Fanfiction Diablo III

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Leenh

Par Luiji

Chapitre 1 : Jungle et rituels

Chapitre 2 : Naissances

Chapitre 3 : Le départ

Chapitre 4 : Rencontres

Les herbes hautes et denses caressaient ses jambes nues. Le contact proche de la flore faisait frissonner tout son corps. Leenh arpentait ainsi la forêt sombre et étouffante du Teganze située dans les jungles de Torajan. Elle aimait se sentir proche de la nature et avait l'habitude de s'y aventurer régulièrement, parfois durant plusieurs jours.

- Leenh, pourquoi ne vas-tu pas rejoindre la tribu ? questionna une voix étrange dans son dos.
- Tu le sais très bien Sythur, rétorqua-elle en se retournant vers la petite forme qui la suivait.
Sythur était un « chien zombie », créature que certains membres des tribus Umbarus invoquent comme familier. Généralement par groupe de trois, Leenh avait choisi de se restreindre à un seul pour pouvoir le rendre plus intelligent et ainsi lui donner l'usage de la parole.
- Mais aujourd'hui ils combattent la tribu des Cinq collines ! ajouta Sythur.

Bien qu'étant son seul « ami », il arrivait que Leenh regrette son choix de lui avoir donné la parole.
- Je n'ai que faire de leurs petites guerres et ils n'ont que faire de moi, fit-elle en reprenant son chemin.
- Mais ce serait peut-être l'occasion pour toi de devenir définitivement féticheuse non ?

Leenh tiqua. Le chien n'avait pas tort après tout. Bien qu'étant loin des meilleurs guerriers de sa tribu, elle se débrouillait suffisamment pour prétendre à ce statut. Du moins l'espérait-elle. Leenh se retourna à nouveau. Un horrible sourire carnassier était apparu sur le visage de Sythur.

- Tu sais où se déroule la bataille ?

Le sourire s'accentua encore plus, laissant apparaître d'énormes rangées de dents faites pour déchiqueter.

- Heureusement que tu m'as aussi donné une mémoire, la tienne à l'air de te faire défaut !

Leenh accéléra le pas. Ce serait dommage d'arriver trop tard. Son corps mince mais athlétique lui permettait de se faufiler aisément dans la jungle étouffante. Sa peau bronzée, typique des Umbarus, était comme à son habitude couverte des peintures distinctives de sa tribu. Elle n'était vêtue que d'un pagne comme la plupart des siens dans les jungles de Torajan. Elle vérifia qu'elle avait bien tous ses instruments sur elle. Dague sacrificielle, sarbacane, fléchettes, poisons... Le compte était bon. Elle pouvait entendre derrière elle Sythur tout excité qui ne pouvait s'empêcher de pousser des petits grognements en pensant à la bataille qui se préparait.

Soudain une forme bondit sur eux. Leenh n'eut pas le temps de porter sa main vers une de ses armes qu'une dague était apparue sous son menton.

- Tiens donc ! Je pensais que tu préférais aller te balader autre part comme à ton habitude Leenh, se moqua la voix derrière elle.

La lame sous son menton disparut aussi vite qu'elle était apparue. Un homme fort et d'assez grande taille pour un Umbaru passa devant elle. Il s'agissait d'Hadalu, le meilleur guerrier de la tribu de la génération de Leenh. Il était lui aussi en passe de devenir féticheur, bien que lui était sûr de réussir. Son corps était entièrement recouvert des peintures de guerre permettant une protection relative mais bien réelle.

Sa présence embarrassait Leenh. Elle lui trouvait un certain charme et perdait rapidement ses moyens quand il était à proximité. Mais les yeux noirs d'Hadalu qui la fixaient à ce moment même signifiaient tout le contraire envers elle.

- Mais ne reste pas planter là ! Tu ne vois pas que les combats ont déjà commencé ?

En effet, on pouvait à présent entendre les cris et les bruits d'une bataille qui faisait rage non loin de là. Hadalu n'attendit pas la réponse de Leenh pour se volatiliser et repartir au combat.

- Oublie ce mec, cracha Sythur en se rapprochant d'elle. Je crois qu'il ne te porte pas vraiment dans son coeur.

Ce fichu chien avait malheureusement bien raison. Leenh se décida à reprendre ses esprits et se rapprocha du champ de bataille.

Pour un oeil extérieur, ces batailles entre tribus peuvent paraître déroutantes. Il s'agit en outre de l'observation d'un rituel plutôt que d'une tentative de conquête. Ces guerres fréquentes ont en effet pour but de permettre à leurs vainqueurs de se réapprovisionner en sacrifices humains, réelle clé de voûte de la civilisation Umbaru. Ainsi les victimes prises à la guerre sont considérées dignes de servir pour le sacrifice rituel.

Personne, hormis les protagonistes, ne peut se vanter d'avoir assisté à ce spectacle bien particulier. Mélange de peinture, de corps nus mais aussi de flammes, de poisons, de morts animés et d'esprits, le tout brouillé dans l'épaisse et dense jungle du Teganze.

Leenh n'en était pas à sa première bataille et c'est ainsi qu'elle avait pu montrer qu'elle possédait quelques dons au combat. Malgré cela, elle ne prenait pas vraiment de plaisir à se battre et le faisait uniquement par nécessité, au grand dam de sa tribu qui depuis ne la regardait plus de la même façon.

Elle décida de grimper dans les arbres pour mieux surprendre ses adversaires. Durant ce temps, Sythur restait caché au sol et la tenait informé des mouvements ennemis. Peu de temps s'écoula avant que le chien la prévint qu'un groupe de trois hommes s'approchait de leur position. Leenh prépara sa sarbacane et son poison. Elle les vît au loin courant comme pour échapper à un esprit terrifiant. C'était très certainement des novices qui faisaient leur première bataille, et certainement leur dernière. Elle attendit qu'ils dépassent l'arbre sur lequel elle était perchée pour décocher sa fléchette dans le dos d'un des Umbarus. Celui-ci s'écroula sur le sol, paralysé par le poison. Sythur n'attendit pas plus pour sortir de sa cachette et bondir à la gorge d'un autre pour le maintenir à terre.

- Que les esprits me viennent en aide ! s'écria le dernier homme debout, totalement paniqué.

