abel, décida de déployer son pouvoir et de prendre le contrôle du corps. Le jour venu, les sages d'Harrogath se réunirent afin d'invoquer Izual. Pierrick / Abel était chargé de l'empêcher de s'enfuir en l'affrontant, le temps que durerait le rituel. De l'aube jusqu'au crépuscule ils combattirent pendant que Jamila se soumettait au cérémonial, livrant son corps à la magie et se vidant lentement de son sang.

Jamila semblait ressentir ces paroles au plus profond d'elle-même. D'autant plus qu'elle avait l'impression de subir le même sort en ce moment...

- Le rituel s'acheva. Alors Izual disparut, en même temps que l'esprit qui possédait le garçon, laissant deux âmes rompues par l'effort incroyable qu'elles venaient de fournir. Pierrick, ayant reçu une blessure mortelle, se traîna lentement jusqu'au corps de son aimée. Bien qu'il sache qu'elle ne pouvait plus être sauvée, il ne voulait pas la laisser mourir seule... L'Archange Tyraël descendit alors et Pierrick le supplia de le laisser périr avec Jamila. Mais l'Archange en décida autrement. On dit qu'il avait été agacé par le constant défi que lui avait lancé le garçon durant son aventure, lui manquant de respect et se prétendant supérieur. Pour le punir, Tyraël maudit Pierrick, le condamnant à vivre pendant dix ans, survivant à n'importe quelle blessure et incapable de rejoindre sa prêtresse...

L'artiste avait quasiment terminé. Afin de dessiner l'oeil du loup, il saisit une lame acérée et ouvrit le bras gauche de Jamila, sans prévenir, lui arrachant ainsi un sursaut et un cri. Sans en tenir compte, il trempa son fusain dans le sang et le lia à l'encre, parvenant à lui donner une couleur pourpre. Une fois terminé, il se releva et contempla son oeuvre.

- Voilà, dit-il. Elle devra rester allongée sur le ventre pendant deux jours. Bien entendu aucun tissu ni rien d'autre ne doit toucher le dessin.

Thann acquiesça puis regarda avec pitié sa soeur qui tremblait et suait de douleur.

- Est-ce... bafouilla-t-elle. Est-ce que c'est tout ? Qu'est... Qu'est-ce qui est arrivé... ensuite ?
- Eh bien... Pierrick devint fou. Il se mit en tête qu'il devait mettre ces dix ans à profit pour accroître sa force et ainsi être en mesure de tuer Tyraël... Il massacra ainsi des villages entiers, défiant les meilleurs combattants et les tuant sans remord. Ce n'est qu'au bout de dix années que son chemin sanglant s'arrêta. L'Archange Tyraël lui ouvrit un sentier vers le Pandémonium où il fut enfin libéré de sa folie.
- Mais alors... L'Empire a raison ?
- L'Empire ne se trompe pas sur les actes qu'a commis Pierrick dans ses dix dernières années. En revanche, il est important de faire la part des choses. Son esprit a été brisé, et l'injustice de Tyraël est autant à blâmer. Tu dois absolument garder en mémoire le fait qu'avant ce qu'on lui reproche, il a accompli des merveilles. Sans lui et sa compagnie, ce monde n'existerait peut-être pas... Tu as besoin de repos à présent. Profites-en pour assimiler ce que je viens de te raconter. C'est d'une importance capitale : il s'agit du fondement même de notre croyance ainsi que de la raison pour laquelle nous avons été bannis. Sois fière de cet enseignement.

_______________


Pierrick mit le bandeau sur ses yeux et se plaça, comme d'habitude, accroupi en se protégeant la tête des deux bras. L'entraînement commença. Pourtant cette fois il se sentait différent. Il paraissait plus lucide qu'il ne l'avait été au cours des derniers mois. Les coups commencèrent à tomber et d'une certaine façon il comprenait de mieux en mieux ce qui arrivait. Il décela un certain rythme dans les attaques. Une verticale sur la tête, une de biais sur l'épaule gauche, une de l'autre côté sur l'épaule droite. Une pause.
Tête, gauche, droite... Pause.
Tête.
Une seconde.
Épaule gauche.
Une seconde.
Épaule droite.
Deux secondes.

Tête.
Une seconde.
Épaule gauche.
Une seconde.
Épaule droite.
Deux secondes.

Tête.
Une seconde.
Épaule gauche.
Une seconde.
Épaule droite.
Deux secondes.

Vide.

