Fanfiction Diablo III

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Renaissance

Par Gerakis
Les autres histoires de l'auteur

Prologue

Chapitre 1 : Dundswall

Chapitre 2 : Le Bord du Monde

Chapitre 3 : Les liens passés ou futurs

Chapitre 4 : Detheron

Chapitre 5 : Par delà le Bord du Monde

Chapire 6 : Celle qui aimait le soleil

Je me rappellerais toujours de l'instant où j'ai pu absorber une nouvelle âme. Où mon corps flétri par la mort s'est mit à fleurir de nouveau. De l'afflux d'émotions qui m'a fait trembler et du sang qui a fait battre mon coeur, de l'air qui a rempli mes poumons. C'était une expérience incroyable, un évènement qui a radicalement changé mon existence. Cet instant, comme des milliers d'autres depuis, ont marqués ma mémoire et mes souvenirs, effaçant presque les traces de mon passé abject. Évidemment il est impossible d'oublier les morts ainsi que la souffrance que j'ai semée sur Sanctuary mais au contact de nouvelles personnes, d'amis, d'amour, j'ai pu refermer certaines plaies. Mais ce ne fut pas facile car au commencement ma compréhension du monde était très limitée, j'avais oubliée comment vivre. J'étais seule. J'aime dire que Lynésis m'a apprit à respirer dans ma nouvelle vie, je lui dois beaucoup et ne la remercierait jamais assez.

Je me rappellerais de ce moment où j'ai pu vivre de nouveau. Je me rappellerais toujours de cet instant, de ma renaissance.

- Crista -
Là où elle marchait il n'y avait personne, elle était seule. Ses pas l'emmenèrent si haut dans les montagnes que les nuages paraissaient à portée de main. Son compagnon, le vent, soufflait doucement les histoires du temps à ses oreilles. Cela lui vidait totalement l'esprit, il n'y avait que dans ces instants qu'elle arrivait à trouver sa plénitude. La neige se mariait avec la roche et la pierre, le voile blanc d'une noce magnifique. De délicats flocons voletaient tranquillement comme autant de témoins de cet évènement. Il n'y avait qu'un chemin au bord du gouffre, elle n'avait pas peur de regarder en bas, elle s'arrêta même pour contempler le vide. Une vallée enneigée aux reflets éclatants. Elle avait ignorée trop longtemps ce monde, elle l'avait ravagée avec trop d'ardeur, le mettant à feu et à sang. A présent chaque détail brillait comme une merveille. Une merveille trop précieuse pour être gâchée ou détruite. Elle attrapa une poignée de neige, ses doigts nus furent mordus par le froid mais malgré la douleur la jeune femme sourit. Se redressant elle reprit sa marche, les yeux rivés vers l'horizon. Elle se rendit compte à quel point la nature l'impressionnait : il s'agissait de l'univers qu'elle admirait le plus. Quelques temps plus tôt son coeur n'aurait pas était affecté par la beauté de la vie, gonflé d'indifférence. Crista avait beaucoup changée, beaucoup plus que n'importe qui.

_______________


La silhouette vêtue de noir avançait lentement dans les rues de Dundswall, une petite ville du Nord. Ses bottes de cuir s'enfonçaient dans la boue neigeuse collée aux pavés, un manteau d'épaisses fourrures couvrait tout son corps, une capuche cachait sa tête. Malgré la masse des vêtements elle se déplaçait d'une manière souple et gracile. Au niveau de sa ceinture on voyait dépasser une garde d'épée. Elle se fraya un chemin dans la foule affairée, sans jamais se faire bousculer. S'écartant de la voie principale elle s'engagea dans une ruelle déserte et étroite. Un mendiant s'écroula à moitié devant elle, totalement transit par le froid son visage était éclaté par les engelures, ce fut à peine si il arriva à expirer un râle. La marcheuse s'arrêta, se baissa et prit la main du pauvre. Elle se plongea un instant dans le regard de l'homme, au vu de son état il n'allait sûrement pas passer l'hiver. Doucement elle déposa une pièce d'or dans la paume du type. Il bafouilla des remerciements et s'effondra en arrière.

En s'avançant un peu plus dans la rue des rires et de la musique résonnèrent contre les pierres froides. A quelques mètre une enseigne représentant une choppe pendait au dessus d'une lourde double porte de bois. Elle passa devant la taverne et continua sa marche pendant encore de longues minutes. La ruelle serpentait entre les vieilles maisons pour finalement commencer à s'élargir en un long escalier. Sur sa droite, derrière les bâtisses, se dressait le mur d'enceinte de la ville. Au bout du chemin se trouvait un petit fortin enfoncé entre deux tours de garde. Il s'agissait de la caserne de Dundswall. Contrairement à la plupart des cités nordiques celle-ci n'était pas majoritairement habitée par des barbares mais par un peuple plus sédentaire qui avait grandit grâce au commerce.

La herse qui ouvrait le bâtiment militaire était gardée par deux soldats. Ils saluèrent l'arrivante d'un signe de la main et la laissèrent entrer en souriant. La silhouette encapuchonnée s'avança et parcouru un long couloir principal bordé de porte, les dortoirs, pour finalement déboucher sur une pièce principale ou se dressait un imposant bureau. C'était une petite fraction du fort et la seule partie que connaissait la marcheuse. Des armes d'apparat étaient accrochées aux murs. Les décorations surplombaient une table recouverte de parchemins qui était encadrée par des bibliothèques. Un homme au cheveux grisonnant était assis dans un fauteuil de cuir rembourré. Il avait une posture très droite, militaire. Un sourire illumina immédiatement son visage dur en voyant la nouvelle arrivante entrer. Il se leva en prenant une canne appuyée contre la table, sa jambe droite ne paraissait plus très souple.

« - Crista... Vous êtes enfin revenue ! lança l'homme d'une voix chaleureuse.
- La chasse fut plus longue que prévu, mais j'ai trouvée les assassins des trois familles de fermier. »

D'un geste elle jeta un sac de toile dissimulé sous son large manteau de fourrures. Une partie du contenu se déversa : Des têtes couverte de givre. Il ne s'agissait pas de visages humains mais de monstrueux démons aux crocs pointus et aux cornes rabotées. Le soldat grimaça, heureusement le froid empêcha une horrible odeur de se répandre dans la pièce. Il aurait pu être choqué par ce geste théâtral mais il avait l'habitude des manières étranges de la guerrière.

« - Des démons... Ils ne sont donc plus très loin... »

Accablé par ce qu'il venait de voir l'homme retomba sur son siège en soupirant bruyamment. La chasseresse retira enfin son manteau et le jeta sur le dossier d'une chaise.

Sa peau était pâle comme la lune, ses cheveux noir charbon. Ils étaient très courts, Crista avait dû les raser car ils avaient été ravagés durant son existence de mort-vivante. Ce qui frappait le plus était le contraste entre son âge apparent, son visage devait faire dix-huit ans, et la dureté de son regard. Il était si sombre et si profond que personne arrivaient à le soutenir. Partout où elle allait Crista intriguait. Elle avait énormément d'expérience pour une personne aussi jeune, sauf en relations humaines. Peu arrivait à saisir la distance qu'elle prenait et ses manières parfois étranges, l'impression qu'elle cachait quelque chose de terrible.

Elle posa une main sur le pommeau de l'épée qui pendait à sa ceinture et se redressa, bombant la poitrine.

« - Durant ma traque je n'ai pas remarquée d'autres traces d'éventuels éclaireurs. Les démons semblent ralentir l'offensive et se tournent vers le Khanduras, affirma Crista.
- Les gens sont de plus en plus inquiets... Avec l'hiver qui se déclare et l'afflux de réfugiés nous ne sommes pas sûrs d'avoir assez de nourriture pour tout le monde. Sans compter que les caravanes se font rares, plus personne ne veut prendre le risque de commercer avec le Nord.
- Oui cet hiver va être long, Dantön. »

Crista avait finalement assez peu de contact avec la ville. Elle s'était établit ici après avoir errée plusieurs semaines sur les terres dévastées du Nord. La guerre avait commise son lot de ravages. Quand elle était arrivée Crista s'était directement faite remarquée en aidant des soldats contre l'élimination d'un groupe de démon. Son adresse incroyable à l'épée avait tout de suite fait le jeu des rumeurs relayées par les militaires survivants. On parlait d'une combattante incroyable qui décapitait les monstres par rangs entiers, une déesse de la guerre implacable envoyée par la Grâce suprême. Dantön avait tout de suite voulu savoir la vérité et il avait demandé à ses soldats de la conduire à lui.

Jamais il ne se serait attendu à faire face à un si jeune visage. La déjà mythique guerrière paraissait à peine sortir de l'adolescence. Bien qu'elle portait une armure étrange et des armes de bonne qualité le capitaine de la garde n'arriva pas à croire que Crista aie tuée plus d'une dizaine de démons ce jour là. Mais lorsqu'il croisa le regard de la si jeune inconnue il fut choqué. Si la guerrière commençait à s'adoucir au contact de son nouveau peuple elle restait dure et souvent très froide, ses yeux noirs avaient fixés Dantön avec une telle intensité qu'il en avait frémit. Il avait alors accordé une récompense à la mystérieuse combattante qui était repartit sans dire un mot. Quelques semaines après elle était revenue avec les têtes de plusieurs démons... L'homme n'avait pas pu s'empêcher de la questionner sur ses origines. Bien que d'abord peu loquace Crista avait fini par s'attacher à Dantön. Plus de six mois après son arrivée il représentait la seule personne avec qui elle avait nouée de véritables liens. Après ses traques elle restait parfois manger avec lui et ils avaient échangés plus que quelques mots. Bien entendu elle n'avait jamais parlée de son vrai passé, cela aurait bien trop effrayant et inconcevable... Pour l'homme elle était la fille d'un maître d'arme du Khanduras et avait apprit à combattre depuis sa naissance. Bien que Dantön se soit satisfait de l'explication il restait perplexe lorsqu'il voyait l'implacable Crista. Peu de personnes au monde pouvaient se targuer de « chasser » les démons. Le vieux capitaine avait lui-même combattu ces monstres et il gardait de vilaines cicatrices sur le corps, ainsi qu'une jambe brisée qui avait perdue toute sa souplesse. Bien qu'il détestait cette engeance il n'aurait jamais voulu croiser de nouveau le fer avec les infernaux.

Crista l'aimait bien, pour son courage et sa droiture.

« - Demain je vérifierais les voies de l'est, si une armée vient ce sera par là, c'est ce que je ferais à leur place, expliqua la guerrière. »

Le fait que Crista pense « comme eux » étonna de nouveau Dantön. Néanmoins il savait que la jeune femme avait raison, c'était la route la plus directe.

« - Je doute que nous puissions résister bien longtemps en cas d'assaut majeur, il ne nous reste plus beaucoup de troupes.
- Vous devriez partir vers le Nord. »

Dantön haussa les épaules, il avait déjà discuté de ça durant de longues heures avec Crista.

« - Il n'y a rien au Nord, pourquoi partir vers ces terres désolées ?
- Il y'a les restes de la résistance barbare, ils vous accueilleront.
- Ou nous les affameront par notre nombre et ils ne passeront pas l'hiver. »
Le regard glacé que lui lança la jeune femme lui fit l'effet d'une bourrasque de blizzard.
« - Vous ne voulez pas partir à cause des rivalités qu'il y a entre les barbares et vous, peuple civilisé. Mais l'heure n'est plus à ce genre de détails car sans union Sanctuary ne triomphera jamais, jeta Crista d'un ton tranchant. »

Dantön avait prit l'habitude des phrases directes et parfois brutales de son interlocutrice. Il savait que malgré sa dureté apparente elle ne souhaitait que le bien de Dundsvall. En réalité il avait comprit que cette distance cachait plutôt un malaise flagrant de Crista avec les gens.

« - Si cela ne tenait qu'à moi je partirais. Mais les habitants sont attachés à leurs terres, si nous partons et laissons tout aux démons pourquoi nous battre ?
- Pour gagner du temps.
- Oui... Vous avez probablement raison. Mais personne ne voudra partir, surtout que peu croiront arriver à rejoindre les montagnes du Nord en vie avec l'hiver qui s'annonce. Et je ne pourrais laisser cette ville sans défenses alors je resterais moi aussi. »

Crista tira sa chaise et s'assit enfin. Elle ferma un instant les yeux, comme si la réponse de Dantön lui paraissait totalement aberrante. D'une voix sans concession elle ajouta alors :

« - Préfèreront-ils la torture et la mort la plus affreuse ?

Le visage du capitaine se rembruni, la jeune femme était peut-être allée un peu loin en prononçant ces mots sur un ton glacé de rage. Mais la colère reflua immédiatement car l'homme était conscient que cela pouvait tout à fait arriver. Il soupira et se sentit vraiment très vieux, ces guerres affreuses il aurait préféré les laisser derrière lui. Voyant l'abattement de Dantön Crista esquissa ce qui s'apparentait à un sourire, ce qui était rare.

« - Je ne les laisserais pas faire, murmura t-elle.
- Ce sont les dieux qui vous envoient mademoiselle... Qu'ils vous donnent la force de nous sauver tous.
- Je ferais de mon mieux. »

Elle empocha la récompense pour avoir exterminé les démons qui assassinaient les fermiers isolés dans la montagne. Dantön lui serra vigoureusement la main et la remercia encore une fois pour l'espoir qu'elle apportait à Dundswall. Lorsqu'elle traversa le couloir des dortoirs plusieurs soldats sortirent pour la saluer. A l'extérieur de la caserne plusieurs citadins s'étaient amassés en entendant la nouvelle de l'arrivée de la guerrière en ville. Elle était connue comme le fléau des infernaux, celle qui osait se dresser contre l'invasion. On criait son nom et on l'encourageait. Le coeur de la jeune femme se mit à battre plus fort et malgré le vent glacé son corps transpirait. Elle fit quelques signes de la main pour saluer les habitants mais en réalité la gêne qu'elle ressentait lui nouait l'estomac. Ces mêmes personnes qui l'acclamaient aujourd'hui elle en avait massacrée des centaines dans sa précédente existence. Elle quitta rapidement la ville alors que les gens se pressaient aux balcons pour la regarder. Certains la suivirent jusqu'aux portes pour lui demander quand est-ce qu'elle tuerait Azmodan. Face à l'absurdité de la question elle se contentait d'afficher un sourire hésitant, incapable de prononcer un mot de sa gorge étranglée.

La jeune femme s'éloigna vers l'épaisse forêt qui entourait Dundswall. Ses pas faisant crisser la neige alors qu'elle disparaissait entre les arbres. Une vague de chaleur lui chatouilla l'abdomen et remonta le long de sa poitrine jusqu'à son cou. Le fourmillement agréable s'arrêta et une petite main dorée s'extirpa du col de son manteau. Lynésis se colla à la joue de Crista, la fée ne sentait pas le froid mais préférait rester à l'abri du vent.

« - C'est courageux ce que tu fais... »

La petite voix de l'être surnaturel adouci le visage de la guerrière. Elle considérait la fée comme sa plus proche et unique confidente, celle avec qui elle aimait partager ses pensées. Elle lui devait sa renaissance.

« - Merci...
- Mais il va falloir que tu partes retrouver Jotun, il a réellement besoin de toi.
- Ne pourrait-il pas venir me voir ? demanda Crista.

Cette conversation avait déjà eue lieu et les réponses seraient toujours les mêmes.