Et comme pour répondre à sa demande, une énorme forme terrifiante et grandissante apparut soudainement au-dessus de lui. Bien que Leenh fût habituée à voir ce sort, l'image était tellement horrifiante qu'elle eut un sursaut, ce qui la fit basculer et tomber lourdement de l'arbre où elle était cachée. L'homme en profita pour armer sa sarbacane avec ses propres poisons. Sythur, voyant cela, se jeta sur lui et lui mordit le mollet au moment où celui-ci décochait une fléchette qui alla effleurer le bras de Leenh. L'homme hurla et dans un sursaut de rage, envoya un puissant coup de pied au visage du chien. Bien que la fléchette ne l'ait pas atteinte directement, le poison avait pu infecter une partie du corps de Leenh. Celle-ci avait du mal à contrôler ses mouvements et était donc dans l'incapacité de répliquer. L'homme se rapprocha d'elle. Il voulait en finir. Ce n'était finalement peut-être pas un novice. Allait-elle finir comme ça ? En sacrifice à la tribu des Cinq collines ? Sans même avoir pu devenir féticheuse ?
L'homme était à présent juste devant elle, un sourire au coin de la lèvre. La peur avait envahi entièrement le corps tremblant de Leenh. C'était la première fois qu'elle ressentait un tel sentiment. La mort était face à elle.

- Où est ton honneur maintenant, sal...

L'homme ne put terminer sa phrase, la pointe d'une dague ruisselante de sang était apparue au niveau de son coeur. Il s'écrasa au sol, laissant apparaître celui à l'origine du meurtre.

- Tu t'en prends aux féticheurs des Cinq collines maintenant Leenh ? demande Heiss d'un ton amusé.

Leenh remercia les esprits. Son sauveur était le meilleur ami d'Hadalu et aussi un excellent guerrier voué à devenir féticheur très rapidement. Il n'était pas très grand, mais avait une stature carrée au-dessus de la moyenne.

- Je ne savais pas qu'il en était un, balbutia tant bien que mal Leenh.

- Il a perdu son masque distinctif dans la bataille. Je vois qu'une de ses fléchettes t'a touché, je vais te mettre à l'abri le temps que tout se calme.
Heiss hissa Leenh sur ses larges épaules et commença à faire quelques pas.

- J'aimerai te parler seul à seul quand tout ceci sera terminé Leenh. Je... Je tiens beaucoup à toi, ajouta-t-il.

Durant ce temps-là, Sythur s'était relevé. Il avait une énorme plaie ouverte au visage mais qui semblait se refermer à vue d'oeil. Il rattrapa rapidement Heiss.

- Un groupe de puissants féticheurs se dirige dans notre direction, je peux les sentir.

Heiss, toujours étonné de voir un chien zombie parler, le fixa un certain moment.

- Cachez-vous vite ! insista Sythur énervé.

Mais après un rapide examen des lieux, il était impossible de pouvoir dissimuler deux personnes, dont une paralysée.
Heiss sembla avoir une idée. Il déposa délicatement Leenh à même le sol et murmura des mots qu'elle ne put discerner. Un sombre fétiche apparu alors à côté de lui. Il s'agissait du sort de Hex. Il fallait avoir un certain entrainement avant de pouvoir maitriser cette technique et Leenh était encore loin d'en être capable.

- J'espère que cela durera le temps qu'il faudra, se murmura Heiss à lui-même.

Il se pencha vers le fétiche et lui toucha deux mots. Celui-ci sembla acquiescer et pointa sa baguette vers Leenh. Cette dernière sentit tout d'un coup son corps se métamorphoser et devenir beaucoup plus petit très rapidement. Elle était maintenant une araignée dissimulée dans la végétation, bien que toujours paralysée.

Heiss n'eut que peu de temps pour contempler son travail. Des bruits de pas de course se rapprochaient rapidement dans sa direction. Soudain cinq hommes se trouvèrent devant lui. Tous portaient des masques effrayant à plumes colorées et des armures serties de crânes antiques. Des féticheurs bien aguerris, mais ennemis.

- Où est la personne avec toi ? fit l'un d'eux, je peux sentir sa présence.

- Pas le temps, le coupa un autre en courant vers Heiss, son arme en avant.

Heiss n'eut pas le reflexe pour se défendre, et de toute manière il savait qu'il n'avait aucune chance face à ces cinq féticheurs. Plusieurs bombes de feu sautèrent à ses pieds, noyant dans un nuage de flammes le pauvre Umbaru. Leenh voulut crier, mais aucun son ne put sortir de sa gorge.

- Partons avant qu'ils nous rattrapent !

Le groupe s'éclipsa en un instant, laissant Leenh sans même la voir. Il lui était toujours impossible de bouger, cependant elle se sentit grandir et retrouver une forme normale petit à petit. Elle entendit une voix au loin. Certainement les poursuivants, pensa-t-elle. Elle était étendue sur le dos, juste à côté du corps sans vie de Heiss. Plus loin se trouvait le cadavre du féticheur, ainsi que les deux corps agonisants des novices. Sythur ne devait pas être bien loin. Sa vision commençait à se brouiller. Elle entendit les pas pressés autour d'elle et notamment la rage d'Hadalu au-dessus du corps de Heiss. Ce fut son dernier souvenir.
Leenh fut réveillée par la musique typique des soirs de victoire. Son esprit était encore embrumé et elle peina à ouvrir les yeux. La faible lumière des torches éclairait ce qui semblait être une hutte de guérison. Elle était allongée sur un lit avec à côté d'elle d'autres patients, certains dormants, d'autres agonisants. Elle essaya de se lever. Ses membres étaient encore tout engourdis à cause du poison, mais elle pouvait au moins les bouger. Elle gagna la porte d'entrée en titubant et l'ouvrit. L'air frais de la nuit et la puissance de la musique la frappèrent de plein fouet.

Dehors, à la lumière de la lune et des feux, se déroulait la cérémonie traditionnelle des victoires. Dans une ambiance très festive, les corps des ennemis morts étaient érigés comme des trophées sur d'immenses pics en bois. Des cercles de personnes s'étaient formés autour des feux et de nombreuses danseuses peu vêtues, les corps toujours recouverts de peintures, remuaient au rythme rapide et entrainant de la musique. Les prisonniers de guerre quant à eux étaient gardés à l'écart pour les rituels de sacrifice plus tard.

Une forme surgit du sol, juste à côté de Leenh. Celle-ci ne fut pas surprise ; il s'agissait de Sythur. Elle fut agréablement étonnée qu'il ne prenne pas la parole et la laisse tranquille, se contentant juste de la suivre. Elle aperçut au loin une vieille femme toute courbée lui faisant signe de s'approcher. Il s'agissait de Nashaelle, une ancienne, aujourd'hui chef de la tribu. Elle portait de fines plaques de métal décorées de plumes aux couleurs de la tribu. Elle se trouvait sur une sorte d'estrade entourée de quelques jeunes personnes. Leenh n'eut pas de mal à les reconnaître puisqu'il s'agissait des gens qui, comme elle, étaient en passe de devenir féticheur. Hadalu était bien sûr présent, mais Heiss manquait à l'appel...