Pierrick s'était écarté au moment où il aurait dû recevoir l'attaque. Le fracas qui retentissait dans l'arène cessa alors. Lui-même aussi étonné que les autres, le jeune homme retira son bandeau. Tout le monde le fixait, arborant un air ahuri, soulagé, voire heureux.
Vaclav s'approcha.

- Enfin... lâcha-t-il. Bien joué ! Maintenant recommence, et essaye d'éviter les trois coups.

Le jeune empereur ne put retenir le sourire fier qui lui venait. Hochant la tête, il remit son bandeau en place et se repositionna, debout cette fois.
Il reçut une vague d'attaques, puis une seconde. A la troisième il s'écarta vers la gauche sous le premier coup, puis vers la droite pour éviter le deuxième, et enfin effectua un pas en arrière pour esquiver le dernier.
Ce fut presque un succès. La troisième attaque lui toucha tout de même l'épaule et son pas de recul lui fit perdre l'équilibre puis tomber au sol.

- Pas mal, apprécia Vaclav. Maintenant essaye de parer les coups au lieu de les esquiver.

Pierrick tâtonna autour de lui jusqu'à retrouver son épée de bois puis se replaça.
Encore une fois, il esquiva le premier coup, ensuite il frappa à gauche, puis à droite. A chaque fois il ressentit le choc de son arme contre celle de son partenaire, mais il n'y avait pas mis assez de force et les attaques ripèrent sur son épée et le touchèrent quand même.

- Très bien. Continue à t'entraîner à présent !

Après une demi-heure de ce régime, Pierrick avait les épaules en feu. Il était plus fatigué que jamais après une séance d'entraînement, mais pour la première fois il était fier de lui, et on le regardait enfin avec compassion et camaraderie.
Vint le moment ou les hommes se séparaient entre ceux qui allaient manger et ceux qui se dirigeaient vers les cavernes.
Il hésita.
Puis suivit le second groupe.

Le soleil était encore couché et les plantes dormaient. Sous les encouragements des soldats qui s'étaient rassemblés autour de lui, Pierrick s'agrippa à la barre horizontale. Tirant sur ses bras, il se hissa suffisamment haut pour pouvoir passer ses jambes au-dessus de la-dite barre et les serrer suffisamment pour pouvoir tenir sans ses mains. Il pencha alors son torse en arrière et se mit à trembler tant ses muscles peinaient. Il ne fallut pas longtemps avant qu'il ne tombe sur le tapis végétal.

- Presque une minute, annonça joyeusement un des hommes. Tu feras mieux la prochaine fois ! Allez va manger maintenant !
- Non, répliqua le jeune homme. Je manque de motivation. Si je veux tenir, il faut que j'aie peur de tomber !

Alors les soldats ne cachèrent plus leur admiration. Depuis tout ce temps cet empereur n'avait rien fait de remarquable, et voilà que du jour au lendemain, il s'était armé d'une détermination d'acier.
Il remonta alors que les premiers rayons du soleil passaient par les percées de la grotte. Sous lui, les plantes commencèrent à émettre leurs gémissements stridents, serpentant le long du poteau de bois pour atteindre l'impudent qui avait osé s'aventurer chez elles.
Dos au sol, Pierrick ne les voyait pas. Il entendait seulement leurs râles affamés et en soi c'était effrayant. Mais plus encore, c'était la certitude qu'il ne pourrait pas tenir suffisamment longtemps pour leur échapper. Déjà tout son corps brûlait. Ses abdominaux, ses dorsaux ainsi que tous les muscles de ses jambes hurlaient de douleur. D'un autre côté, la peur de se faire happer par les lianes corrosives lui donnait l'énergie nécessaire pour rester accroché.

Il finit par tomber.
En un instant il fut recouvert de feuilles et autres tiges. Les hommes se précipitèrent pour le tirer de là. Une fois qu'il se fut fait traîner en sécurité, Pierrick inspecta son corps. Il était plein de boursouflures et irritations, mais à part ça il semblait aller bien.

- Presque cinq minutes, gamin. Annonça Vaclav. Je suis très impressionné. Maintenant va manger et te reposer. Ça suffit pour aujourd'hui, et tu peux être fier de toi.

Trois hommes accompagnèrent le jeune homme vers le réfectoire, parlant à haute voix, racontant à qui voulait les entendre que leur prochain empereur était finalement quelqu'un d'une trempe incroyable.
Malgré la douleur, Pierrick se sentait bien. Il avait enfin trouvé sa place.








* Sans aucune rancune mon oeil, oui !
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