« - Non, il est dans un état particulier... Il peut communiquer avec moi directement, je ne sais comment.
- Et il a besoin de moi en personne. Je connais la suite... »

Jotun le druide était extrêmement puissant, si il ne pouvait se déplacer c'est que la situation devait être très compliquée de son côté. Crista savait qu'il agissait avec Drekkor Lame-Tonnerre, le chef de la résistance barbare. La jeune femme avait en quelque sorte une dette envers le druide qui l'avait aidée à reprendre son âme. Traverser le Nord à pied ne serait pas un voyage facile, surtout avec les patrouilles des démons, mais en réalité Crista ne voulait pas partir pour d'autres raisons.

« - C'est bien de vouloir protéger Dundswall, commença doucement Lynésis, mais tu ne pourras pas arrêter une invasion. Si les humains ne veulent pas partir tu ne peux rien y faire, ça ne sera pas de ta faute. »

Après les massacres qu'elle avait commit Crista avait prit à coeur de défendre la petite ville. Elle aurait tant voulue persuader ses habitants de s'exiler vers des terres plus sûres, mais même si la jeune femme était appréciée de tous elle restait une énigme pour les nordiques et peu accepteraient de la suivre dans les dangereuses montagnes en plein hiver.

« - Je sais, avoua sombrement la guerrière, mais peut-être que si nous arrêtons les démons ici... Si Jotun envoyait des renforts... »

Crista ne croyait pas en ses propres mots et sa phrase s'arrêta. Elle savait qu'en terrain découvert aucune armée arrêterait la déferlante infernale. Lynésis capta la tristesse de son amie et essaya de la réconforter.

« - Peut-être que les démons n'attaqueront pas, trop occupés par le Khanduras et que tu aura le temps de revenir plus tard mais pour le moment ta mission est trop urgente. Jotun t'a laissé du temps pour t'habituer à ton nouveau corps et à ta nouvelle vie, néanmoins je sais que tu ne comprends pas encore tout à fait les mécanismes de cette existence, sans vouloir te vexer...
- Tu ne me vexes pas, Lyn.
- Mais tu dois suivre les plans de Jotun. Dans cette partie de Sanctuary il est encore le seul à pouvoir agir de manière déterminante sur le conflit. Et tu es probablement la meilleure combattante du Nord, vous pourrez changer des choses à deux. »

La meilleure combattante ? Humaine peut-être. Mais les démons étaient de formidables adversaires. Lorsqu'elle était mort-vivante Crista était plus forte, plus rapide, inépuisable, insensible à la douleur et à la peur. Ses plaies se refermaient après quelques heures à peine. Maintenant il ne lui restait plus que son expertise et sa dextérité à la limite des capacités humaines. Elle ne pouvait plus courir sur des lieues sans s'épuiser où affronter des dizaines d'adversaires en même temps. Et même si la détermination et le courage guidaient son bras la peur menaçait toujours les portes de son esprit. Elle était faillible. Crista s'en était rapidement rendue compte et cela avait été très dur à accepter. Quelques mois auparavant elle était tombée malade après une blessure et avait faillit mourir. Sans la magie de Lynésis pour la renforcer et la maintenir elle serait morte d'une septicémie. Depuis sa confiance avait diminuée et elle savait qu'elle devait prendre conscience de ses limites pour de pas périr stupidement, ce que la jeune femme avait encore du mal à faire.

« - Écoute, j'irais vérifier qu'aucune armée approche Dundswall demain, et si c'est le cas je partirais immédiatement pour le Nord. Sinon j'avertirais au moins les habitants et j'essayerais de ralentir l'avancée des démons en détruisant le pont qui enjambe la Veine de Givre. »

La fée hocha la tête, elle n'aurait pu en demander plus de la part de Crista.

Durant leur conversation les deux amies s'étaient enfoncées dans la forêt, les branches écrasées par le poids de la neige prenaient un aspect lugubre à la nuit tombante et le froid devenait plus pénétrant. Il n'était pas rare de tomber sur des loups affamés par l'hiver et affronter une meute entière ne plaisait pas vraiment à Crista. La jeune femme accéléra donc le pas, ses bottes soulevant des monceaux de neige. N'étant pas à l'aise en pleine ville la guerrière s'était installée à l'extérieur, au pied des montagnes.

L'endroit était difficile d'accès, il fallait quelques minutes d'escalade ardue pour y parvenir, c'était un moyen certain pour que personne ne tombe dessus par hasard. Il s'agissait d'une petite caverne creusée dans une falaise. Il n'y avait qu'une pièce sommairement aménagée avec un épais rideau sombre pour couper le vent extérieur. Crista alluma un feu et se laissa tomber sur sa paillasse, les flammes firent fondre les flocons qui s'étaient accumulés sur son manteau. Son repaire n'était pas très confortable mais il disposait de toute la tranquillité nécessaire à l'équilibre actuel Crista. Les émotions se bousculaient souvent dans son coeur maintenant capable de ressentir, et elle avait encore du mal à interpréter et à comprendre certaines de ses réactions. Ce sentiment la frustrait énormément, elle avait l'impression de ne pas pouvoir vivre pleinement. Près des hommes elle paraissait distante alors qu'elle souhaitait nouer des liens, ne sachant comment réagir elle affichait cet air d'impassibilité. En réalité elle se sentait très seule. Sans la compagnie de Lynéisis Crista n'osait pas imaginer ce qu'elle serait devenue. Fatiguée de ses longues marches et de sa journée la guerrière s'allongea en se couvrant d'une épaisse fourrure.

Elle mit longtemps à s'endormir et lorsque ses yeux se fermèrent ce fut pour revoir son affreux passé. Les cauchemars ne furent pas intenses et pour une rare fois Crista ne se réveilla pas en sursaut au milieu de la nuit, peut-être parce que son esprit était occupé par d'autres choses, focalisé par sa mission future.

La guerrière s'éveilla après ce sommeil agité, le soleil se levait à peine et le feu s'était éteint. Comme d'habitude le froid lui servit de réveil. Ses muscles engourdis s'étirèrent de sous sa couverture, lentement elle se leva pour manger les provisions gardées de côté. Alors qu'elle commençait à sortir totalement des brumes du sommeil un mauvais pressentiment l'envahit, son esprit devint nerveux. Crista prit ses armes et poussa le rideau elle devait s'assurer de quelque chose.

Au loin une épaisse colonne de fumée s'élevait dans les airs. Un noeud serra la gorge de la jeune femme, elle avait trop souvent vue ce genre de phénomène pour ne pas savoir de quoi il s'agissait. Entièrement réveillée, agitée, le coeur battant, elle entreprit de descendre de sa cache pour rejoindre la ville. Elle alla si vite qu'elle manqua de tomber et se rompre le cou, mais ses réflexes lui accordèrent de se rattraper au dernier moment à une autre prise. Sautant les derniers mètres elle commença à courir à toute vitesse. Crista connaissait bien la forêt et ses raccourcis. La neige alourdissait ses pas mais il ne lui fallu pas longtemps pour parcourir les kilomètres qui la séparait de son objectifs. En chemin elle remarqua plusieurs détails qui ne firent que confirmer ses inquiétudes : Le sentier principal qui traversait les bois avait été récemment piétiné par de nombreux pas. Une armée. D'après le sens des traces cela provenait de l'Est, par delà la Veine de Givre.

Les yeux humides et le corps en sueur Crista accéléra et tomba face aux murs meurtris de sa ville. Au pied des portes enfoncées des dizaines de cadavres humains et démons. L'attaque nocturne et soudaine avait sûrement dû prendre les habitants par surprise. Crista connaissait les tactiques des infernaux : Cela avait dû commencer par un bombardement massif de sorts et de catapultes pour semer le désordre. Ensuite les légions avaient dû déferler pour achever la résistance. En tant normal la guerrière aurait du être réveillée par l'affrontement car les échos d'une bataille pouvaient porter très loin dans les montagnes. Mais cette fois-ci la fatigue l'avait trop abrutie et elle n'avait pas fait de cauchemars capables de la réveiller. Rendue amère par l'ironie du sort un goût infect emplit la bouche asséchée de Crista

Dégoûtée et tremblante de colère elle s'approcha des corps. Si elle avait vue trop de cadavres dans sa vie pour être choquée l'odeur de chair carbonisée restait difficile à soutenir. Elle reconnue plusieurs des hommes qui l'avaient acclamée la veille, leur visage plein d'espoir à présent figés dans la mort. Crista sera les poings lentement essayant de calmer sa respiration. Elle continua d'arpenter les ruines, peut-être restait-il un survivant. Prenant la direction de la caserne elle se mit à courir, évitant habilement de déraper sur les pavés gelés. Les rues désertes étaient parfois encombrées de ruines et Crista du escalader plusieurs pans de murs écroulés. Lorsqu'elle arriva au fortin de Dundswall la guerrière se figea. Des dizaines de soldats gisaient dans la neige, leurs plaies avaient coagulées et leur peau givrée rendait leur expression douloureuse. Elle trouva le corps du capitaine Dantön au milieu de ses hommes. Il portait trois entailles à la poitrine et une flèche était plantée dans son bras, sa main crispée autour d'une épée brisée.

Crista s'agenouilla, ses yeux fermés suffirent à peine à contenir les larmes qui perlaient le long de ses joues. Son coeur serré lui fit mal à la poitrine. Depuis sa renaissance elle avait eue qu'un ami et il était allongé dans la neige, assassiné. Une ride de colère déforma son visage, elle n'était plus habituée à ressentir ces affreux sentiments et la tête lui tourna.

« - D'accord... Je vais les tuer. »

Son murmure n'échappa pas à la fée qui était juste derrière elle. La créature se posa sur son épaule.

« - Je suis désolée. »

Les larmes de Crista étaient déjà sèches. Elle connaissait la guerre mieux que quiconque et avait conscience des risques que cela impliquait. Mais la rage se mit à la brûler, la rage de n'avoir rien pu faire, la rage contre l'absurdité de ce massacre, contre les humains qui n'avaient pas voulus partir mais surtout contre cette engeance hideuse qu'était les démons. L'ironie cruelle de la situation serra les mâchoires de Crista. Elle s'était nourrit des carnages pendant cent ans et en cet instant elle en souffrait. Les muscles contractés la jeune femme glissa une pièce d'or dans la main de Dantön, c'était une tradition pour que les morts payent le Passeur.

Encore tremblante de colère la jeune femme ferma son manteau et mit sa capuche. Elle quitta les décombres fumant de sa terre d'accueil et s'engagea sur son nouveau chemin. Il n'y avait qu'un seul moyen de traverser les montagnes qui protégeaient l'accès au grand nord : une vallée dans laquelle s'écoulait une rivière glacée surnommée la veine de givre. Si l'on suivait cette voie difficile on pouvait espérer atteindre les Terres de l'Effroi, où se situaient les restes de la résistance nordique. C'était le seul endroit où les démons n'arrivaient pas à dominer et où les humains pouvaient piéger chaque parcelle de terrain. Évidemment cela avait poussé Azmodan à s'en prendre aux autres peuples de Sanctuary.

Pour l'instant le ciel était clair et aucun blizzard ne pointait à l'horizon. Crista pouvait avancer sans trop souffrir du temps. Ses pensées étaient totalement obnubilées par Dundswall, les souvenirs des conversations avec Dantön ne cessèrent de la harceler. Son regard était sombre et elle se plongea dans un profond mutisme. Elle s'arrêta en fin de journée pour manger une partie de ses rations et se trouver un endroit pour dormir sans mourir gelée. En cherchant bien elle trouva un renfoncement entre les racines d'un vieil arbre colossal. Gardant ses armes à portée la jeune femme s'enroula dans son manteau et prit la fée contre elle sous l'épaisse cape. Lynésis avait la faculté de dégager une chaleur magique supplémentaire très agréable, l'être surnaturel ne craignant absolument pas la température hivernale.

Crista s'éveilla soudainement, le corps trempé de sueur, secouée et haletante. Ses yeux écarquillés voyaient encore Dundswall brûler. Dans son cauchemar c'est elle qui y mettait le feu et qui en tuait les habitants. Elle était sous les flocons, la nuit avait été froide et mauvaise. Entre les nuages un soleil timide commençait à peine à étendre ses rayons jusqu'au sol blanc. Lynésis se blotti dans le cou de la jeune femme, un picotement agréable parcouru la nuque de Crista. La fée savait quand son amie était victime d'un horrible rêve, la seule présence de Lynésis réussit à chasser les images qui persistaient dans la tête de la guerrière. Encore nerveuse Crista se redressa et frictionna ses bras ankylosés par le froid. Avant de manger elle réalisa quelques étirements pour que son sang circule de nouveau correctement, il lui restait encore beaucoup de route à parcourir et elle ne perdit pas trop de temps. Longeant de nouveau la Veine de givre la météo s'améliora de nouveau, les flocons disparurent et le soleil se fit plus présent. Un tel éclairci en hiver était rare, Jotun aidait-il Crista en secret ? Ce n'était pas impossible.

Lorsque le zénith pointa un cri strident attira l'attention de la voyageuse. Elle avait entendue ce genre de hurlement de trop nombreuses fois pour ne pas l'identifier immédiatement : Il s'agissait d'un démon. Le son provenait de devant elle, les bois traversés été trop épais pour permettre une vue directe sur la source. Crista accéléra le pas et déboucha sur une petite clairière puis regarda de l'autre côté de la rivière qu'elle longeait.

Un homme se battait seul contre quatre démons. Avec lui se tenait un garçon de seize ans au maximum. L'adulte, bien qu'âgé, paraissait habile et maintenait ses assaillants à distance avec une hache. Néanmoins les monstres l'auraient probablement à l'usure... Crista sentit la colère monter de nouveau en elle, après le carnage de Dundswall tuer des démons lui fouettait le sang ! Mais il fallait traverser la Veine de Givre à la nage ce qui pouvait s'avérer très dangereux, voir mortel. Néanmoins la haine ressentie part la guerrière était beaucoup trop forte pour être contenue.

Les monstres n'avaient prêtés attention à sa présence, trop occupés au combat. Inspirant profondément elle laissa tomber son lourd manteau sur le sol, le vêtement imbibé d'eau ne ferait que la gêner lors du combat. Elle fit un pas en arrière puis s'élança d'un coup.

Quelque mois auparavant ce plongeon n'aurait fait que détremper Crista. Mais à présent le contact glacial de l'eau manqua de la foudroyer sur place. Son coeur se serra et un fourmillement douloureux parcouru son corps. Si elle s'arrêtait de bouger une seconde elle serait emportée par le courant et totalement gelée. Elle se mit à nager aussi vite qu'elle pu, c'était bien plus épuisant qu'elle ne l'aurait cru. Les démons la remarquèrent enfin, l'un d'eux ne pu s'empêcher de ricaner en s'approchant de la berge. Il tenait une épée longue crantée à l'allure vicieuse. Il pensait sûrement achever la nageuse d'un coup unique.

Crista n'était plus qu'à quelques mètres et elle avait à nouveau pied, se redressant d'un seul coup elle dégaina son épée longue en projetant des gerbes d'eau dans les airs. Ce mouvement gracieux et impressionnant n'avait qu'un seul but : détourner l'attention de son autre main qui projeta rapidement une dague en direction de l'infernal. Le monstre ne comprit pas tout de suite pourquoi il n'arrivait plus à respirer... Le couteau s'était planté dans sa gorge jusqu'à la garde, il resta un instant sans bouger puis s'effondra dans l'eau.