Elle se doutait que ce soir même, certaines personnes allaient être élevées au rang de féticheur. C'était souvent le cas après une victoire sur une autre tribu. On récompensait ainsi les guerriers les plus prometteurs. Elle se rendait bien compte qu'elle n'avait aucune chance d'y figurer. Elle avait seulement fait prisonniers deux novices pour les sacrifices, avant d'être sauvée par Heiss qui était ensuite mort par sa faute. Le regard noir que lui portait Hadalu ne faisait qu'étayer plus avant ses pensées.

Nashaelle fit alors signe à la musique de s'arrêter. Peu à peu, toute la tribu, hommes, femmes et enfants, vint se rassembler devant elle et les jeunes guerriers. Comme Leenh s'en doutait, Nashaelle commença un discours concernant les principes fondamentaux de la tribu, avant d'enchaîner sur ceux propres aux féticheurs. Ainsi elle annonça que plusieurs d'entre eux naîtraient aujourd'hui. Des exclamations dans la foule saluèrent cette annonce.

- Aujourd'hui est donc un grand jour pour quelques-uns de nos chers guerriers ! Le premier d'entre eux a réussi à capturer six novices et à en tuer cinq de plus. Mais surtout il a pu faire prisonnier un féticheur des Cinq collines pour nos rituels ! Il s'agit bien évidemment de notre guerrier le plus prometteur : Hadalu !

Celui-ci s'avança au-devant de l'assemblée en transe et la salua. Il reçut ensuite un masque à plumes distinctif de la tribu par Nashaelle.
Ainsi, Dyrio et Faeru se virent couronner du même succès pour des exploits peu différents de celui de leur camarade.

- Enfin, avec seulement deux novices fait prisonnier, elle a néanmoins tué un féticheur expérimenté et a survécu à cinq des meilleurs d'entre eux ! C'est la nouvelle féticheuse Leenh !

La foule était toujours en transe. Leenh n'y croyait pas. Il y avait forcement erreur sur la personne. Jamais elle n'avait tué de féticheur et jamais sans l'aide de Heiss elle aurait survécu au groupe de cinq. Cependant tout le monde l'attendait. Elle sentit Sythur la pousser en avant. Elle s'avança alors, saluant une tribu qui peu de temps auparavant ne l'appréciait guère. Nashaelle l'attendait avec un grand sourire et un masque à plumes entre les mains. Elle vit au loin Hadalu, toujours avec son regard noir, qui lui aussi avait du mal à y croire.

La musique reprit alors, et la tribu se dispersa pour continuer la cérémonie comme auparavant. Les pensées de Leenh se bousculaient dans sa tête. Que faire ? Devait-elle expliquer ce qui s'était vraiment passé ? Ou juste se taire et profiter de son nouveau statut, acquis sans aucun mérite ? Quelle serait la réaction de la tribu si celle-ci apprenait la vérité ? Sythur était maintenant planté devant elle, son horrible sourire carnassier balafrait son visage.

- Tu devrais profiter de cette chance tu sais...

Leenh ne l'écoutait pas. Elle aperçut Nashaelle prendre à parti Hadalu et l'emmener vers le feu où étaient réunis les anciens.

- Sythur, j'aimerai que tu ailles voir ce qu'ils se disent.

Le chien hésita, puis soupira et fila vers eux.

De la fumée verdâtre s'élevait de grands bols circulant entre les vieux féticheurs. Il s'agissait de racines et d'herbes de la jungle qui, à l'aide d'un rite et de beaucoup d'entrainement, permettaient d'interagir avec les Terres sans formes. Cette croyance disait que la véritable réalité, sacrée et absolue, était cachée par le voile de la réalité physique que les simples humains connaissent.

Quelques féticheurs étaient déjà dans l'état de transe fantôme et semblaient discuter avec des esprits invisibles. Hadalu et Nashaelle prirent place dans le cercle et se joignirent au rituel. Leurs yeux devinrent alors entièrement blancs et leurs lèvres remuèrent comme pour discuter dans le vide. Sythur s'approcha de l'assemblée en faisant attention de ne pas se faire voir. Il était habitué à assister à ce spectacle ; Leenh elle-même s'entrainait à communiquer avec les Terres sans forme régulièrement. Les lèvres avaient maintenant cessé de remuer et ils semblaient tous écouter quelque chose. Puis peu à peu leurs yeux retrouvèrent leur état normal. Nashaelle se tourna vers Hadalu.

- Tu as compris maintenant ?
- Oui, il y a beaucoup trop d'esprits torturés. Je peux entendre leurs hurlements et ressentir leurs convulsions. Mais je n'ai pas réussi à saisir pourquoi il y en avait autant.
- Les esprits parlent d'une étoile tombée du ciel, ranimant les morts et semant le chaos dans une région éloignée. Ceci crée un trop fort déséquilibre entre notre monde et les Terres sans forme. Si cet équilibre n'est pas restauré, nous serons forcés de contempler la tourmente des générations passées jusqu'à la fin de nos jours.
- Nous devons donc agir, anticipa Hadalu.
- En effet.

L'ancienne marqua une pause.

- Les anciens et moi avons beaucoup discuté et décidé d'envoyer quelqu'un dans cette région pour tenter de rétablir l'équilibre. Notre choix s'est porté sur toi car tu es le plus prometteur de nos jeunes guerriers. Les plus vieux n'auront pas la force de voyager aussi loin contrairement à toi.

Le visage d'Hadalu resta impassible.

- Quand dois-je partir ?
- Le plus tôt possible.

Le jeune féticheur semblait décidé, le bien de la tribu était une priorité.

- Laissez-moi deux jours pour préparer mes affaires.
- Qu'il en soit ainsi.

Hadalu se leva mais fut retenu par la main de Nashaelle.

- Je sais que la mort de Heiss t'attriste mais tu ne dois pas laisser la rage te consumer. Je sais aussi que tu en veux à Leenh et que tu ne comprends pas sa nomination. Mais ce sont les esprits qui en ont décidé ainsi et on doit leur faire confiance.

La prise de Nashaelle se relâcha et Hadalu s'en alla sans dire un mot.

Sythur en avait assez entendu. Il retourna auprès de Leenh qui s'était isolée seule dans un coin à la lisière de la jungle. Celle-ci semblait encore perdue dans ses pensées et ne l'entendit pas arriver.

- On rêvasse encore féticheuse ?

Leenh eût un petit sursaut de surprise et se tourna vers le chien. Ce dernier la fixait avec son ignoble sourire.

- Fait ton rapport, ordonna la féticheuse.