Poussant des hurlements de rage les deux autres démons s'élancèrent vers Crista. La jeune femme fit mine d'être essoufflée après son arrivée soudaine, baissant sa garde. Le premier infernal leva haut son épée en pensant abattre sa victime rapidement. Vive comme l'éclair Crista esquiva d'un pas de côté et plongea son arme entre les côtes du monstre. Mugissant il tenta d'accrocher la lame avec une de ses mains, mais l'humaine lui arracha un monceau de chair et plusieurs doigts d'une torsion de poignet. Il tomba à genou alors que le second démon débarquait. Celui-ci avait une hache et tenta un coup en diagonal pour fendre l'épaule de son adversaire. Rompue à ce genre de méthode brutale Crista avait déjà anticipée la manoeuvre : Une seconde dague avait été dégainée de sa main libre et elle bloqua l'arme de l'attaquant au niveau du manche. Proche de son ennemi la jeune femme lui donna un coup de pied pour le faire reculer. Le monstre trébucha sur une racine qui dépassait à peine de la neige, tombant à la renverse il n'eut pas le temps de voir l'épée de Crista s'enfoncer dans son ventre.

Alors qu'il expirait la guerrière se retourna pour vérifier que son premier adversaire été bien mort. Il tentait en fait de se relever. Lorsqu'elle s'approcha il leva une lame tremblante que la jeune femme n'eut aucun mal à dévier. D'un revers elle l'égorgea. Le dernier démon combattait le vieil homme et avait réussi à le désarmer. Crista s'élança vers lui alors qu'il s'apprêter à achever sa cible. Jaugeant la guerrière beaucoup plus dangereuse il tourna son coup vers elle. Le démon maniait une lourde masse qui décrivit un arc de cercle meurtrier. Utilisant sa botte secrète Crista se jeta au sol en pleine course et exécuta une roulade en avant pour éviter l'attaque. Elle se rétablit juste à la droite du monstre et le frappa à la hanche avec son épée. Mais par un mauvais coup du sort l'arme ripa sur la cotte à écaille du monstre alors que Crista avait bien essayée de viser les jointures de l'armure... Une dague aurait été plus précise car plus fine mais la guerrière avait changée de style de combat. Surprise de son échec l'humaine ne pu éviter la frappe qui suivit. La masse du démon l'atteignit au ventre, le choc lui coupa la respiration et l'envoya au sol. Le monstre enchaîna en voulant exploser la tête de Crista. Sur le dos la jeune femme voyait des étoiles danser devant ses yeux, elle leva son épée pour arrêter le coup. Si la parade fonctionna sa lame se brisa net et son bras fut totalement ankylosé par la puissance de l'attaque. Pestant face à autant de malchance Crista roula sur elle-même pour éviter de se faire broyer par l'offensive suivante. Elle se releva tant bien que mal, épuisée.

Le démon hideux exulta et s'approcha lentement, profitant de son avantage. Mais la guerrière savait que plus les infernaux était bas dans la hiérarchie plus il était aisé de leur faire croire qu'ils avaient le pouvoir et dominait la situation. Crista jeta son arme brisée au sol et passa une main dans son dos. D'un geste rapide elle projeta sa dague. Le lancer était prévisible et le monstre s'esclaffa bêtement en esquivant le couteau. Mais il n'avait absolument pas prévu le second assaut. D'un mouvement circulaire et souple Crista envoya une autre dague prise dans son dos. Cette fois-ci la lame alla se planter dans l'oeil de l'infernal avec suffisamment de puissance et de profondeur pour lui percer la cervelle et le tuer instantanément.

Malgré sa victoire Crista tenait à peine debout, elle tituba jusqu'à l'homme qu'elle avait sauvé. Ce ne fut pas tant les coups reçu qui l'affaiblissait à ce point mais plutôt son plongeon dans la Veine de Givre.

« - Tout va bien ? »

Articula t-elle lentement, engourdie par le froid. Le type hocha la tête et s'approcha d'elle en la voyant grelotter. Détrempée et secouée par le vent glacé la guerrière tomba d'épuisement. Avant de sombrer dans une semi inconscience elle sentit des bras la retenir. Elle essaya de se redresser et de s'accrocher mais c'est à peine si elle arriva à bouger le bout de ses doigts.
J'ai vécue une grande partie de ma vie dans le grand Nord. Ce pays glacé est magique, c'est un endroit magnifique et mortel. Une toile dangereuse dans laquelle on peut facilement laisser sa vie si on n'y prend pas assez garde. Les hommes qui y vivent sont forts physiquement et mentalement, j'ai toujours apprécié leur sens de l'honneur bien qu'ils soient parfois têtus et très fiers. Les montagnes glacées recèlent mille dangers et mille trésors, on peut être soufflé par le blizzard, emporté par une avalanche où dévoré par un monstre affamé mais on admire la beauté de la neige tombant doucement sur les étendues du Nord. Je suis amoureuse de cette nature glacée, vierge de la destruction portée par les démons.

Et lorsque j'ai vu le Bord du Monde de mes propres yeux, mon coeur s'est arrêté de battre.

-Crista-


_______________


Elle avait l'impression de flotter dans du coton, coupée de réelles sensations. Sa peau paraissait glisser doucement sur la surface d'un océan soyeux. De l'air frais entra dans ses poumons et ses yeux s'ouvrirent d'un seul coup. Elle mit de longues minutes à comprendre la situation : Son corps se tenait dans un bac d'eau chaude et fumante. Crista bougea ses doigts sous l'eau, aucun n'avaient été perdus par le froid. Le reflux sanguin de ses membres gelés ne l'avait pas non plus tuée, elle s'en sortait plutôt bien. Lorsqu'elle voulu se redresser une pique de douleur effroyable lui traversa la poitrine. Un bleu énorme s'étalait au niveau de ses côtes flottantes, la trace de la masse du démon. La jeune femme soupira et repensa à la situation... Quelle folie lui avait fait traverser la Veine de Givre ? Une fois de plus elle avait prit le risque de largement outrepasser ses limites, limites qu'elle n'arrivait toujours pas à fixer et à appréhender.

« - Je suis vivante... et c'est dur... »

Crista se laissa doucement couler au fond de l'eau, s'immergeant totalement. Elle resta quelques secondes dans le silence, avec elle même. Une lueur illumina la surface de son bain, un sourire étira le visage de l'humaine. En faisant attention à sa blessure elle se releva. Lynésis volait au ras de l'eau.

« - J'ai cru que tu allais te noyer... »

D'un geste Crista prit la fée dans sa main, sa compagne se laissa faire.

« - Je n'ai jamais eu aussi froid de ma vie ! Enfin de ma vie d'humaine...»

En prononçant ces mots la jeune femme perçu une nouvelle vague de chaleur dans son bras. Lynésis déploya ses ailes et s'envola un peu plus haut. Sa voix chantante et claire s'éleva :

« - Ce que tu as fais... Était vraiment courageux... Tu as une noble âme Crista.
- Maintenant que j'en ai une, souligna la jeune femme, j'essaye de corriger les choses au mieux que je peux. »

Elle s'arrêta un instant avant d'ajouter :

« - Mais j'avais oubliée à quel point le froid pouvait brûler, cette nage dans la Veine de Givre aurait pu m'être mortelle.
- Si l'homme que tu viens de sauver ne t'avait pas aidé je t'aurais tirée de là, affirma la fée en croisant les bras.
- Comme toujours... »

Crista observa la pièce autour d'elle, il s'agissait visiblement d'une chambre. Elle contenait un lit et une grande commode. C'était assez petit.

« - Ils savent que tu es là ? demanda la guerrière.
- Oui je me suis manifestée, je voulais m'assurer qu'ils ne te feraient pas de mal. Mais c'est un homme bon qui habite ici, un forgeron. Il était parti couper du bois avec son fils quand les démons sont arrivés. Il tient à te remercier... D'après ce que j'ai pu voir c'est un excellent artisan et un Tisseur de sort.
- Un quoi ? »
La fée eue un petit rire avant de s'expliquer :
« - Un enchanteur, ignare. Il tisse des sorts dans les armes qu'il forge. C'est très rare ! Il s'est retiré dans le haut nord pour vivre tranquillement mais durant ces temps troublés plus personne n'est en paix.
- Je vois... Au lieu de te payer ma tête, tu pourrais retrouver mes vêtements ? »

Lynésis éclata de rire et s'éloigna en direction de la porte entrouverte. Crista entreprit de se lever et ce fut moins difficile qu'elle ne le pensait. Elle passa une main dans ses cheveux courts pour replacer ceux qui s'étaient mit devant ses yeux. Alors qu'elle sortait du bac la porte s'ouvrit totalement et un jeune homme entra. Son visage vira au rouge pivoine lorsqu'il vit le corps nu de Crista.

« - Excusez... Heu... »

Se confondant en excuse il resta figé en bredouillant maladroitement. La guerrière attrapa d'un geste les vêtements qu'il lui tendait.

« - Mais sort maintenant ! s'écria Crista qui commençait à être gênée elle aussi.
- Oui... Heu... Bien sûr. »

Il tourna les talons et referma bien derrière lui. La jeune femme secoua la tête, elle n'était pas extrêmement pudique mais elle n'aimait pas être observée en général. Elle grimaça lorsqu'elle se baissa pour enfiler son pantalon, cette blessure commençait vraiment à l'agacer ! Ensuite elle passa une chemise et mit un large manteau de fourrure sur le dos, elle avait suffisamment eue froid comme ça. Curieuse d'en savoir un peu plus sur ses hôtes elle quitta sa chambre pour arriver dans un petit salon ou régnait une atmosphère agréable. Un feu brûlait dans l'âtre, un homme était assit dans l'un des trois fauteuils disposés devant la cheminé. Sur les murs étaient accrochées plusieurs épées, un lourd tapis couvrait une bonne partie du sol. Crista s'empressa de poser ses pieds sur cette surface plus chaude que les lattes de bois.

Le type tourna la tête. Sa mine était fatiguée et usée par les années mais il respirait encore la force et la fierté. Une barbe mal rasée, des cheveux grisonnants avec des yeux bleus perçants. Dans sa jeunesse l'homme avait dû être beau. Il gardait encore une bonne carrure et l'air alerte.

« - Asseyez vous donc mademoiselle, vous devez encore être fatiguée. »

Crista hocha simplement la tête et alla s'enfoncer dans l'un des sièges. Le feu termina de sécher ses cheveux encore humides.

« - Je m'appelle Alexandre, je vous remercie de m'avoir sauvé la vie à moi et à mon fils. »

Sa voix était profonde, grave et pesée.

« - Je suis... Crista. Heureuse... De... Vous rencontrer. »

L'homme eu un léger sourire, le feu crépita pendant un instant.

« - Peu de gens auraient fait preuve d'un tel courage... Notre monde à peut-être encore un espoir face aux démons.
- Merci.
- Vous êtes très jeune, pourtant vous combattez comme une maîtresse. J'ai suffisamment parcouru le monde pour savoir ça. »

Crista ne su quoi répondre, elle n'allait pas révéler qu'en réalité elle avait plus de cent ans d'expérience et que durant une époque elle aurait pu pourfendre des dizaines d'infernaux sans transpirer.

« - Je m'entraîne depuis mon plus jeune âge... Je souhaite rejoindre la résistance pour y porter ma contribution.
- Nobles intentions, admit Alexandre avant d'ajouter : Si votre épée ne vous avait pas fait défaut en se brisant vous auriez prit moins de risques lors de ce combat. »

Cette remarque rappela à Crista la perte de ses anciennes armes. L'une s'était brisée lors de son combat contre Adémènes. La dent de dragon avait aussi été laissée sur place. La guerrière s'était ensuite débarrassée de l'arme avec laquelle elle avait tuée Siddayi par erreur, ne souhaitant plus se rappeler ce meurtre. Elle avait donc optée pour une nouvelle combinaison de lames achetées dans le nord. N'étant plus aussi endurante et forte qu'avant, Crista avait dû se résoudre à manier l'épée longue qui lui permettait de limiter les risques et de garder de plus grandes distances avec ses adversaires. Son style avait adopté un caractère un peu plus défensif qu'auparavant même si elle essayait toujours de tuer ses ennemis au plus vite pour ne pas s'épuiser, généralement par surprise.

« - Oui... Je n'ai pas vraiment eue de chance. »

Face à l'air sombre qu'arbora la jeune femme Alexandre ne pu s'empêcher de rire.

« - Allons ne faites pas cette tête ! Dans votre malheur vous avez aussi de la chance... Votre amie vous en a peut-être parlée : Je suis forgeron. »

Le visage de Crista afficha alors un léger sourire. La bonne humeur de l'homme réconfortait la guerrière.

« - Si vous pouviez m'en fournir une en remplacement ça serait très... »

Elle s'arrêta, cherchant une formule adéquate.

« ... Aimable, termina t-elle.

L'homme se mit à rire de nouveau, il se leva et jeta par-dessus son épaule :

« - Vous êtes vraiment très étrange demoiselle ! Ne bougez pas, restez près du feu, je reviens dans un instant. »

S'enfonçant un peu plus dans son fauteuil Crista ne se fit pas prier. Elle contempla la danse hypnotique des flammes dans l'âtre de la cheminée. Si elle avait apprit à apprécier sa nouvelle patrie c'était grâce aux hommes comme Alexandre, plein de bon coeur. Cela lui rappelait les bribes de son enfance, celle dont il ne restait que des fragments de souvenirs diffus. Un seul sentiment en ressortait : un bonheur simple. Lynésis s'approcha doucement de la jeune femme et se glissa contre son cou, une habitude que la fée avait prise. Les deux amies restèrent ainsi sans rien dire, chacune occupée à penser.

Revenant d'une pièce adjacente Alexandre portait un rouleau de tissu noir. Il le tendit à Crista qui l'attrapa délicatement.

« - Ceci est mon chef d'oeuvre le plus précieux. Je l'ai forgé au début de la dernière guerre, dans l'espoir qu'il l'aiderait quelqu'un à combattre les démons. Malheureusement je n'ai jamais rencontré de lame assez fine pour en faire bon usage... Et j'étais trop vieux pour leur courir après, ajouta t-il avec un sourire. »

Intriguée, la guerrière déplia le velours et découvrit alors le fourreau d'une épée. Le manche était enroulé de cuir noir et se terminait par un pommeau rond argenté. La garde représentait un croissant de lune dont les pointes étaient orientées vers la lame. L'aspect général de l'arme était assez sobre. Crista serra la poignée, une vibration remonta le long de son bras jusqu'à son coeur. Le contact étrange la fit frémir et une série de fourmillements agréables suivirent, apaisants. La jeune femme fut parcouru d'une immense sensation de confiance. D'un geste elle tira l'épée de sa gaine. La lame argentée miroitait de mille feux à la lumière de la pièce, il n'y avait qu'une seule rune gravée sur l'acier magique.

« - Croc de Lune, commenta Alexandre. »

Crista posa son index sur le fil de l'épée pour en apprécier le tranchant. Il était aiguisé comme un rasoir.

« - Cette arme gonfle le coeur de courage, même si vous n'en manquez pas, et pourfend la chair de vos ennemis sans peines. Elle a été enchantée par les rayons de la pleine lune, et lorsque que vous combattrez sous le regard de sa mère elle pourra couper la roche ou le plus dur des aciers.
- Réellement ? demanda la guerrière fascinée par les jeux de lumière.
- Oui... Elle est indestructible. »

Rangeant l'épée Crista se leva et fit un mouvement de tête en guise de remerciement.