Sythur s'exécuta et retranscrivit mot pour mot ce qu'il avait pu entendre de la conversation. Leenh l'écouta sans l'interrompre. Elle n'arrêtait pas de fixer le masque qu'elle avait dans les mains, comme si elle attendait que celui-ci lui fasse une grimace, la ramenant alors en dehors d'un rêve.

- Ainsi Hadalu s'en va, soupira-t-elle, et moi je vais encore devoir croupir dans cette jungle un moment, voir pour toujours.
- Je croyais que tu l'aimais cette jungle...
- C'est vrai. Après tout je fais une piètre féticheuse. J'aurais peu de chance de survie en parcourant le monde seule...
Deux jours s'étaient écoulés. Leenh avait recommencé à s'entrainer à interagir avec les Terres sans formes. Elle percevait de plus en plus nettement les hurlements et les convulsions dont avaient parlé les anciens. Elle comprenait parfaitement qu'en effet quelque chose n'allait pas. Que le nombre de complaintes était beaucoup trop important mais que surtout il ne cessait de croître.

Aujourd'hui était le jour du départ pour Hadalu. La tribu avait organisé une petite cérémonie d'adieu le matin. Mais Leenh avait, comme à son habitude, préféré ne pas y assister. Elle ne tenait pas à revoir le jeune féticheur une dernière fois. Au lieu de ça elle préférait méditer avec pour seule compagnie Sythur et la sombre jungle tout autour. Elle s'était enfoncée profondément dans la forêt, en suivant un chemin qui n'était plus emprunté depuis des générations. Elle se sentait mieux ainsi. Isolée de toute contrainte, loin de tous problèmes autres que les siens.

C'était ce comportement qui avait créé une sorte d'animosité entre elle et sa tribu. Pour cause, une des philosophies sacrées des Umbarus était le sacrifice de soi et de rejet de l'individualisme ; effacer son intérêt personnel devant le bien de la tribu. Bien que Leenh respecta ces valeurs, elle avait toujours eu du mal à les suivre, créant ainsi une distance entre elle et le reste de son peuple.

Le soleil était à présent à son zénith et Leenh avait faim. Elle sortit de ses pensées et se décida à aller chercher quelque chose à manger. Elle rejoignit rapidement le vieux chemin qui longeait une rivière. Elle savait qu'elle pourrait y pêcher aisément du poisson. Ses pieds nus pénétrèrent à tâtons dans l'eau fraîche et claire. Ce contact la revigora et elle songea à y plonger entièrement. Un bain avant de manger lui ferait le plus grand bien après tout. Elle interpella Sythur.

- Occupe-toi de pêcher le poisson aujourd'hui, j'aimerai prendre le temps d'un bain. Tu peux bien sûr en profiter pour te trouver à manger si tu le désires.

Le chien fit un hochement de la tête et remonta la rivière jusqu'à disparaître de sa vue.

Elle quitta son nouveau masque, son pagne et ôta ses nombreux bijoux avant de pénétrer petit à petit dans le ruisseau. Les peintures sur son corps se diluèrent et se mélangèrent entres elles au contact de l'eau, créant ainsi de petites vagues de couleurs tout autour d'elle. Cela la fit sourire et peu de temps après elle plongea entièrement. Tout son corps frissonna de fraîcheur. Elle se sentait bien. Un sentiment qu'elle n'avait pas ressenti depuis qu'elle était devenue féticheuse d'une manière trop honteuse à son goût. Elle remonta à la surface, tête la première, le regard vers le ciel bleu de cette magnifique journée.

Quelque chose attira alors son attention. De la fumée s'élevait un peu plus loin le long de la rivière.

Curieuse, elle se décida à aller jeter un coup d'oeil. Il s'agissait très probablement d'un feu de camp. Mais les voyageurs étaient si rares dans ces jungles que cela intriguait Leenh. Elle nagea silencieusement le long de la rivière, se laissant doucement porter par le courant. Elle déboucha peu de temps après sur une magnifique crique qui disposait d'une petite plage. Elle put discerner sur le sable un petit feu où semblait cuire quelque chose. Juste à côté se trouvait un homme assis.

Leenh était encore trop loin pour discerner quelque chose de plus. Elle se rapprocha silencieusement en se cachant derrière les nombreux rochers émergeant de l'eau. Ce petit jeu d'éclaireuse l'excitait et l'amusait. L'homme semblait préoccupé par sa cuisine. Elle était maintenant assez proche pour reconnaître les peintures qui ornaient sa peau bronzée.

Hadalu.

Leenh le connaissait suffisamment pour reconnaitre son corps bien bâti et sa grande taille. Il devait être parti le matin même et ce chemin semblait être sur son itinéraire.

Soudain elle fut prise de panique. Et s'il découvrait sa présence ? Que lui dirait-elle ?

Elle se rendit compte qu'elle était toujours entièrement nue. Elle rougit en s'imaginant diverses situations dans lesquelles cela pourrait la mener.

La féticheuse l'observa ainsi quelques temps, ne sachant que faire. Elle put remarquer qu'il portait une fine armure de métal qu'il ne possédait pas auparavant. Certainement un cadeau d'adieu pensa-t-elle. Son poisson était maintenant cuit et il l'avalait goulûment. Leenh se rappela alors que Sythur devait l'attendre avec son propre repas un peu plus haut le long de la rivière. Si elle attendait ici trop longtemps, Hadalu le découvrirait en reprenant sa route le long du sentier.

Elle commença à rebrousser chemin mais il fallait maintenant faire face au courant, rendant la tâche plus ardue. Le fond rocheux était par moment extrêmement lisse et glissant. Elle fit cependant de son mieux pour ne pas faire de bruit.

Jusqu'à ce que l'inévitable arriva.

Son pied glissa et, n'ayant plus aucun appui, elle tomba à la renverse dans l'eau, ne pouvant éviter le bruit qui se produisit en conséquence.

- Qui est là ?!

Leenh paniqua. Elle devait rapidement réfléchir à une explication qu'elle pourrait donner. Les bruits de pas d'Hadalu se rapprochaient.

- Montrez-vous !

La jeune féticheuse fit en sorte de cacher ses parties intimes sous l'eau. Elle ne tenait pas à ce qu'il la voit nue.

- Toi ?! sa voix eût du mal à cacher sa surprise.

Il n'était maintenant plus qu'à quelques mètres d'elle.

- Que fais-tu ici ?

Leenh ne sut quoi répondre, elle se contenta de regarder le reflet de l'eau pour éviter de croiser son regard. Le ton d'Hadalu changea de manière étrange.

- Tu me suivais n'est-ce pas ?

- N... Non ! articula-t-elle tant bien que mal.

- Menteuse ! Que me veux-tu ?

- Je... je... j'aimerais me joindre à toi !