« - C'est un immense cadeau... J'essayerais... D'en être digne. »
Alexandre tapa sur l'épaule de la jeune femme, l'oeil toujours aussi amusé.
« - Oui je n'en doute pas mon amie. Mais faites moi déjà honneur en venant manger à ma table, mon fils a préparé de quoi régaler les rois ! »

La soirée se déroula tranquillement. Crista profita bien de ce repas, sachant qu'elle allait devoir repartir le lendemain matin dans les dangereuses montagnes. Le froid et le blizzard allaient êtres ses compagnons pendant encore de longues journées. La guerrière s'endormit face au feu, sous une épaisse couverture. Son esprit était si apaisé par cette ambiance chaleureuse qu'elle ne fit aucun cauchemar, elle ne se réveilla pas en plein coeur de la nuit, tremblante, le visage de ses victimes collés à sa rétine.

Lorsqu'elle s'éveilla Crista se rendit compte qu'elle ne s'était plus aussi bien reposée depuis longtemps. Elle récupéra son armure qui avait séchée et enfila ses bottes. Alexandre lui donna un nouveau manteau et lui passa le plus de nourriture possible pour le voyage. Prenant son dernier déjeuné en compagnie de ses hôtes la jeune femme les remercia une nouvelle fois avant de partir. A l'extérieur le ciel restait clair mais quelques flocons tombaient. Rabattant sa capuche Crista s'éloigna en direction du Nord le plus glacial. La Veine de givre coulait toujours près d'elle mais la bretteuse avait changée de côté. Cela ne modifiait normalement rien à ses plans. Son but était de rejoindre la source de la rivière qui prenant naissance dans un glacier au coeur des montagnes. A cet endroit, d'après Lynésis, elle pourrait retrouver Jotun. Le druide cachait la résistance humaine dans les environs.

L'avancée de Crista se déroula sans accroches durant plusieurs jours. Il n'y avait que la nature sauvage et le calme reposant des flocons de neige. Le vent restait sage et le soleil, bien que timide, étendait ses rayons par delà les nuages. La végétation se raréfiait, les sapins laissaient place à la roche, la vallée se resserrant de plus en plus autour de la Veine de Givre. La taille des berges diminuait et l'affluent se transformait en un furieux torrent bordé par des falaises. Il n'y avait plus de place pour progresser normalement, les parois rocheuses tombaient directement dans l'eau glacée.

« - La voie de cristal, c'est magnifique, murmura Crista. »

Il s'agissait du chemin le plus direct pour arriver à la frontière des Terres de l'effroi mais aussi du plus périlleux. L'eau de la Veine de Givre giclait sur la roche et lorsqu'elle restait dans des interstices elle gelait, formant une couche de glace étincelante sur la pierre, d'où le nom du passage. La jeune femme n'avait pas d'autre choix que d'escalader pour continuer. Elle savait qu'il lui faudrait plusieurs heures pour parvenir à l'autre bout de la voie. Si elle tombait elle risquait de mourir fracassée contre la roche et emportée par le torrent, une perspective peu engageante...

« - Je t'aiderais, je passerais devant et je t'indiquerais les prises les plus sûres, affirma Lynésis. »

Crista hocha la tête et s'approcha de la paroi. Le plus dangereux était évidemment la glace, mais la guerrière avait prit soin de clouter ses bottes depuis qu'elle vivait proche de la montagne. Néanmoins il ne s'agissait pas de réels crampons et le dérapage était toujours permis. Elle se lança finalement à l'assaut de la montagne sans un regard en arrière. Au début aucun problème ne se posa, elle était en pleine forme malgré sa blessure aux côtes. La guerrière était toujours aussi souple et agile, Lynésis dégelant parfois certaines parties de la roche pour assurer une meilleure prise à son amie. Au bout de deux heures Crista commençait à fatiguer et elle manqua de glisser. Heureusement ses réflexes la sauvèrent et elle s'agrippa comme une araignée à sa toile, ses doigts fins plongeants dans le moindre interstice de la falaise. La douleur de sa blessure lui rappela qu'aucune erreur n'était permise. La nuit commençait à tomber lorsqu'elle arriva au bout du passage. La vallée s'étirait de nouveau et une immense plaine enneigée s'étendait devant la voyageuse. Le tout était cerclé par les montagnes, la rivière paraissait en être le seul accès. A l'opposée de Crista, à plusieurs kilomètres, une cascade haute et large de plusieurs centaines de mètres chutait dans la Veine de givre, il s'agissait de la source. Le spectacle était majestueux et simplement impressionnant. Comment un lieu aussi magnifique pouvait exister ? Une sensation de puissance revitalisante baignait l'air, un étrange sentiment qui libérait l'esprit de la jeune femme. Malgré la fatigue causée par son fastidieux voyage elle se sentit de nouveau en pleine forme.

« - Ces cascades sont appelées le Bord du Monde, les légendes disent que celui où celle qui ira plus loin que cette source finira par tomber dans le vide. »

L'humaine afficha un sourire amusé face à l'air sérieux de la fée.

« - Et ça, c'est quoi ? »

Ce que pointait Crista de l'index était un arbre colossal qui surplombait les chutes d'eau glacée. Il devait être aussi haut que la source, ses racines noueuses plongées dans la rivière. C'était un chêne, ce qui était habituel compte tenu du climat. Autour de lui toute la terre semblait s'être réchauffée et la neige laissait place à de l'herbe bien verte. A cette distance la jeune femme ne pouvait en être sûre mais elle discernait plusieurs bâtiments construits au pied de l'arbre.

Le soleil couchant au dessus des chutes était magnifique, il illuminait chaque goutte d'eau, donnant une vie incroyable au courant de la rivière. Les quelques flocons de neige qui tombaient encore paraissaient danser sous la lumière orangée, un incroyable ballet gracieux. Crista se mit à courir, impatiente de rejoindre le Bord du Monde. Le froid fouettait sa peau et pourtant une douce sensation étreignit son corps, parce qu'elle était libre, parce qu'elle vivait enfin. Soudainement elle aurait voulu valser avec les flocons, comme une enfant naïve. Le nouveau départ de son existence brisée la conduisait à l'admiration de chaque chose de la nature.

Essoufflée par sa course elle s'arrêta et dégaina son épée d'un geste ample. L'acier vibra et chanta une douce mélodie, un son irréel et enivrant. Lynésis s'arrêta et se posa sur l'épaule de Crista qui regardait le ciel. Son coeur battait à rompre, elle n'avait jamais vu un endroit aussi beau. Le soleil se reflétait sur l'eau, faisant frémir l'onde. Les nuages étaient violacés, rosâtres, entremêlés de coton, paraissant d'une douceur réconfortante.

« - Cet arbre, c'est Jotun, murmura Lynésis. »

L'humaine, bien que muette d'admiration, ne fut pas si étonnée de la nouvelle forme du druide. Entre deux inspirations elle répondit à son amie :

« - J'ai hâte de voir le Bord du Monde de plus près... »

Elle contempla un instant les reflets de Croc de Lune, l'épée magique, avant de la remettre dans son fourreau. La jeune femme se remit à marcher tranquillement, elle serait arrivée avant la tombée de la nuit. Ses pas la menèrent jusqu'au pied de la cascade où les énormes racines du chêne plongeait dans l'eau glacée depuis les hauteurs. D'aussi prêt le bruit des chutes était assourdissant, Crista ne s'entendait même pas marcher. Le tronc imposant de l'arbre se situait en haut de la source. La guerrière allait devoir escalader l'écorce de Jotun.

Prenant un peu d'élan elle sauta de la berge sur une des racines et s'agrippa aux prises qui se présentaient à elle. Avec souplesse elle commença à gravir le monolithe de bois. Il lui fallut de nombreuses minutes pour parvenir au niveau de la source, mais l'ascension restait beaucoup plus aisée que la traversée de la Voie de Cristal. Une fois arrivée à la dernière étape un bruit attira l'attention de Crista. Des pas se dirigeaient vers elle. Sa tête arriva au ras de sol et une série de bottes se dressèrent devant son nez. Levant les yeux la jeune femme compta trois hommes robustes qui l'attrapèrent et la tirèrent sur la terre ferme. L'un d'eux, le plus grand, était un colosse à la barbe blonde et aux cheveux hirsutes. Un nordique rescapé d'Harrogath.

« - Je suis Alde, bienvenu chez nous ! Vous êtes attendue... »

Crista n'eut pas le temps de protester ou de poser la moindre question que les trois hommes l'encadrèrent et la guidèrent à travers un labyrinthe de racines. Ils s'éloignaient de plus en plus de la rivière et le bruit des cascades s'estompa, laissant place à un silence reposant. Le plus étonnant, au coeur du dédale d'écorce, étaient les craquements réguliers du bois qui ressemblaient à ceux d'un vieux navire. Crista emprunta une rampe très large qui montait dans les hauteurs de l'arbre, les branches paraissaient encore inaccessibles. Au bout de quelque dizaines de mètres elle se rendit compte que la passerelle s'enroulait autour du tronc. En contrebas elle aperçu des centaines de lumières qui brillaient dans la nuit tombante. Sûrement les habitants des lieux. A mi-parcours un chemin s'enfonçait dans le colosse de bois. L'intérieur était si sombre qu'on distinguait à peine les parois. Pour ne pas se cogner Crista garda une main posée sur un des mur. Lorsqu'elle tourna la tête les hommes qui l'accompagnait avaient disparus.

« - Mais... »

Un craquement sourd fit sursauter la guerrière. Le passage paraissait ne mener nul part, cependant quelque chose semblait s'étirer au fond de celui-ci. Ses yeux s'étant habitués à la pénombre Crista parvint à deviner les contours d'un large visage dans l'écorce. La fée Lynésis s'extirpa de sous le manteau de l'humaine pour apporter un peu plus de lumière à la scène.

« - Tu as changé, druide, lança Crista fascinée par l'incroyable endroit.
- Toi aussi... »

La voix de Jotun paraissait venir de partout à la fois, profonde et grave, comme un millier d'échos. Un sourire se dessina sur la face de bois.

« - C'est une bonne chose que tu sois venue. Nous allons avoir besoin de toi.
- Oui je suis venue, mais je ne sais pas si je serais aussi utile qu'avant, je ne suis plus immortelle, modéra la guerrière. »

Le sérieux de Crista fit éclater de rire Jotun.

« - C'est aussi une bonne chose que tu tienne à la vie que tu as durement gagnée. Nous allons avoir besoin de personnes qui ont une vraie idée de sa valeur pour la protéger. Les immortels n'ont pas le sens des réalités. Toi tu as vécu longtemps dans la mort, tu sais combien le sentiment de vie est précieux, c'est pour ça que tu es venue. »

La jeune femme se renfrogna et croisait les bras. La tirade l'agaçait parce que son interlocuteur avait raison sur toute la ligne. Elle n'aimait pas qu'on lise aussi facilement en elle.

« - Druide, j'aimerais bien savoir ce qu'il s'est passé. Je n'ai pas eu beaucoup de renseignements sur la guerre... »

Indirectement Crista changeait de sujet. L'arbre craqua comme si parler des combats lui rappelait de très mauvais souvenir.

« - Cela s'est mal passé. Adémènes est bien mort mais Azmodan n'a rien à lui envier. Les armées de Lame-Tonnerre et les miennes ont été décimées par le flot de démons. Il ne reste que quelques cités qui tomberont rapidement. Nous sommes partis au bord du monde car ici aucune grande force militaire ne peut circuler facilement, Azmodan a donc abandonné notre chasse pour le moment, se concentrant sur le Khanduras. »

Jotun s'arrêta un instant, il paraissait vraiment ennuyé par la tournure des évènements.

« - J'ai changé de forme pour protéger les survivants du climat impitoyable du Bord du Monde.
- Je ne croyais pas ça possible, commenta Crista.
- Les vieux druides comme moi apprennent quelques tours avec le temps. Mes pieds ont un peu froid dans la Veine de Givre mais cela n'a pas que des inconvénients.
- Quelques tours, hein ? »

La jeune femme secoua la tête, la magie déployée ici était bien au-delà de la compréhension. Elle décroisa les bras et et se pencha légèrement en arrière, passant une main dans son cou.

« - Si Azmodan a arrêté de vous traquer pour l'instant je suppose qu'il n'a pas été stupide au point de vider le Nord de toutes ses troupes.
- Non, il s'est même fortifié. Il sait que nous pouvons êtres dangereux même si nous n'avons aucune chance de le vaincre par un assaut frontal. Il est plus calculateur contrairement à Adémènes qui était torturé par la vengeance et donc plus prévisible. Azmodan prendra le temps qu'il faudra pour être sûr d'arriver à ses fins.
- Et donc ? Je suppose que tu as idée sur la situation actuelle ? »

L'arbre vibra doucement, prenant une sorte de profonde inspiration. L'écorce craqua et Jotun afficha un nouveau sourire.

« - Oui, l'équilibre peut toujours être modifié si l'on sait comment s'y prendre. Inutile d'essayer de détruire les armées des démons beaucoup trop fortes et nombreuses, il faut frapper de manière indirecte.
- Je n'irais pas assassiner Azmodan dans sa forteresse, lança Crista toujours très sérieuse.
- Non, s'amusa le druide, si je suis ici ce n'est pas uniquement pour nous protéger du froid du Nord. Il y'a des secrets que la terre m'a révélée. En étant directement liée à elle je peux sentir toutes ses émotions, sa douleur et sa grande peine actuelle. »

Tout air de jovialité avec quitté Jotun.

« - L'équilibre, reprit-il, peut-être changé en notre faveur. Lorsque la Pierre-monde a été détruite par l'archange Tyraël il y'a maintenant plusieurs dizaines d'années, un évènement incroyable s'est déroulé en parallèle.
- Quoi ? demanda Crista intriguée.
- Il faut que tu comprennes deux choses, difficiles. »
L'humaine s'impatienta.
« - Je ne suis pas une enfant ! Ni une idiote, expliques moi de quoi il en retourne.
- Contrairement à la croyance répandue sur Sanctuary les druides comme moi ne servent pas Gaïa. Nous protégeons la vie et l'équilibre de la vie entre chaque espèce. Nous défendons la nature désarmée face à l'homme pour sauver l'homme de ses propres excès. Et à présent nous défendons l'homme face aux démons, les démons n'ont rien de naturels et menacent l'équilibre.
- Oui... Et alors ? Tu ne sers pas Gaïa mais quelle est la différence ?
- La différence est immense, affirma Jotun d'un ton grave, la vie nécessite d'être protégée car elle est extrêmement fragile, Gaïa s'en moque. Gaïa est la force qui est en toute chose, la force qui lie absolument tout ce qui existe en ce monde, ce qui est vivant et ce qu'il ne l'est pas. L'air que tu respires, ta chair, l'eau ou encore une pierre ou une lame, voilà ce qu'est Gaïa. Le monde pourrait être un désert de sable brûlant sans aucun trace de vie et Gaïa s'en contenterait. »

La voix de Jotun allait crescendo d'agitation, à tel point que le coeur de Crista se mit à battre un peu plus fort, absorbée par les paroles du druide.

« - Mais lorsque la Pierre Monde a été détruite Gaïa a été blessée. »

L'humaine fronça les sourcils, n'arrivant pas exactement à saisir la situation.

« - Blessée ? Comment ?
- Je l'ignore. Doucement elle meurt, la terre me l'a dit. La nature fut la première à ressentir la baisse de la force de Gaïa, elle s'affaiblit. Les humains aussi finiront par ressentir cette perte. Un monde sans lois et sans physiques, sans forces, ne peut exister. Sanctuary risque simplement d'être dispersé et disparaître. »

Crista resta muette. La déclaration choqua son esprit, cela paraissait totalement fou. Elle accordait du crédit à ces mots car ils étaient prononcés par un des êtres les plus puissants qu'elle connaissait, et parce qu'il était probablement un des seuls êtres à réellement connaître ce monde. Malgré le fait que la jeune femme ait dans un premier temps détestée Jotun elle devait reconnaître que ses paroles étaient toujours pleines de bon sens et de justesse. Ce fut aussi grâce à lui qu'elle avait retrouvée une âme, elle lui était redevable. La terre ne ment pas et le druide n'avait aucune raison de le faire.

« - Comment... Cela paraît impossible.
- Cela m'a paru.... Improbable à moi aussi. Mais les faits sont là, depuis que je suis directement lié à la terre j'ai moi-même pu sentir cette dégénérescence du monde. Les démons ne s'en rendront pas compte car ils ne sont pas de ce plan. Nous devons traiter avec Gaïa.
- Traiter ? »

La jeune femme toussa. Si un druide aussi puissant que Jotun ne pouvait entrer en contact avec l'entité comment agir ?

« - Gaïa ne se préoccupe pas des guerres où des évènements à la surface de Sanctuary. Mais si nous la sauvons peut-être pourrons nous demander quelque chose en retour.
- Parce que ça parle ? Enfin... Ce sont des forces non ? C'est conscient ?
- Elle régit les forces de ce monde uniquement, elle pourrait être assimilée à une divinité mineure. Et malgré qu'elle méprise la vie ou la mort, comme tout être elle ne désire pas disparaître.
- Une déité... »

Crista commençait à avoir mal à la tête, les tempes lui bourdonnaient. Elle n'aimait pas trop le tournant qu'allait prendre la situation.

« - Et est-ce que j'ai seulement un rapport avec ça ? »

Un silence tomba durant quelques secondes. Jotun inspira et fit de nouveau sonner sa voix.

« - Par delà le Bord du Monde se trouve un accès qui mène à Gaïa, peut-être pourra t-on trouver un moyen de la soigner à cet instant.
- Peut-être ? »

Crista se pinça l'arrête du nez au fermant les yeux et soupira.

« - Que veux-tu dire par un accès qui mène à Gaïa ? Je croyais qu'elle était en chaque chose !
- Son coeur bat quelque part, j'ignore exactement quelle forme elle pourrait prendre.
- Et si elle ne veut rien savoir ?
- Il nous restera à affronter les milliers de démons commandés par Azmodan. »

Levant les mains en l'air en signe de reddition, et surtout parce qu'elle n'avait absolument pas d'autre idée, la guerrière céda.

« - D'accord, supposons que tout ceci soit vrai. Comment suis-je sensée trouver le coeur ?
- Les terres se trouvant après le Bord du Monde me sont inconnues. Mais des personnes se sont déjà portées volontaires pour l'expédition, elles ont des talents qui t'aideront certainement.
- De qui s'agit-il ?
- Elles iront te trouver bientôt, répondit Jotun avec un nouveau sourire, ce soir il y'a une fête pour le solstice d'hiver, beaucoup de personne voudront-y rencontrer. »

Crista voulu protester, poser encore quelques questions mais le visage d'écorce s'estompa et disparu dans la masse du tronc. Elle grogna et tourna les talons, agacée par ce tour de passe-passe mystique.

« - Jotun ! »

Aucune réponse.

La jeune femme était partagée entre une multitude de sentiments. Elle se retrouvait à suivre une histoire à peine croyable avec une lourde responsabilité à la clé. Certes elle pouvait refuser, elle pouvait ne pas s'impliquer, mais cela aurait été se mettre en danger. Si les démons prenaient Sanctuary il n'y aurait plus rien à faire. Elle avait vécue suffisamment longtemps à leurs côtés pour savoir de quoi ils étaient capables, sa haine envers cette engeance dépassait l'entendement. Jotun le savait évidemment, il avait d'avance deviné la décision de Crista, qu'elle serait d'accord avec lui. D'un autre côté la guerrière se sentait fière d'avoir une chance de se racheter totalement. Toujours hantée par ses cauchemars et les horreurs de son passé elle pensait à présent être obligée de s'engager.

Ressortant de l'étroit passage elle s'arrêta pour contempler les première étoiles. La nuit tombait doucement sur les étendues enneigées du Bord du Monde. Lynésis qui était restée silencieuse jusqu'à présent tira Crista de ses réflexions.

« - Tu vas le faire ?
- Tu crois que je pourrais refuser ? »

La fée haussa un de ses fins sourcils.

« - Cette histoire est effrayante. Mais tu as beaucoup de courage.
- Ou alors je suis folle. Mais si il s'agit là vraiment de l'unique solution. »

Elle secoua la tête avant de reprendre :

« - Je n'aime pas ces enjeux. Pendant des années je n'ai pas eue de choix, maintenant que je dois en faire j'hésite, je me rends compte à quel point c'est difficile.
- Aurais-tu envie de laisser cette décision à quelqu'un d'autre ? Ou de ne pas prendre part à cette histoire ? demanda Lynésis.
- Non. Non... Je voudrais juste avoir le temps de découvrir le monde une fois tout ça terminé, si je suis encore là. »

La voix de Crista paraissait lointaine, comme si elle se projetait déjà très loin dans l'avenir. La fée hocha sa petite tête alla se poser dans le cou de la guerrière, au creux des replis de son manteau.

Sur le chemin du retour la jeune femme trouva les gardes nordiques qui l'avaient escortée la première fois. Ils lui indiquèrent un endroit où elle pourrait se reposer. Il s'agissait d'une petite maison bâtie sous un amalgame de racine. La façade de pierres taillées n'avait qu'une fenêtre et une porte. Elle entra et contempla l'intérieur qui était plus grand que ce qu'il paraissait. Un salon avec une cheminée, une chambre et une salle de bain. La décoration était agréable sans être luxueuse ou trop chargée. Un feu brûlait déjà dans l'âtre. Éreintée par son voyage Crista prit un bain et changea de vêtements. Lorsqu'elle retira son armure de cuir si serrée sa peau respira de nouveau. Elle passa une robe simple fendue sur le côté qui laissait entrevoir ses fines jambes. Sa chemise aux manches un bouffantes avait un large décolleté. A sa ceinture elle avait gardée ses deux armes. Lynésis s'amusa de voir son amie ainsi habillée.

« - Une noble dame.
- Je ne suis pas sûre d'être totalement habituée à ça, mais je suis fatiguée de porter l'armure.
- Tu es humaine à présent, profites-en. »
Crista sourit, oubliant un peu la gravité de la situation.
« - Je te laisses aller seule à cette fête, j'ai quelque chose à faire, expliqua la fée.
- Que vas-tu faire, Lyn ? demanda la guerrière surprise et curieuse.
- Tu verras plus tard.
- Quoi tu me caches des choses maintenant ?
- Disons que c'est une surprise. »

Pour couper court à toute protestation la fée disparue soudainement de la vision de Crista. Frustrée la jeune femme posa ses mains sur ses hanches et arbora une mine perplexe.

« - D'accord j'ai compris, je disparais moi aussi. »

Elle attrapa son manteau et l'enfila, rabattant sa capuche. Bien qu'elle mourrait de curiosité la bretteuse savait très bien que son amie ne céderait rien. Lynésis pouvait être très entêtée, c'est d'ailleurs grâce à ce trait de caractère qu'elle avait si bien aidée Crista. Il n'y avait qu'avec la fée que la jeune femme se sentait totalement en confiance, une personne avec qui elle pouvait partager ses doutes et ses émotions sans rien risquer en retour. Mentalement ça l'avait énormément aidée lors de sa renaissance difficile et de ses mauvais souvenirs. Elle ouvrit la porte et prit la direction du centre de la petite ville, se demandant qui étaient les personnes qui tenaient tant à la rencontrer.
Au cours de mes voyages et de ma vie j'ai rencontrée énormément de personnes différentes. Des gens normaux, des personnes aux bonnes intentions ou des êtres totalement maléfiques ou bien encore des individus qui ne semblaient êtres concernés par rien au monde. Certaines d'entre elles étaient remarquables en tout point. Il y a des personnes qui vous attirent ou vous repoussent d'un regard, qui vous intriguent, blessent ou font battre votre coeur. La femme qui m'a le plus impressionnée au cours de mon existence fut probablement Hélèna de Vif-Argent, une guerrière impitoyable qui n'avait aucune peurs ni faiblesses. Elle était crainte, à juste titre, par la plupart des créatures de ce monde. Cette machine de guerre implacable pensait ne pas pouvoir avoir d'âme, les choses n'étaient peut-être pas aussi simples qu'elle le croyait. C'est en nouant finalement de profonds liens avec elle que je l'ai compris.

D'autres personnes ont radicalement changée ma vision du monde, comme Jotun et l'équilibre perpétuel des choses. Selon lui tout est en équilibre, et lorsque l'on modifie l'équilibre jusqu'à un point de rupture on provoque le chaos jusqu'à ce qu'un nouvel équilibre se forme. Évidemment ces équilibres ne sont pas fixes, ils tirent chacun d'un côté comme de l'autre avec un dynamisme fulgurant. Je suis entièrement d'accord avec lui sur ce point. D'autres expériences me l'ont confirmée. Un rien peu amener au point de rupture et changer les choses, alors que parfois il faut déplacer des montagnes pour modifier un degré de cet équilibre.

Envers mes amis et ceux en qui j'ai confiance, il faudrait bouger Sanctuary entier pour éroder l'équilibre qu'il y a entre eux et moi.

-Crista-




La place principale était éclairée par un grand feu niché au coeur d'un cercle de pierre. Des gens se regroupaient tout autour pour se réchauffer. Ce qui attira l'oeil de Crista fut les deux duellistes qui se battaient devant les dizaines de personnes présentes. Deux nordiques torses nus qui ne semblaient pas se soucier du froid. En s'approchant Crista remarqua que d'autres combattants attendaient leur tour, il devait s'agir d'une tradition.

Un homme à l'allure puissante remarqua l'arrivée de la jeune femme. Ses bras croisés ressemblaient à des troncs. Sa barbe blonde était très longue et formait plusieurs tresses séparées par des anneaux de fer. Il posa son regard sur Crista et lui fit signe de venir. Fronçant les sourcils la guerrière s'exécuta. Par-dessus les vivats de la foule il lança à l'arrivante :

« - Tu es Crista c'est ça ?
- ... Oui ? »
Un grand sourire s'afficha sur le visage tanné du nordique.
« - On ne parle que de toi. Je suis Lör, maître des combats. Drakkor Lame-Tonnerre a annoncé ta venue, ta mission n'est pas inconnue et beaucoup compte sur toi. »

La jeune femme écarquilla les yeux mais elle masqua rapidement sa surprise et reprit le contrôle de ses émotions. Tous étaient déjà au courant ? Acculée la guerrière serra les poings, ses choix paraissaient se réduire, Jotun avait réellement tout prévu.

« - C'est un honneur, marmonna Crista. »

Le type ne paru pas remarquer la déconfiture de son interlocutrice et enchaîna avec le même air :

« - On raconte surtout que tu es une combattante hors pair. »

Voyant déjà le coup venir la jeune femme croisa les bras en baissant la tête. Les nordiques adoraient se mesurer lors de duel, et encore plus contre des étrangers. Une manière de souhaiter la bienvenue. Elle tapa du pied et son regard se reporta de nouveau sur Lör.

« - On doit sûrement exagérer. Je suis un peu fatiguée après mon voyage jusqu'à vos terres.
- Je pensais que vous étiez une guerrière, pas une fragile donzelle. »

Bien que parlant avec humour l'homme paru réellement déçu et les mots ne manquèrent pas de piquer Crista au vif. Elle avait oubliée l'entêtement de ce peuple et leur haute valeur de l'honneur. Agacée elle retira son manteau d'un geste ample, révélant sa tenue un peu légère compte tenu du froid qui s'encrait progressivement sur la ville.

« - Qui oserait donc me défier ? Et ne me faites pas attendre, jeta l'humaine avec un sourire en coin. »

Lör battit des mains et chuchota d'un air malicieux :

« - Je l'aurais bien fait moi-même mais je suis trop vieux, ça ne serait pas équitable pour vous. »

Il hurla ensuite par-dessus la foule :

« - Une femme souhaite se battre ! »

Les regards convergèrent immédiatement vers Crista. Le rouge lui monta aux joues, elle réprima un tremblement, autant de personnes la mirent immédiatement mal à l'aise. Inspirant profondément elle fit tout garder un air assurée et impassible. Une voix au sein du publique s'éleva :

« - Ces duels sont réservés aux guerriers, aux hommes ! Personne ne voudrait blesser une jeune fille comme ça ! »

Quelques rires ponctuèrent la déclaration. Cette fois-ci le visage de Crista se départit de son air glacé. Être traitée de gamine alors qu'elle avait plus d'un siècle d'expérience en matière de combat l'irrita fortement. La gêne s'envola face à la colère qui fit battre son coeur. Elle s'avança au centre du cercle ou les deux précédents duellistes s'étaient arrêtés, ils la suivirent du regard.

« - Je suis Crista. »

Son seul nom suffit à rappeler à certains qui elle était et la manière dont elle avait été présentée par Jotun, une fine lame inégalée. Mais qui s'attendait à voir une femme aussi jeune ? Inspirant profondément elle réalisa un effort immense pour soutenir les spectateurs et tirer les mots du fond de sa gorge.

« - Et je n'ai peur d'aucun de ces hommes. Par contre peut-être qu'eux ont peur de moi ! »

La phrase amusa les dames de la foule, qui poussèrent leurs maris en avant, un peu moins fanfarons. La détermination lue sur le visage de Crista arrivait à en faire hésiter plus d'un. Lorsque l'on croisait le regard de la guerrière on y rencontrait pas l'âge qu'elle paraissait, il était bien plus dur que celui du plus expérimenté des combattants. Mais les nordiques étaient un peuple très fier, et nombreux étaient ceux qui avaient affrontés de grands périples, dont les démons qui envahissaient Sanctuary. Aucun n'aurait été intimidé au point de ne pas se battre. Un homme fit finalement un pas dans le cercle. Il devait avoir la vingtaine, un corps d'athlète, pas une caricature musculaire mais plutôt un apollon au corps finement sculpté. De longs cheveux blonds et un visage portant une barbe de trois jours, il affichait une assurance sans bornes, peut-être même de l'arrogance.

« - Moi, Joliar, n'ai peur d'aucune femme... Bien que cela soit clairement la chose la plus effrayante que je connaisse... »

Les rires de ses camarades l'encouragèrent. Il portait un léger pourpoint de cuir et une épée longue à la ceinture. Lentement il enleva son armure et la jeta à terre.

« - Les règles sont simples, on s'arrête au premier sang, expliqua Lör. »

Crista hocha la tête et salua son adversaire qui se contenta de sourire. Pour lui la victoire était déjà acquise. La jeune femme dégaina son épée et sa dague. Croc de Lune chanta pendant quelques seconde lorsqu'elle fut tirée de son fourreau, l'air sembla vibrer autour d'elle.