Elle était tout aussi étonnée que lui de sa réponse. Elle avait dit cela sans vraiment réfléchir. Un sourire narquois venait d'apparaître sur le visage d'Hadalu.

- Toi ? Me suivre ? La petite guerrière incapable de se défendre seule ? Causant la mort de ses camarades ?

Leenh se leva d'un bond pour protester. Mais elle se rendit compte trop tard qu'elle était à présent nue devant lui. Ses joues s'empourprèrent et elle en oublia ce qu'elle voulait dire.

Hadalu l'ignora.

- Rentre chez toi, je ne veux pas de toi.

Il fit demi-tour et retourna à son petit campement. Leenh ne bougeait pas. Son regard était perdu dans le vide. Les paroles d'Hadalu l'avaient blessée au plus profond d'elle-même. Elle venait d'être humiliée. Et elle avait honte.

Elle retourna finalement chercher ses affaires. Sythur l'y attendait. Il avait ramené avec lui un énorme poisson. Mais l'appétit de Leenh n'était plus le même qu'auparavant. Le chien n'arrêta pas de la questionner pour savoir ce qui s'était passé. Mais sa maîtresse restait muette comme une tombe. Elle contemplait d'un regard vide la jungle face à elle.

Sythur comprit la source du problème lorsque, quelques heures plus tard, il vit au loin Hadalu suivre l'ancien sentier les ignorant totalement.

Leenh le regarda avec une certaine lueur dans les yeux. Elle devait faire quelque chose. Elle ne savait pas encore quoi, mais elle le devait.

La jeune féticheuse rassembla rapidement ses quelques affaires et pris à son tour le chemin, tout en gardant une bonne distance de manière à ce que Hadalu ne la remarque pas.

Cela faisait plusieurs heures qu'elle marchait. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher et il deviendrait compliquer de suivre les traces d'Hadalu. Elle avait espéré durant sa marche trouver une raison valable pour continuer à le suivre. Mais il fallait se rendre à l'évidence qu'elle n'en avait tout simplement aucune. Devait-t-elle ainsi revenir dans sa tribu et reprendre sa vie morne d'auparavant avec tout le déshonneur qu'incombait sa situation ?

Elle semblait ne pas avoir vraiment le choix.

Il était rare qu'elle s'aventure aussi loin dans la jungle. On pouvait déjà constater des changements infimes dans la faune et la flore.

Soudain un horrible cri inhumain retentit plus en avant.

Le sang de Leenh se glaça. Elle courut aussi vite qu'elle put. Espérant ne pas arriver trop tard. Elle entendit deux autres cris, de douleur semblait-t-il. Elle courut encore plusieurs minutes. Plus aucun bruit. C'était plutôt mauvais signe.

Elle déboucha enfin sur un espace plus dégagé. Ce qu'elle vit à ce moment-là la marqua à jamais.

Un énorme monstre informe était penché sur ce qui ressemblait à un cadavre. L'horrible bête semblait faite de chair pourrissante, des écailles noires parsemaient certaines parties de son corps. Deux énormes cornes droites se dressaient sur ce qui devait être sa tête. Jamais Leenh n'avait vu ou même entendu parler d'une telle créature. Ce qui lui servait de bras pénétrait dans le corps du mort et ressortait chargé d'entrailles et de sang. La bête semblait s'en délecter. C'était son repas.

Leenh était paralysée par la peur. Elle remarqua néanmoins que le monstre semblait être blessé à ce qui devait être un de ses yeux. Du pus n'arrêtait pas de couler de l'orbite.

Malgré tout elle n'osait pas agir. Cette bête l'écraserait en quelques minutes à coup sûr. Or elle souhaitait encore vivre un certain temps.

Puis, sans aucune raison apparente, la bête grogna de mécontentement. Elle se redressa entièrement. Ce qui lui servait de corps devait faire environ trois mètres de haut pour presque autant de large. Elle se dirigea ensuite vers la jungle. Leenh aurait juré sentir le sol trembler à chacun de ses pas. Enfin le monstre disparut totalement.

La féticheuse préféra attendre encore un certain temps pour bouger. Une fois celui-ci écoulé, elle s'avança en compagnie de Sythur vers le cadavre. Ce dernier ressemblait maintenant plus à de la bouillie qu'à un corps, ce qui lui tira une grimace de dégoût. Mais Leenh n'eut cependant aucun mal à le reconnaître. Il s'agissait bien d'Hadalu comme elle s'en doutait. Elle sentit des larmes monter mais elle devait refreiner ses sentiments.

Elle remarqua que sa sacoche avait été épargnée et jonchait sur le sol un peu plus loin. Elle s'en empara et l'ouvrit. Divers ustensiles, communs à tous les féticheurs, y étaient contenus. Néanmoins elle trouva une carte du monde. Elle n'en avait vu qu'une, il y a longtemps de cela, dans la hutte d'un ancien. Il était indiqué dessus un itinéraire qu'Hadalu devait certainement suivre. Elle replia la carte et la mit dans sa propre sacoche. Elle trouva une autre chose intéressante : un mojo. C'était un fragile talisman qui n'était habituellement pas utilisé directement comme une arme. Mais qui aidait les féticheurs à repousser les mauvaises forces ténébreuses... et à faire appel aux bonnes.

Encore un cadeau d'adieu, soupira Leenh. Il alla rejoindre la carte dans sa besace.

Ses doigts sentirent soudain une étrange magie en provenance du fond de la sacoche. Elle en sortit un petit coffret confectionné dans un métal qui lui était inconnu. Des symboles dont elle ne comprenait pas le sens étaient gravés un peu partout. Elle chercha une ouverture sans succès. Il devait être scellé à l'aide d'une puissante magie. Rien n'indiquait ce qu'il pouvait contenir. Une étrange impression la convainquit qu'elle devait trouver un moyen de l'ouvrir. Quelque chose à l'intérieur désirait sortir. Quelque chose de puissant qui pourrait l'aider.

- Je n'aime pas trop ça, fit la voix soucieuse de Sythur derrière elle.

Leenh l'ignora, mais cela avait au moins eu le mérite de la faire revenir à la réalité. Elle ne saurait dire combien de temps elle était restée à fixer le coffre comme si elle avait perdu toute notion du temps.

Elle se dépêcha de l'enfouir dans sa sacoche, comme s'il s'agissait du bien le plus précieux au monde.

Et maintenant ?

Sythur semblait se poser la même question et attendait qu'elle trouve la réponse. Celle-ci frappa Leenh comme une évidence : Elle devait continuer la quête d'Hadalu et en profiter pour trouver le moyen d'ouvrir le coffre. Personne n'irait pleurer sa disparition dans la tribu. Rentrer chez elle maintenant n'aurait aucun sens et le remord finirait par la ronger.