Le type haussa un sourcil et pointa son arme, si il était impressionné il ne le montra pas plus que ça. Sur son autre bras il passa une rondache de bois cerclée de métal. Il frappa contre sa protection et s'avança, se postant à une distance respectable. Les deux combattants se jaugèrent, Crista gardait ses armes basses, feignant de ne pas prendre garde. Elle invita ainsi son adversaire à l'attaquer en premier. La charge fut furieuse et soudaine, mais Crista avait anticipée l'assaut. Elle se déporta si vite sur la gauche de Joliar qu'il ne comprit pas immédiatement le mouvement. D'un geste souple elle frappa le bouclier pour le déséquilibrer. Déjà emporté par sa charge il dû faire plusieurs pas en arrière pour se rattraper, manquant de trébucher.

Il grogna et secoua la tête, il s'était fait avoir comme un débutant ! Cette fois-ci Crista prit l'initiative et s'élança avec la grâce d'une danseuse. Elle réalisa un grand moulinet avec sa lame et feinta de vouloir frapper Joliar au torse, en réalité elle inversa soudainement l'élan de son arme vers la droite et dévia violemment l'épée de son adversaire sur le côté. Comprenant qu'elle allait l'assaillir avec sa dague l'homme porta son bouclier devant lui. L'action précipitée lui bloqua la vue et il ne vit pas venir le vrai but de la manoeuvre : Un coup de pied brutal sur sa rotule qui le fit vibrer de douleur. Il grimaça mais ne cria pas par fierté. D'instinct il recula encore pour prendre de la distance, mais Crista ne le lâcha pas et se rua sur lui. Elle enchaîna les passes rapides et déborda la garde de son adversaire qui avait du mal à parer ou à esquiver tous les coups. Joliar était choqué par une telle rapidité et une telle précision, jamais il n'avait vu cela de sa vie ! Crista était habituée à combattre des démons qui surpassaient la plupart des humains en force, en vitesse, en endurance et en compétence. Pour elle cet affrontement était une formalité. Elle aurait pu gagner du premier coup. Lasse de ce petit jeu la jeune femme réalisa une botte complexe qui désarma Joliar. L'action était si rapide et fluide que l'homme continua d'attaquer avant de se rendre compte qu'il ne tenait plus son épée, déclenchant un fou rire général. Crista pointa Croc de lune sur la gorge du guerrier dépassé.

« - Te rends-tu ? »

La question était lancée avec un air narquois. Joliar souffla un oui et recula, penaud d'avoir perdu aussi vite. Ses camarades le tancèrent immédiatement et des vivats commencèrent à monter dans la foule :

« - Vive la Danse-Lame ! Vive Crista ! »

Les applaudissements suivirent. La guerrière rangea ses armes et baissa la tête. Lör lui tendit son manteau qu'elle repassa sur ses épaules. C'était un moyen d'éviter les regards des spectateurs. Malgré sa gène elle ne pouvait ignorer la fierté qui s'insinuait en elle pour avoir vaincu si facilement.

En face de la place se dressait une taverne et les gens commençait à s'y diriger, emportant Crista dans le mouvement. D'abord elle essaya d'y résister puis elle se laissa tirer par la vague. Sa capuche rabaissée masquait sa surprise, elle ne savait pas comment réagir. La chaleur de l'établissement l'apaisa, l'odeur de bière assaillit ses narines. Les gens l'acclamèrent encore puis rapidement la boisson se mit à couler à flots. Les discussions et les rires emplirent la salle, les vieux guerriers racontaient leurs histoires aux plus jeunes et les adultes se moquaient gentiment des exploits mille fois exagérés : des combats où un démon se transformait en une armée impitoyable. La chaleur étouffante qui envahit la taverne poussa Crista à retirer son manteau, elle tourna dos à la foule en se mettant face au bar. Elle savait que des dizaines de regards se posaient régulièrement sur son corps, autant pour sa grâce, ses armes ou sa beauté.

La jeune femme commanda une pinte de bière, depuis sa nouvelle vie Crista n'avait pas vraiment eue l'occasion de faire la fête où de boire beaucoup d'alcool, elle savait que cela risquait de lui monter rapidement à la tête. Mais face aux nordiques elle ne voulait pas attirer encore plus de regards intrigués en ne buvant rien du tout. Avalant une première gorgée elle savoura une blonde fraîche avec un goût très doux. Alors qu'elle commençait à se perdre dans ses pensées une choppe se posa juste à côté d'elle. Le claquement du verre contre le bois la fit légèrement sursauter. Un homme se posa sur un des grands tabourets du bar, derrière lui se tenait une autre personne qui resta debout les bras croisés.

Le premier type avait une vingtaine d'années au maximum avec une prestance remarquable. La droiture de son dos et la souplesse de ses mouvements ne trompa pas Crista : Il s'agissait probablement d'un épéiste. D'ailleurs la garde d'une arme dépassait de son flanc gauche, il était donc droitier. Son teint et ses yeux faisaient de lui un étranger, il n'était pas assez pâle et ses iris étaient vertes. De plus il avait les cheveux bruns et cours, il devait venir de l'ouest. Un bouc taillé à la perfection ornait son menton, sa bouche arborait une moue lasse, comme si l'endroit lui déplaisait. Ce qui choqua Crista fut le regard hautain qu'il lui lança avant qu'il ne se fende d'un sourire de convenance.

« - Vous êtes la demoiselle Crista Danse-Lame, je suis Dex MacMullen. Enchanté de faire votre connaissance. »

Il hocha la tête en guise de salut. Sa voix était bien pesée, elle paraissait chaleureuse mais parfaitement calculée. Crista faillit grimacer face à cette nouvelle rencontre mais elle fit un effort immense pour rester impassible. Voyant qu'elle n'ajoutait rien l'homme enchaîna :

« - J'ai vu votre combat contre l'autre sauvage, vous vous débrouillez pas trop mal, votre réputation n'est pas si exagérée. »

Le mot sauvage avait été prononcé avec un mépris évident. La guerrière se demanda ce que son interlocuteur pouvait bien faire ici. Elle bu une nouvelle gorgée de bière et s'accorda à répondre :

« - Merci, c'est un véritable honneur... Dex... »

Les formalités faites, le sourire de l'homme disparu et il se pencha un peu en avant, comme si il s'apprêtait à parler de quelque chose de très important.

« - Il se trouve que j'ai peut-être un travail pour vous, vous pourriez être très utile.
- Il se trouve que j'ai peut-être déjà un travail pour moi, répliqua froidement Crista.
- Allons, c'est une manière de présenter les choses. Nous avons un but commun vous et moi. Je dois essayer de trouver Gaïa, vous savez... Sauver Sanctuary et toute cette histoire. Je vous propose de rejoindre mon groupe, peut-être pourriez vous ainsi trouver une place dans cette vaste entreprise. »

Crista faillit s'étrangler face à autant de condescendance et d'arrogance. Jotun l'avait appelée de si loin et elle entendait un jeune parvenu la traiter comme une débutante ! L'homme prenait cette mission comme si elle était la sienne, qui a décrété qu'il serait le chef de quoique ce soit ? La guerrière avait peine à croire que Jotun ait accepté qu'une personne pareille participe à ce voyage. Les poings de Crista se serrèrent, elle n'avait que très peu de patience envers ce genre d'individu.

« - Ce groupe dont vous êtes le seul membre ? »
Dex eut un rire sec et bref.
« - Non il y a aussi ce vieillard là. Il n'a pas l'air très impressionnant mais il a ses qualités, c'est Jotun qui me l'a confié, je n'ai pas voulu vexer le druide à vrai dire. »

Il désigna la personne derrière lui. Il devait avoir la quarantaine, très grand et musclé. Des dizaines de cicatrices zébraient ses bras nus. Sa tête entièrement rasée, son nez cassé et ses arcades proéminentes lui donnait un air brutal. Pourtant il respirait le calme et la paix, une force tranquille, l'eau qui dort. Son regard noir était profond, on aurait cru pouvoir s'y perdre. Il n'arborait ni arme ou armure, juste des vêtements simples et un collier de perles de bois très sombre. Évidemment il n'avait pas l'air d'un vieillard mais plutôt d'un homme dangereux.

« - Qui vous a dit que vous alliez diriger ? demanda Crista avec une pointe d'agacement dans la voix.
- Oh s'il vous plaît, le vieux est muet et vous êtes beaucoup trop jeune pour ça. Vous avez du talent, peut-être qu'un jour vous deviendrez aussi bon que moi. Mais en attendant, jeune fille, suivez mes traces et apprenez. C'est une occasion dont vous devriez profiter ! »

Pour ne pas lui mettre un coup de poing en plein visage Crista se força à boire doucement une gorgée de bière. La fierté mal placée de Dex commençait à rendre la jeune femme malade. Lentement elle reposa sa choppe et observa de nouveau son interlocuteur. Il suintait la confiance.

« - Écoutez, je tranchais des gorges alors que vous n'étiez même pas encore dans le ventre de votre mère. J'ai tuée plus de démons que vous en verrez jamais dans votre vie, si seulement vous en avez déjà vu, ce dont je doute, car si tel était le cas vous seriez beaucoup plus humble face au danger. »

La phrase avait été prononcée avec une froideur incroyable. Crista avait fait un grand effort pour ne pas s'emporter ou bredouiller de colère. Une pulsation sourde commença à frapper ses tempes, la courte conversation poussait à l'animosité.

« - J'ai du mal à croire ce que vous dites mais...
- Je ne suis pas ce que vous croyez imbécile, je ne suis pas une enfant, coupa Crista d'un ton vibrant de rage. »

Dex recula un peu, la violence des mots prononcés le surprit. Le regard fixe de la guerrière se planta sur lui. Il essaya de le soutenir et c'est là qu'il comprit son erreur. Si il était arrogant il n'était pas stupide et la dureté de la volonté de Crista le frappa de plein fouet. Quelque chose le dérangea, il se tortilla sur son siège avant de détourner les yeux, ce qu'il venait de voir lui fit perdre de sa superbe. Outre la froideur de la guerrière il avait entraperçu une détermination sans limites et une rage dévorante.

« - Bien, je vois... »

Ses mots se perdirent et il marmonna quelque chose d'incompréhensible dans sa barbe. Se raclant la gorge il attendit que Crista reporte son attention sur sa boisson pour parler de nouveau.

« - Nous pouvons aussi diriger à deux, finalement nous aurons peut-être des choses à apprendre mutuellement l'un de l'autre. »

Il paraissait profondément contrarié mais essaya de garder la face. La guerrière se contenta de hocher la tête, la colère la quittant progressivement, elle avait faillit parvenir à son point de rupture. Dex termina sa bière d'un trait et se retira en lançant un salut rapide, l'étrange homme au crâne rasé le suivit.

Crista commençait à en avoir assez qu'on la traite comme une gamine. Un revers de médaille du jeune âge apparent de son corps, même si parfois cela pouvait être avantage. Lors d'un combat l'ennemi avait tendance à la sous-estimer, ce qui était toujours fatal. Son humeur gâchée la guerrière termina sa choppe, aussitôt remplit par le tavernier qui lui offrit le verre avec un large sourire. Au bout de la troisième pinte la tête de Crista commença à se faire lourde et se langue pâteuse. Régulièrement des nordiques venaient la saluer et elle y répondait d'un mot ou d'un signe. Elle voulut se lever et la terre tourna un peu, ne voulant pas avoir l'air ivre devant tout le monde la jeune femme se concentra pour mettre convenablement un pied devant l'autre. Il lui fallait de l'air frais, la chaleur ne l'aidait pas à garder l'esprit clair. Elle prit son manteau et se fraya un passage dans la foule, manquant de trébucher plusieurs fois. Le vent glacé lui frappa le visage, chassant un peu la torpeur qui s'était insinué en elle. La fatigue était réelle, Crista n'avait qu'une envie c'était de rentrer dormir après son long voyage.

Quelques minutes plus tard la jeune femme retrouvait la maison qu'on lui avait allouée. Elle n'avait rien fermé, de toute manière on ne lui avait pas donné de clé pour le faire. Encore alourdie par l'alcool Crista s'approcha de la porte, mais au moment de l'ouvrir elle eue un étrange pressentiment. Son sixième sens lui indiquait que quelque chose avait changé, sans qu'elle puisse identifier quoi. En réalité Crista ressentit une présence près d'elle. Une décharge d'adrénaline l'a mit sur le qui-vive et elle dégaina ses armes sans faire de bruit. Doucement elle ouvrit la porte, jetant un coup d'oeil à l'intérieur. Au premier regard il n'y avait rien. L'alcool lui jouerait-il des tours ? Fronçant les sourcils elle fit un pas, cette fois-ci elle capta un mouvement près de l'âtre. La faible lueur des braises s'était reflétée sur une surface polie, de l'acier. Une silhouette bougea clairement dans l'ombre. Ne voulant pas causer d'accidents stupides Crista se mit en garde et lança calmement :

« - Avancez doucement. »

L'étrange présence s'exécuta. La guerrière reconnue alors cette aura si particulière, puissante et calme, quelque chose qu'elle n'était pas prête d'oublier. Baissant ses lames elle tendit le cou pour mieux discerner le visage de celle qui se tenait en face d'elle. Lisse, parfait, cheveux platines courts, deux yeux blancs sans iris ni pupilles. La femme portait un plastron complet et pourtant faisait à peine de bruit tant il était parfaitement ajusté.

« - Hélèna ?
- Crista. »

La jeune femme rangea ses armes, abasourdie par la rencontre.

« - Je te croyais morte, tuée par Azmodan !
- Je suis la guerrière de Vif-Argent. »

Une chose qu'elle aimait particulièrement rappeler, comme si cette évidence répondait à toutes les questions. Toujours aussi impassible avec sa voix neutre et distante, Hélèna ne semblait avoir changée en rien.

« - Que s'est-il passé ?
- Je suis tombée hors du vaisseau d'Adémènes. Je me suis relevée au milieu des restes du champ de bataille. Alors j'ai rejoins les humains qui battaient retraite. Je suis restée avec Jotun parce que je n'avais pas d'autres solutions. »

A la manière dont elle avait prononcée le nom du druide elle le détestait toujours autant. Crista s'avança et identifia parfaitement son ancienne soeur d'arme. Même lorsqu'elle était mort-vivante la bretteuse avait éprouvée de l'estime pour Hélèna. Les deux femmes avaient le même but et étaient toutes deux de redoutables combattantes. Crista avait été très attristée de voir que la guerrière de Vif-Argent ne pouvait posséder une âme comme elle aurait souhaitée. Et bien qu'Hélèna aie choisit de rester en arrière affronter Azmodan cela avait affectée Crista qui s'était sentit coupable de l'abandonner ainsi.