Il était temps de partir à la découverte du monde, mais surtout de trouver des réponses à ces mystérieuses apparitions de monstres et au déséquilibre qui menaçait les Terres sans formes.
Cela faisait un jour complet que Leenh marchait en suivant l'itinéraire indiqué sur la carte. D'après celle-ci, elle devait bientôt tomber sur un petit village du nom de Sulvar. Lieu où devrait se trouver un bateau pouvant lui faire traverser les Mers Jumelles, pour qu'elle puisse ensuite se rendre à Tristram où était tombée la mystérieuse étoile.

La jeune féticheuse ne s'était jamais autant éloignée de chez elle auparavant. La faune et la flore avaient radicalement changé à l'approche de la mer. Elle ne connaissait pas grand-chose du monde extérieur si ce n'est les quelques histoires que racontaient les anciens. D'après ces derniers il existait des civilisations vivant dans d'immenses édifices construits dans divers matériaux. Toujours d'après eux, il était nécessaire pour survivre de se méfier de tous les étrangers car ils pouvaient vous planter un couteau dans le dos à la première occasion.

Leenh avait aussi entendu la légende concernant les trois démons Méphisto, Diablo et Baal. Comment, environ vingt ans plus tôt, des héros avaient réussi à détruire ces démons qui ravageaient tout Sanctuary. Elle n'y avait peu prêté attention, considérant que ces histoires étaient destinées à faire peur aux enfants.

L'air marin emplissait ses poumons. Des ombres hautes et droites se matérialisèrent peu à peu devant elle tandis qu'elle semblait percevoir les bruits de la civilisation humaine. Elle aperçut rapidement ce qui devait être des gardes la regarder d'un oeil mauvais à son approche. L'un d'eux vint à sa rencontre.

- Qui êtes-vous ? Et que venez-vous faire ici ?

- Je m'appelle Leenh et je viens ici pour traverser la mer.

Le garde sembla septique, et plus encore lorsqu'il vit Sythur derrière elle.

- Je croyais que vos tribus préféraient la vie au fond de la jungle.

- Oui en effet, mais je suis chargé d'une mission.

L'homme la toisa du regard.

- Je veux bien vous laisser entrer, mais n'attirez pas trop l'attention sur vous, surtout avec... cette chose. Les membres de vos tribus ne sont pas très bien vus ici.

- Vous en avez déjà rencontré ?

- Oui, mais aucun avec votre accent. Ce sont pour moi des souvenirs à oublier.

Leenh ne chercha pas à en savoir plus. Il pourrait être embêtant que le garde change d'avis maintenant.

- Je ferai mon possible pour partir au plus vite, quant à lui - Leenh pointa Sythur - il saura se montrer discret.

Cela contenta le garde qui retourna à son poste.

- Je vais rester cacher le temps qu'il faudra. Tu sais que je ne serai jamais loin de toute manière, fit Sythur à la féticheuse.

- Contente que tu comprennes. Je te ferai signe si j'ai besoin de toi.

Le chien s'éclipsa et Leenh pénétra dans le village, les yeux écarquillés. C'était la première fois qu'elle découvrait une civilisation autre que la sienne. Les gens vivaient dans d'immenses édifices faits de pierres taillées et portaient des vêtements bien différents des siens. Nombre d'entre eux se retournaient à son passage mais aucun n'alla l'aborder. Elle comprit rapidement que le village accueillait régulièrement des voyageurs de tout horizon. La majeure partie de la population avait semblablement le même teint de peau qu'elle, mais elle rencontra des personnes beaucoup plus pâles, certainement originaires du nord ou de l'autre côté de la mer.

Leenh perçut bien assez vite les quais d'où s'élevaient plusieurs grands mâts. Désirant de ne pas s'attarder outre mesure ici, la féticheuse traça son chemin directement vers le premier bateau. Une dizaine de marins déchargeaient d'énormes caisses et tonneaux, sous l'oeil avisé de ce qui devait être le capitaine. Ce dernier était bien bâti, prêt à affronter les terribles assauts de la mer au côté de son navire. Son visage marqué par de nombreuses tempêtes ne pouvait que confirmer son expérience. Il ne remarqua pas la féticheuse lorsqu'elle s'approcha de lui.

- Excusez-moi...

Le capitaine se retourna vers la malheureuse qui avait la mauvaise idée de l'importuner en plein travail, et eut du mal à cacher sa surprise. Leenh en profita pour enchainer.

- Je cherche à traverser la mer.

L'homme la scruta, visiblement encore surpris par l'arrivée de la féticheuse, avant de sembler réfléchir à ce qu'elle venait de lui dire.

- Et donc vous voulez que je vous fasse traverser ? Je transporte avant tout des marchandises, rarement des voyageurs, et encore moins des femmes. Tout a un prix.

- Un prix ?

Leenh se rappela alors que de nombreuses autres civilisations étaient basées sur un modèle économique avec une monnaie, contrairement à sa tribu qui préférait le troc et le partage. Evidemment, elle n'avait aucun argent sur elle.

- Je n'ai rien pour payer...

- Et bien revenez quand vous pourrez, coupa le capitaine pour clore la discussion dans ce qui semblait être un soulagement.

La jeune féticheuse, dépitée, s'éloigna, non sans un dernier regard venimeux à l'encontre de l'inconnu. Elle marcha quelque temps, sans but précis, puis, se rendant soudain compte de la précarité de sa situation, elle s'assit près de la grêve et enfouit ses mains dans ses cheveux huilés, qu'elle portait détachés. Sythur apparut à ses côtés.

- Tu comptes faire quoi ? Demanda le familier d'un ton mielleux et caressant, celui qu'il utilisait avant de proposer un de ses conseils judicieux. Tu es une étrangère, qui a toujours vécu dans ton monde, avec tes coutumes, tes habitudes, et tu débarques ici en croyant que chaque passant va te tendre la main ! Tu te leurres, Leenh.

- Et que suggères-tu, ô délicieux compagnon ?, s'exclama celle-ci en secouant vigoureusement la tête, faisant tinter ses pesants anneaux de cuivre.

S'il y avait une chose, et une seule, dont Leenh était fière, c'était de sa « tradition » concernant les boucles d'oreilles. Elle s'amusait, depuis toute petite, à en changer au fur et à mesure qu'elle acquérait de l'expérience et du savoir. La première fois qu'elle avait tué un singe dans la forêt, par exemple, elle s'était sculpté des anneaux d'ébène dans l'arbre qui lui avait servi de repère pour guetter sa proie. Elle s'offrait ainsi une sorte de récompense personnelle pour le travail accompli. Et elle se disait qu'elle se devait de troquer ses boucles contre des anneaux d'argent, puisqu'elle était maintenant une vraie féticheuse, même si, pensa-t-elle, elle ne l'était pas devenue avec honneur.