« - Je suis heureuse d'apprendre que tu es survécu. »

La femme en armure haussa un sourcil, pour elle cela ne voulait rien dire, les émotions ne lui évoquaient strictement rien. Il n'y avait qu'un vide glacial et dévorant, une colère permanente. Crista avait connue ce tourbillon de haine immonde et eue pitié d'Hélèna. Néanmoins elle n'en montra rien car cela n'aurait fait qu'énerver la guerrière de Vif-Argent. Changeant de sujet la bretteuse demanda :

« - Pourquoi es-tu venue ici ?
- Je voulais te faire part de ma décision de me joindre à ta mission, expliqua lentement Hélèna.
- Ton aide sera très appréciée.
- J'ai observée les deux autres humains.
- Tu parles de Dex et du crâne rasé ?
- Oui.
- Et qu'en penses-tu ?
- MacMullen est un mortel arrogant, c'est un sorcier. Il a des pouvoirs qu'il surestime et ne maîtrise pas totalement. Il souhaite toujours contrôler et à peur de ne pas être assez prêt. Je pense qu'il est fiable mais je ne l'aime pas.
- Moi aussi... Sa condescendance m'a donné envie de le tuer, concéda Crista avec une grimace.
- L'autre homme est plus étrange, je n'ai pas réussi à lire en lui. Son âme et son esprit étaient comme une forteresse, il est opaque.
- Comment peut-il réussir à faire ça ? »
Les yeux d'Hélèna se plissèrent, son ton se fit encore plus mécanique, presque haché.
« - Car il se *connaît* parfaitement lui même. Son esprit est unicité absolue, il a atteint la plénitude mentale et physique. Sa force est grande.
- Crois-tu qu'il s'agisse d'un mage ? Il ne portait pas d'arme.
- Un lanceur de sort ne pourrait atteindre un tel niveau de stabilité, la magie elle-même entraîne le chaos et le déséquilibre. C'est un guerrier ou un homme saint.
- Un prêtre tu veux dire ?
- Peut-être pas. »
Crista avait oubliée la manière succincte de communiquer d'Hélèna.
« - Un guerrier saint donc, je n'ai pas vu le symbole d'une quelconque divinité sur lui.
- Il doit le porter en son âme, répliqua la femme Vif-Argent. »

La bretteuse hocha la tête. Attrapant un tison elle raviva le feu dans l'âtre, ajoutant une nouvelle bûche. Instinctivement elle chercha Lynésis du regard, mais la fée n'était toujours pas revenue. Épuisée Crista s'effondra sur une chaise en bois en face des flammes crépitantes. Soudainement mille questions s'insinuèrent dans l'esprit de la jeune femme, toutes au sujet d'Hélèna. Les intérêts de l'étrange combattante étaient difficiles à discerner. Il y en avait un évident : Elle voulait tuer le plus de démons possible. Néanmoins la froideur et le caractère abrupt de la guerrière de Vif-Argent noyaient les ardeurs, Crista était plus mal à l'aise qu'elle ne l'aurait cru.

« - Je peux te poser une question, Hélèna ? »

L'impassible femme se tenait droite comme un I, les bras le long du corps. Elle ne semblait même pas avoir entendu. Ce silence était parfois un de ses moyens pour signifier d'enchaîner. N'ayant pas vraiment le choix Crista inspira profondément et se lança :

« - Pourquoi détestes-tu tant Jotun ? »

Hélèna resta muette encore un moment, et lorsque que sa voix s'éleva elle réussit à surprendre Crista qui ne s'y attendait plus.

« - Je vais te répondre, mais uniquement parce que je pense que tu pourra saisir le sens de mes mots. Jotun est très vieux, plus que tu ne peux l'imaginer, il est le fils d'un géant des tempêtes et d'une puissante sorcière, Cevera. C'était il y a des centaines d'années, voir peut-être plus, je ne sais pas exactement. »

La guerrière sembla hésiter à continuer, elle n'avait probablement pas souvent racontée cette histoire, peut-être était-ce même la première fois.

« - Comment sais-tu cela ? s'interrogea Crista.
- Car Cevera m'a créée, elle et ses pouvoirs. C'était une femme puissante et extrêmement ambitieuse, sa magie était devenue si parfaite qu'elle lui avait apportée l'immortalité.
- Je croyais que tu étais la création d'un mage du nom de Magynar, un Vizjerei. »

Les yeux d'Hélèna brillèrent de colère.

« - Cesses donc de m'interrompre, humaine. Magynar prétendait avoir mit au monde une combattante de Vif-Argent, en réalité il n'a jamais réussit à appliquer les rituels nécessaires. Il est mort et Cevera a récupérée la statue parfaite de Vif-Argent qu'il avait fait forgé et l'a enchantée. J'étais sa plus précieuse création et j'avais pour mission de la protéger à tout prix. Au coeur de la forteresse des géants des tempêtes elle avait beaucoup de rivaux qui ne supportaient pas de voir une humaine parmi eux. Même son mari, Skorn Lame-Tonnerre, commençait à s'inquiéter de son autorité au sein du clan, il était devenu une sorte de paria.
- Attends, Lame-Tonnerre ? Cela a-t-il un rapport avec Drekkor Lame-Tonnerre ?
- Oui c'est le frère de Jotun, mais il l'ignore, expliqua Hélèna agacée. »

Intriguée Crista haussa un sourcil, cela expliquait un peu mieux les intérêts du druide dans cette guerre, peut-être veillait-il sur son frère depuis l'ombre.

« - Continue, je ne t'interrompt plus...
- Skorn a voulu chasser Cevera du clan, mais l'humaine n'était pas d'accord. Il l'a donc assassinée avec l'aide de Jotun et de plusieurs mages Lame-Tonnerre. J'ai échouée à ma mission ce jour là, l'ennemi était trop nombreux et puissant, et Cevera n'était pas assez préparée car trop confiante. Elle n'avait jamais pensée que son mari aurait assez de courage pour mener une telle action. Jotun a alors découvert qu'il avait un frère, la sorcière l'avait cachée à son père. Lorsque Cevera est morte... »
Hélèna s'arrêta un instant, son visage lisse se crispa de haine, le souvenir semblait nourrir une rage intense dans son coeur.
« - J'ai perdu toute capacité à ressentir. J'étais liée à l'âme même de la sorcière, et grâce à cela je pouvais vivre. La scission fut d'une douleur incroyable. »

Crista allait poser une nouvelle question mais le regard de la guerrière de Vif-Argent la cloua littéralement sur place. L'humaine savait à quel point perdre sa capacité à vivre était difficile, elle s'était trouvée dans la même situation, privée de ses sens. Un silence pesant s'installa et Crista ne pu s'empêcher de penser que si Hélèna avait une fois été liée à une âme, même de manière indirecte, cela pourrait être reproduit de nouveau. Pourtant elle n'osa pas soumettre l'idée, sa camarade paraissait trop échaudée. De même elle se demanda pourquoi Jotun n'était plus traqué par la femme de Vif-Argent, la haine qu'elle nourrissait envers le druide semblait toujours immense.

Au bout de plusieurs minutes Hélèna hocha lentement la tête et se tourna vers Crista enfoncée dans son fauteuil.

« - Tu dois te reposer. Je te trouverais lorsque tu partiras. »

Sans un mot de plus elle s'en alla sous le regard intrigué de l'humaine. Une fois qu'elle eue refermée la porte Crista se leva et se dirigea vers son lit. La conversation avait chassé l'alcool mais la fatigue de son voyage était toujours là. Doucement elle retira sa ceinture puis ses bottes, posant ses armes à portée de main. Ses vêtements glissèrent sur le sol, mettant sa jeune silhouette à nue. Le teint pâle de sa peau paraissait presque laiteux dans la pénombre de la pièce, ses courbes étaient régulièrement cassées par des cicatrices qui ne gâchaient en rien sa beauté. Avec plaisir elle se glissa sous les épaisses couvertures de son lit, elle espérait savourer une nuit sans cauchemars. Lynésis n'était pas là, la présence de la fée manqua à Crista, elle s'étonna même du vide que cela créa en elle. Sa seule amie, la seule encore en vie, n'était pas là pour lui procurer ses chaudes lueurs qui décontractaient si bien son esprit.

« - Je me demande bien ce que tu peux préparer... »

Après ce dernier murmure elle ferma les yeux, cédant à l'assaut du sommeil.

Le temps était au beau fixe, le soleil avait rarement été aussi brillant en plein hiver. Un vent sec avait chassé les nuages et l'astre pouvait affirmer toute sa puissance. Il caressait la peau froide de Crista. Elle était allongée dans la neige, un manteau si fin qu'au moindre mouvement elle s'enfonçait de plusieurs dizaines de centimètres. Doux comme du coton il épousait parfaitement les formes de la guerrière. Il fallait qu'elle se lève, il lui coûta un effort incroyable pour commencer à bouger. Ses membres étaient lourds, ses gestes pénibles, sans qu'elle sache pourquoi. En se mettant debout elle eue l'impression de glisser des dizaines de fois avant d'y parvenir. Lorsqu'elle fut enfin à genou elle se trouvait au milieu d'un véritable carnage. Des corps mutilés et déchiquetés s'étalaient à perte de vue, uniquement des humains. Crista leva ses mains et vit qu'elle tenait fermement ses dagues, du sang couvrait les lames, ses doigts, ses bras, et tout son corps.

D'un coup sa poitrine se serra, l'air lui manqua. Le sang paru se mettre à suinter de sa peau, elle voulu crier mais ce fut qu'un peu plus de sang qui remonta sa gorge pour former une boule douloureuse. Elle étouffait lentement, ses armes se dressèrent pour tenter une parade inutile, un pur réflexe. Les pointes de ses dagues se plantèrent dans un homme qui venait d'apparaître en face d'elle, en plein coeur. Apeurée et désorientée Crista voulu lâcher les lames mais à la place elle les enfonça un peu plus profondément dans la chair.

Des couteaux, beaucoup de couteaux s'approchaient d'elle à toute vitesse. Ils filaient si vite qu'elle sentait l'air fouetter sa peau. Ils se regroupèrent en sphères hérissées de piques alors que d'autres se plantaient en elle sans la tuer, lui soulevant le coeur, lui donnant une affreuse envie de vomir, un goût de bile accrochée à sa bouche. Tout disparu et seuls les couteaux restèrent, roulant sur sa chair et l'entaillant profondément. Les rasoirs descendirent doucement dans sa gorge, le bruit qu'ils produisirent ensuite en massacrant son visage fit hurler Crista qui se redressa d'un seul coup.

Réveillée par son affreux rêve son corps entier tremblait. La sueur perlait sur sa peau pourtant gelée, son coeur tenait un rythme incroyable et elle mit un instant à calmer sa respiration. Ses premiers cauchemars lui avaient arrachée de nombreuses larmes, la choquant parfois pendant des heures entières. Après plus d'un an elle s'habituait mais certains restaient beaucoup plus forts que d'autres et celui-ci avait été d'une violence inouïe. Ses yeux s'embuèrent et elle faillit éclater en sanglot mais d'une profonde inspiration elle arriva à se calmer suffisamment pour commencer à chasser les images qui restaient collées à son esprit.

Les jambes encore mal assurées elle se leva et se dirigea vers la gourde d'eau de son équipement. Ses yeux s'accommodèrent extrêmement vite aux ténèbres et elle bu une longue rasade du liquide rafraîchissant. Alors qu'elle reposait l'outre elle capta un mouvement du coin de l'oeil. Ses yeux fixèrent immédiatement une lueur dorée et un sourire se dessina sur le visage de Crista. Sans hésiter elle se dirigea vers Lynésis et tendit sa main pour que la fée s'y pose.

« - Si tu n'étais pas aussi petite, je te prendrais dans mes bras, chuchota la jeune femme.
- Je ne suis pas si « petite »... »

Crista ne pu réprimer un rire, cela lui fit du bien après son rêve. Elle retourna s'asseoir sur son lit en gardant Lynéis au creux de sa main.

« - Mais où étais-tu donc passée ? »

L'air amusée qu'afficha la fée rappela à son amie quelques bribes de ses souvenirs d'enfance. Sa transformation en avait effacée une grande partie, mais les fragments se regroupèrent pour former une mosaïque étrange. Le visage d'une petite fille blonde qui riait avec Crista, elle-même enfant. Cela paraissait si lointain que la jeune femme ne fut même pas sûre de la véracité de ce souvenir. La fée lui rappela cette insouciance, avec elle son regard changeait et perdait de sa dureté, son introspection disparaissait et un sourire marquait toujours ses traits.

« - J'espérais revoir d'anciens compagnons. »
L'expression de Lynésis avait changée, faisant place à une mine nostalgique.
« - Et alors qui as-tu revu ? demanda curieusement Crista.
- Personne, ils sont tous morts contre les démons.
- Je suis désolée, Lyn.
- Ce n'est pas grave, la guerre a été dure pour tout le monde. »

Mais le visage de la fée trahissait clairement sa tristesse. C'était d'ailleurs la première fois que Crista voyait son amie dans cet état. Elle vola près de l'humaine en laissant une légère traînée d'étincelles dans son sillage.

« - Ne t'inquiète pas pour moi ! Je ne suis pas venue pour que tu sois encore plus triste, mais pour te faire un cadeau. Avec ma magie j'ai forgée quelque chose. »

Fronçant ses fins sourcils Crista regarda Lynésis faire apparaître quelque chose entre ses mains, un anneau qui aurait pu servir de ceinture à la fée. Il était formé de trois lignes d'or tressées et entremêlées, simple et joli à la fois. La guerrière le récupéra au creux de sa main et le porta devant ses yeux, émerveillée.

« - Mets-le, tu verras. »

Sans dire un mot Crista le passa à son index droit, il lui allait parfaitement. Une chaleur douce se diffusa dans tout son corps, elle ferma les paupières pour mieux apprécier la sensation. Son coeur sembla résonner plus fort au contact de l'objet comme envahit d'une nouvelle vigueur.

« - C'est reposant... murmura Crista.
- Tu n'auras plus jamais froid tant que tu le garderas. Une partie de mon essence se trouve à l'intérieur, tu pourras plonger dans la Veine de Givre sans te transformer en glaçon.
- Merci, mais cela a dû te coûter de réaliser une telle oeuvre...
- Je suis honorée de l'offrir à celle qui sauvera Sanctuary, répondit Lynésis avec un sourire espiègle. »

Sauver Sanctuary, une tâche folle à laquelle Crista n'aurait jamais cru être confrontée. Elle pensait que ce genre de légende se racontait uniquement au sein des églises de la Grâce Suprême, où des héros millénaires renversaient des armées de démons. Des guerriers comme ceux qui ont tués Diablo plusieurs dizaines d'années plus tôt. Des fines lames ou de puissants sorciers, des mortels engendrés par le courage et la force de vivre. Crista n'était pas sûre d'arriver à leur hauteur. Elle n'était pas du genre à douter de ses compétences mais jamais on ne lui avait confiée une tâche aussi importante.

Passer le Bord du Monde, découvrir une portion de terre sauvage, franchir l'extrême limite de ce qui est connu. L'idée, qui pouvait semblait effrayante, semblait stimuler l'esprit de Crista. Le voyage ne lui avait jamais posée de problème, son inquiétude provenait plutôt du face à face qui l'attendait avec des forces qui la dépassait sur tout les plans. Avec son nouveau corps les démons étaient devenus redoutables à combattre, elle n'imaginait pas vaincre un puissant archidiable. Cette pensée la dérangea, comment des humains avaient-ils pu renvoyer Diablo au fond des abysses ? Alors que de nombreux autres seigneurs infernaux aux pouvoirs terrifiants avaient eux-mêmes essayés de le renverser...

Crista s'allongea et se glissa sous ses couvertures. Lynésis se lova sur sa poitrine, près de son coeur. La jeune femme ferma les yeux, épuisée. Elle sombra dans un sommeil sans rêves, bien plus reposant que le précédent.
J'ai toujours eu plus d'ennemis que d'amis, un nombre incalculable d'ennemis. Si j'ai tué la plupart d'entre eux certains sont toujours en vie et attendent un moment de faiblesse ou une bonne occasion pour se venger. Quelques uns sont de véritables dangers, des fines lames ou des sorciers impressionnants que je ne souhaiterais pas combattre à nouveau alors que d'autres sont justes des souvenirs de bataille à raconter au coin du feu. Oui ça peut paraître choquant de parler de personnes que j'ai tués de cette manière, mais ceux-ci savaient ce qu'ils risquaient en s'en prenant à moi, ils ne font pas partis des meurtres de mon passé si obscur. J'ai changée mais je ne suis clairement pas une pacifiste, je suis restée une combattante et si j'aspire à moins de violence il n'y a rien de plus excitant qu'un bon combat ou une situation particulièrement dangereuse. Si tous décident de suivre les règles, si ils savent ce qu'ils les attendent en entrant dans la mêlée, alors qu'ils dansent avec moi, qu'ils dansent avec mes frères et mes soeurs d'armes et qu'ils meurent.