- Gagne de l'argent, répondit simplement Sythur.

- Et comment ? , renifla-t-elle avec dédain. Ces pingres refuseront de me céder le moindre sou d'or...

- Travaille...

- Qu'est-ce que je viens de te dire ?

- Tous les humains ne sont pas comme ce capitaine, ma chère. Certains sont mêmes pourvus d'un semblant d'honnêteté. Et puis, je pourrais toujours les convaincre, avec mes arguments personnels, cracha-t-il en dévoilant ses crocs luisants de bave.

Leenh sourit à cette perspective. Il est vrai qu'elle n'était pas dépourvue de bon sens, et plutôt alléchante. Elle regarda à l'horizon, puis plongea son regard dans les profondeurs de l'eau. Le soleil commençait tout juste à réchauffer l'atmosphère, mais un courant d'air humide, chargé de sel marin, fit frissonner sa peau noire.

- Et où pourrais-je trouver du travail ?

Le chien ne répondit rien, se contentant de désigner une taverne à quelques mètres de là, d'où s'échappaient par la porte un flot d'injures et de cris d'ivrognes et de brigands.

- T'es pas sérieux ?, s'esclaffa-t-elle.

- Je suis au contraire on ne peut plus sérieux. Cette auberge est remplie de gens susceptibles de te renseigner, j'en suis certain !

Il se dirigea d'emblée vers la taverne, Leenh traînant en maugréant derrière lui. Dès qu'elle entra, une odeur suffocante de sueur, de boue et de bière la prit à la gorge. L'endroit était bondé d'individus louches, de marins et de quelques marchands de passages. Au milieu, un cercle se faisait autour de deux hommes soûls qui s'invectivaient en se bourrant de coups de poings maladroits. L'aubergiste, impassible, nettoyait ses chopes, un torchon sur chaque épaule et une mine renfrognée sur le visage. La féticheuse s'avança le plus discrètement possible dans la mêlée, ce qui était plutôt compliqué, étant donné que son corps était recouvert de peintures, qu'elle tenait un imposant masque orné de plumes rouges sang et qu'elle était accompagnée d'un familier pour le moins particulier. Elle se fraya nonobstant un chemin, cahin-caha, jusqu'au tavernier. Deux hommes enveloppés dans des manteaux de voyage à capuche étaient adossés au bar et discutaient à voix basse, penchés l'un vers l'autre. L'aubergiste s'avança nerveusement.

- Vous désirez ?

La féticheuse ne comprit pas immédiatement qu'il s'adressait à elle, et l'ignora.

- Vous désirez ??, répéta-t-il plus fort.

- Euh... Vous avez quoi à boire ?

- Des tas de choses... s'impatienta le tavernier.

- Vous auriez du sang de busard des marais ? se risqua Leenh.

Dans son dos, l'un des deux hommes s'étrangla avec sa bière. L'autre lui tapa dans le dos avec un grand éclat de rire et le tavernier, médusé, fixa la jeune fille en écarquillant les yeux, la bouche grande ouverte.

- Je vous demande pardon ?, bafouilla-t-il en reprenant ses esprits.

- Une bière pour la demoiselle, intervint l'homme qui s'esclaffait. C'est moi qui paye.

- Je..., voulut commencer Leenh.

- J'insiste, assura l'homme en inclinant la tête en un salut respectueux.

- Très bien, accepta la féticheuse en fronçant les sourcils. Elle prit un tabouret et s'assit près d'eux.

L'autre homme, celui qui s'était étranglé, avait retiré sa capuche. Il avait le teint extrêmement pâle et des yeux d'obsidiennes, ainsi que des cheveux noirs de jais.

- Vous êtes un nécromancien, n'est-ce-pas ? , avança-t-elle avec circonspection.

- Je confirme, répondit celui-ci, en détournant le regard.

- Un vrai de vrai, s'amusa l'autre en ôtant à son tour son capuchon.

Son apparence différait en tous points de celle de son compagnon. Aussi mat qu'il était diaphane, il avait le crâne rasé, deux ronds jaunes plus ou moins grands peints sur le front et une barbe drue, tandis que le nécromancien arborait une barbe de quelques jours, qu'il ne cessait de gratter. Les habits aussi étaient totalement différents. Alors que la personne que Leenh identifia comme étant un moine d'Ivgorod portait un ensemble hétéroclite de tissus bigarrés, bleu nuit et marrons soutenus par une ceinture rouge sang, ainsi que des bottes légères en tissu, l'autre était vêtu d'une tunique de mailles, de jambières et d'une cape rapiécée et crottée, tout de noir. Il portait un gant en cuir grossier à sa main droite, l'autre étant posé sur le bar. En bref, tout son équipement contrastait de manière frappante avec son teint blanchâtre. Coincé dans la ceinture du moine, une arme de pugilat à l'aspect terrifiant attira le regard Leenh.

Celui-ci observa son manège et sourit en dégainant son arme.

- Elle est belle, n'est-ce pas ?, s'exclama-t-il. Je l'ai appelée Fleshrake.

- Original, observa la féticheuse.

Le nécromancien la scruta longuement et dit :

- A l'avenir, essayez de vous montrer plus réfléchie au sujet de vos commandes, sinon vous risquez de vous attirer des ennuis.

Et en quoi pourrais-je m'attirer des ennuis?, questionna la jeune fille en le jaugeant du regard.

Il devait avoir une dizaine d'années de plus qu'elle, et semblait être empreint d'un mélange de tristesse et de sérieux. Mais Leenh percevait dans son regard beaucoup d'empathie, et elle en fut surprise au plus haut point.

- Les marins détestent les étrangers, surtout quand ils montrent à quel point ils le sont... chuchota-t-il. Ils n'ont jamais vécu ailleurs qu'ici, et ils voient défiler tant de monde, et surtout d'étrangers qu'ils se sentent en danger en permanence.

- Pourquoi ne nous empêchent-ils pas de passer, dans ce cas ?

- L'argent... Toujours plus d'argent... Le commerce, c'est comme ça qu'il marche.

- Que cherchez-vous ici, demoiselle ? Intervint le moine.

- De quoi me payer la traversée du détroit... Un travail rémunéré à court terme, si vous voulez.

- De quelle nature, votre travail ?, continua l'homme en se penchant vers elle, subitement intéressé.

- N'importe laquelle, du moment que c'est très bien payé, rétorqua-elle. Si cela nécessite de tuer ou d'explorer, c'est encore mieux, j'ai besoin de m'entraîner.

- De vous entraîner ?, dit-il en jetant un coup d'oeil à la dérobée à son compagnon.

Elle ne savait même pas pourquoi elle lui racontait tout ça. Peut-être était-ce sa voix grave et chaude qui la rassurait, ou ses petites rides autour des yeux, ou encore son regard calme et chaleureux qui l'enveloppait, toujours est-il qu'elle se sentait en confiance. Il n'en allait pas de même avec l'autre. C'était sans doute dû à son statut, son origine de nécromancien, dont les compétences se rapprochaient trop de celles des féticheurs. Et sa tribu ne lui rappelaient que trop la mort d'Hadalu et d'Heiss. Elle revit le corps horriblement mutilé de celui qu'elle avait aimé et, à cette pensée, elle eut le coeur au bord des lèvres. Une larme solitaire roula sur sa joue. À sa manière, le nécromancien lui rappelait le féticheur, et elle eut du mal à garder les yeux fixés sur lui.

- N'aie pas peur, féticheuse, mon ami est certes un rustre, mais tu peux lui faire confiance, chuchota le moine, qu'elle avait complètement oublié. Elle remarqua qu'il était passé du vouvoiement au tutoiement, sans doute pour l'apaiser.

- Je..., déglutit Leenh. Elle ravala sa salive. Elle se devait d'être forte, en tant que féticheuse, et de ne rien laisser transparaître de ses émotions. Ma tribu m'a confié une mission à accomplir, avoua-t-elle.

- De quelle sorte ?

- Je... je ne vous connais pas assez pour vous en parler.

- Je comprends, il est normal de ne pas faire confiance à des inconnus. Ecoutez, j'ai peut-être une idée qui pourrait vous intéresser. Nous sommes actuellement sur un travail difficile et un peu d'aide ne serait pas de refus.

- Quel est-il ?

Le nécromancien sortit une boule de parchemin d'une besace accrochée à sa ceinture. Un ricanement étouffé semblant provenir directement de la sacoche se fit alors entendre.

Le moine l'ignora et se saisit de la feuille pour la tendre à Leenh. Elle la déplia avec soin et l'aplatit du mieux qu'elle put sur le bar tandis que le nécromancien tapotait discrètement sur sa besace. Elle préféra ne rien demander pour se concentrer sur ce qu'elle avait sous les yeux. C'était une affiche de mise à mort, rédigée à la plume avec maladresse et empressement :


Offre de 10000 pièces d'or

à qui traquera et tuera La Bête,

qui sème le désespoir alentours

et menace notre belle ville côtière,

et qui ramènera sa tête en guise de preuve

à ser Creanar pour recevoir sa récompense.



- Quelle est cette bête ?, questionna la jeune femme.

- Une sorte de démon cornu, à la chair en putréfaction et aux écailles de jais...

- Par les anciens, murmura la jeune femme.

- Qu'y a-t-il ?, demanda le nécromancien.

- J'ai rencontré ce monstre, sur ma route, répondit-elle, bouleversée.

- Vous avez de la chance qu'il ne vous ait pas tuée, minauda l'homme.

- Il était sur une autre proie, il ne m'a pas vue, ni flairée. L'odeur du sang devait souiller ses narines.

- Nous l'avons croisé, nous aussi, avoua le moine. Il m'a laissé un souvenir, ajouta-t-il avec amertume, en repoussant un large pan de tissu qui lui recouvrait l'épaule gauche.

Une plaie suintante de pus et qui paraissait plutôt profonde courait de son omoplate à sa pomme d'Adam. Elle avait la forme de trois griffes acérées, qui avaient déchiré la chair sans ménagement. La griffe du milieu semblait plus ouverte, moins cicatrisée que les deux autres. La chair tuméfiée prenait une teinte verdâtre peu avenante par endroit.

- Ca guérit mal, grimaça le blessé en rassemblant ses habits sur son épaule. Voilà déjà cinq jours que ça s'est passé. Juste quand nous sommes arrivés.

- Et vous, ne pouvez-vous rien faire pour le soigner ?, questionna Leenh à l'adresse du nécromancien.

Celui-ci lui lança un regard de reproche, puis voyant qu'il n'y avait aucune trace de méchanceté dans les yeux de la féticheuse, esquissa un sourire navré :

- N'allez pas croire que je n'ai pas essayé. Mais mes compétences en tant que guérisseur ne sont pas très développées. Mon truc à moi, c'est les invocations, et, à fortiori, les sortilèges de poison et d'os.

- Je pourrais essayer, si vous me laissez toucher la plaie, avança la jeune fille.

Le moine la regarda avec suspicion.

- Je préfèrerais m'en remettre aux dieux, demoiselle. Ne le prenez pas mal, mais je ne vous connais pas assez pour vous laisser vous occuper de mes blessures.

- C'est à peine s'il m'a autorisé à le toucher, s'amusa le nécromancien.

- Soit. Laissez-moi venir avec vous, fit la féticheuse. Et si je fais mes preuves, peut-être me permettrez-vous de vous soigner, ajouta-t-elle en regardant le moine.

Ces paroles restèrent en suspension dans l'air, lourdes de sens et de compromis.

- Marché conclu, répondit-il, après un instant d'incertitude. Cependant, avant de partir traquer la bête, nous devons nous préparer et connaître vos compétences. Ensuite, si tout se passe bien, nous passerons la nuit ensemble à l'auberge, si cela vous agrée, et nous pourrons apprendre à mieux nous connaître.

- Ça me va, répondit l'autre, un sourire en coin.

Ils se tournèrent vers Leenh. Elle hésitait. Et si elle se trompait? Pourquoi faire confiance à ces deux hommes ? D'un côté elle n'avait pas le choix. Si elle refusait, elle serait contrainte de se débrouiller seule, ce qu'elle appréhendait plus que tout. Et puis c'était une opportunité formidable pour montrer ce dont elle était capable, en tant que jeune féticheuse.

- J'accepte, finit-elle par décréter.

- Merveilleux, sourit le moine. Nous nous rejoindrons devant la taverne à sept heures, puis nous irons ensemble dans les sous-bois. En attendant, je crois qu'il est temps de faire les présentations. Je me nomme Kyoka, de la cité des Patriarches, s'exclama-t-il en avançant la main vers la féticheuse.

- Leenh, des jungles de Torajan. Elle serra la paume tendue avec vigueur.

- Zayl, ajouta le nécromancien en tendant sa main. Le contact glacé avec sa main la fit tressaillir, tandis qu'au même moment un nouveau gloussement se fit entendre de la besace. Une voix étouffée et moqueuse s'éleva alors :

- Humbart ! Enchanté petite !
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