-Crista-



Il anticipa parfaitement l'attaque de son adversaire, se déportant sur sa droite avec la grâce d'un félin. L'assaut précipité fouetta le vide et fit perdre l'équilibre à l'assaillant. La riposte n'attendit pas et un coup d'épée vint trancher ce bras perdu revenu en garde beaucoup trop tard. Le membre rebondit sur le sol avec un bruit mat alors que son propriétaire hurlait de douleur en tombant à genou. Une seconde de plus et sa tête sautait dans les airs d'une manière comique. Le tueur soupira, même dans la mort ses adversaires étaient ridicules. Des cadavres s'étalaient tout autour de lui, des dizaines, des bandits humains qui l'avait attaqué sur le chemin. Ce n'étaient pas des guerriers, le conflit qui ravageait Sanctuary avait poussé ces miséreux à tenter le vol. Mais ils avaient choisit la mauvaise cible.

Il essuya sa lame trempée de sang sur le corps d'un mort. Ce n'était pas une épée anodine, la lame avait une forme très étrange paraissant constituée de nombreux losanges imbriqués les uns dans les autres, donnant un aspect dentelé à l'arme. Elle était longue et l'air frémissait autour d'elle, brouillant légèrement ses contours. La garde s'enroulait autour de la main de son porteur. Si on l'observait sous différents angles elle avait l'air de bouger, de changer pour s'adapter à la prise. D'un geste parfait il la rengaina. Une seconde arme pendait à sa ceinture mais une seule avait suffit à éliminer ses agresseurs.

Une survivante se tenait recroquevillée contre un arbre en pleurant. Il s'approcha doucement et attrapa le menton de la jeune femme pour qu'elle lève les yeux. Des sillons de larmes coulaient sur ses joues, elle avait un visage fin et agréable avec de longs cheveux noirs.

« - Merci... Merci de m'avoir aidée, ils allaient me violer, des monstres... ! »

En se redressant elle essaya de distinguer plus précisément son sauveur. Mais il portait une pèlerine épaisse qui dissimulait ses traits, impossible de discerner autre chose qu'un océan de ténèbres.

« - Oui, les humains sont des monstres pour la plupart. »

La voix de l'homme était grave et rauque, profonde et ne manquait pas de puissance. Avec fermeté mais sans violence il remit la femme debout. Elle semblait mal à l'aise, inquiétée par son interlocuteur si étrange. Voyant sa réaction le guerrier leva une main en signe d'apaisement.

« - N'ayez donc pas peur de moi, je n'ai rien contre vous. »

Elle hocha la tête silencieusement et posa une main sur le torse de l'homme, rencontrant une armure en cuir.

« - Vous êtes là pour sauver Sanctuary ? Vous êtes un des guerriers de légende ? »

La question aurait pu être posée par une enfant tant elle était candide. Le combattant éclata d'un rire sonore qui fit frémir la jeune femme.

« - Oui je suis là pour tuer les monstres de ce monde. Je vais installer mon camp pour la nuit, si vous voulez vous y reposer... Vous ne devriez plus voyager seule dans des contrées si hostiles.
- Je devais rejoindre ma famille... Ils fuient la guerre... C'est...
- Terrible, je sais. »

Si on ne voyait pas son sourire l'homme paraissait amusé et plein d'assurance. Sa présence était dérangeante mais à la fois rassurante. Très rapidement la femme se sentit en sécurité avec un combattant de cette trempe à ses côtés. Alors qu'ils marchaient ensemble pour rejoindre une petite rivière qui s'écoulait à travers les bois, la voyageuse brisa le silence :

« - Je m'appelle Solenn. »

Voyant que son compagnon de répondait pas elle ajouta d'une voix un peu hésitante :

« - Et vous monseigneur ? Si ce n'est pas trop indiscret...
- Non ce n'est pas indiscret. Je suis Detheron Vaelazar. »

Les syllabes sonnèrent étrangement dans les oreilles de la jeune femme, elles avaient quelque chose de particulier, comme si elles ne pouvaient êtres prononcées à la légère. En réalité ce nom impressionnait Solenn, sans trop qu'elle sache pourquoi. Ils établirent le camp et allumèrent un feu, la soirée avançait sans que beaucoup de paroles soient échangées. Le guerrier avait partagé ses rations, de la viande tendre et fondante, qui, une fois cuite ressemblait à de l'agneau.

A aucun moment il ne laissa entrevoir son visage, cette discrétion commença à intriguer la jeune femme. Étant combattant il avait peut-être reçu de vilaines cicatrices qu'il n'osait pas montrer. Elle brûlait de curiosité mais ne souhaitait pas vexer l'homme étrange. Au court du repas il sortit une bouteille d'alcool fort et commença à en boire un peu.

« - Vous en voulez ? Par le froid qui règne ici ce n'est pas désagréable. »

Solenn ne refusa pas, elle aimait assez bien la boisson en général. Sans hésiter elle bu une longue gorgée avant de tousser, ce qui arracha un nouveau rire au guerrier. Ils burent pendant plusieurs minutes, rapidement la femme se sentit plus à l'aise, l'alcool faisait déjà son effet. Elle se mit à parler de sa famille à l'homme qui l'écoutait sans rien dire, se contentant d'hocher la tête de temps à autre. Elle s'approcha de plus en plus au long de la conversation, son coeur accélérant crescendo, les battements bourdonnants à ses tempes. Detheron l'avait sauvée, il dégageait un magnétisme puissant et une présence envoûtante. Elle se sentit attirée comme un papillon par une flamme, son esprit était confus et plus embrumé qu'elle ne l'aurait cru. Sa respiration s'accéléra encore lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'était plus qu'à quelques centimètres de l'homme, sentant son souffle sur son délicat visage. N'y tenant plus elle tendit une main et toucha une peau très douce, Solenn poussa la capuche en arrière et ferma les yeux pour embrasser le guerrier. Il lui rendit immédiatement son étreinte en rencontrant ses lèvres, se laissant à un baiser brûlant. La jeune femme recula un peu pour enfin contempler le visage de son mystérieux héros et se figea.

Sa peau était rouge sombre et ses yeux pareils à des braises incandescentes. De longs cheveux anthracites étaient attachés derrière sa tête, dégageant les côtés de son crâne qui étaient rasés. Il était d'une beauté exotique, dérangeante, un air étrangement humain alors que tout disait le contraire. Son sourire dévoilait une rangée de dents bien blanches et pas des crocs comme on aurait pu le penser. Mais une chose ne trompait absolument pas sur sa nature : il s'agissait des deux petites cornes qui ornaient son front. La femme resta pétrifiée, sans oser esquisser le moindre geste, ce qui accentua encore plus le sourire du diable.

« - Alors, tu sembles avoir perdue toute ardeur à présent.
- Vous... Un démon ! Par la Grâce ne me faites pas de mal ! »

Elle voulu reculer mais la main de Detheron se posa fermement sur son épaule, l'obligeant à rester.

« - Ce n'est pas moi qui est voulu te violer, lança t-il d'un air narquois.
- Non... Vous n'allez pas le faire ? Ne me tuez pas... Je vous en supplie ! »

Soupirant Detheron roula les yeux, agacé par la réaction exagérée de l'humaine.

« - Tu me fatigues, tu semblais prête à passer du bon temps, je ne demandais rien de plus, et voilà que maintenant tu joues l'enfant effrayée ?
- Mais vous êtes un démon ! Vous mangez notre chair. ! »
L'infernal éclata de rire et afficha un sourire terrible.
« - Mais toi aussi ma belle, tu as mangée mes rations. Ca n'a pas si mauvais goût visiblement ! »

La jeune femme fut encore plus choquée et manqua de s'étouffer. Elle eue un haut le coeur et vomit, ça en était trop. Detheron gloussa et s'écarta pour laisser Solenn vider ses boyaux sur le sol.

« - Tu me donnes moins envie comme ça... »

Elle resta un instant à genou, les yeux écarquillés et ne sachant pas trop quoi faire. La voyant encore trop perturbée pour parler le démon grommela :

« - Je suis un damné, j'ai été humain avant. Je ne suis pas né comme ça, les autres m'appellent un demi-sang. Je suis méprisé parmi les miens, crois-moi. »

Se contentant d'hocher la tête Solenn arriva à peine à articuler quelques mots :

« - Vous ne combattez plus avec les autres monstres alors ?
- Si, bien sûr. »

Lorsqu'elle entendit cette réponse la jeune femme renifla, des larmes avaient de nouveau coulées sur son visage. En un instant Detheron su ce qui allait se passer, il avait l'habitude. Il cacha sa déception et se contenta de détendre ses muscles, prêt à agir. Combien de fois avait-il vu cette expression sur le visage d'un humain ? La peur rapidement remplacée par la colère, la haine accumulée car au moins un des proches de cette femme devait être mort de la main d'un démon. Elle était si effrayée qu'elle ne considérait pas la solution la plus simple : Dormir dans ce camp et repartir au petit matin. Detheron ne l'aurait pas tuée, il s'en moquait. Il aimait bien la compagnie des humains, bien que souvent obtus et réactionnaires. Ses frères infernaux n'étaient pas aussi versatiles et une bonne majorité le méprisait car il était le seul damné à être parvenu si haut.

« - Je m'excuse de vous avoir offensé, seigneur. »

Elle se releva et fit mine d'aller reprendre sa place, mais lorsqu'elle passa devant lui elle tira une dague cachée sous ses vêtements et se jeta dans une attaque désespérée. Detheron ne se mit même pas debout, attrapant le poignet de Solenn au vol et le tordit de sa force incroyable. Elle cria et lâcha son arme, puis tomba à genoux alors qu'il l'attirait vers elle. Le démon passa une main dans les longs cheveux de la femme et lui murmura à l'oreille :

« - Je ferais ça vite n'aie pas peur... »

Il étouffa les hurlements de l'humaine en enfouissant sa visage contre sa poitrine. De sa main libre il récupéra la dague et la planta juste sous un des seins de sa victime, en plein coeur. Elle se débattit encore quelques secondes puis expira doucement, le sang chaud coulant sur la main de Detheron. Avec précautions il repoussa le corps et regarda Solenn. Il n'aimait pas tuer pour rien, et encore moins un adversaire aussi vulnérable, il n'y avait aucune gloire à ça. Mais un assassin de sa classe ne pourrait jamais se permettre de laisser un ennemi potentiel en vie, même le plus insignifiant. C'est ainsi qu'il avait réussi à se bâtir une réputation aussi solide. Néanmoins son humeur était gâchée, cela aurait pu se terminer d'une manière bien plus agréable. Il porta le corps à l'extérieur du camp et le recouvrit de neige pour ne pas attirer de bêtes sauvages.

« - Idiote... »

En un sens il comprenait très bien la peur qu'éprouvait les humains pour ceux de son espèce, mais cela l'agaçait. Clairement Detheron savait qu'il n'avait jamais vraiment accepté le fait d'être devenu un démon, une part de lui aimait toujours certains caractères de son ancien peuple, et sans hésiter il haïssait la plupart des infernaux malgré quelques bonnes connaissances. Il ne pouvait afficher la brutalité pure et la cruauté sans égale des diables, il n'avait ni pitié ni remords mais n'aimait pas en faire trop. Les assassins considéraient souvent le meurtre comme un travail ou un art, se gargarisant de leur talents dans d'immondes mise à scène. Detheron voyait plutôt ça comme une besogne pas forcément gratifiante où il fallait mettre fin à une vie de manière abrupte, il n'en retirait aucun plaisir. Mais il excellait dans ce domaine, et seul pour lui comptait son perfectionnement martial. Souvent, lorsque sa victime en valait la peine, au lieu de la tuer dans l'ombre, il lui offrait un duel loyal. Bien entendu il n'avait jamais perdu un seul combat.

Detheron retourna près de son feu et remit sa capuche. Il jeta une branche dans les flammes et les regarda croître de nouveau. Il se rappela le baiser de l'inconnue qu'il venait de tuer, c'était vraiment un beau gâchis. Grommelant il s'adossa à un arbre en face du camp et se recouvrit totalement de sa cape, les démons n'étaient pas vraiment adeptes du froid. Comme à son habitude il dormit d'un oeil, les mains posées sur les gardes de ses armes.

Lorsque l'aube se leva le feu avait laissé place à de la fumée. Detheron se leva et étira ses muscles engourdis, il n'aimait pas reprendre la route en étant pas totalement prêt. Il retourna sur le chemin qui traversait les bois, les cadavres des bandits étaient recouverts de givre. Il avait une mission à accomplir, confiée par Azmodan. Lui, un simple damné, recevait ses ordres du seigneur des péchés en personne. Un contact devait le retrouver, un espion avec plus d'informations sur la teneur de ses objectifs et il s'agissait d'un humain, encore un. La rencontre devait se faire au pied des montagnes précédent le Bord du Monde, à midi. Comme à son habitude, Detheron arriva en avance pour repérer les lieux et s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un piège. Il fit le tour de la petite clairière servant de rendez-vous, aucun tireur embusqué, pas de fosses à pieux cruels ou de glyphes magiques explosives. Satisfait il grimpa sur les premières branches d'un sapin pour scruter les éventuelles arrivées en restant caché.

Positionné ainsi il attendit plusieurs dizaines de minutes avant que ses sens ne perçoivent le bruit de la neige qui s'écrase. Quelqu'un approchait sans essayer d'être discret. Tournant la tête à droite et à gauche Detheron repéra l'arrivant. C'était un nordique, de bonne carrure avec une grande hache dans le dos et le crâne rasé. Il était dans la force de l'âge et avait probablement de l'expérience dans plusieurs domaines, le froid ne paraissait pas le déranger car il portait une simple tunique à peine rembourrée de fourrure. Avec une souplesse incroyable Detheron descendit de son arbre, tombant avec tant de légèreté qu'il fit à peine de bruit lorsqu'il toucha le sol. L'humain fut surprit de cette arrivée si soudaine et sursauta, mais il se reprit rapidement et croisa les bras.

« - La clarté de vos gestes est impeccable, lança le nordique d'un ton morne. »

Il s'agissait d'une phrase code pour annoncer qu'il était bien le contact. Detheron hocha lentement la tête et fit quelques pas vers son interlocuteur, répondant de sa voix grave et rauque :

« - Parles donc.
Il se racla la gorge, mal à l'aise, mais entama en inspirant profondément :
« - Jotun le seigneur tempête a envoyé un groupe par delà le Bord du Monde, il dit que Gaïa est en grand danger et veut la sauver. Il pense que si rien n'est fait Sanctuary entier disparaîtra.
- Azmodan me l'a déjà dit, étonnes-moi un peu, lança Detheron d'un ton sarcastique mais lourd de menaces.
- Oui... Heu... Ceux qu'il a sélectionnés ne sont pas n'importe qui. Il y a la Danse-Lame, une guerrière incroyable, la meilleure qu'il ait jamais existé. Je l'ai vu se battre, elle est si rapide qu'on ne peut voir ses épées bouger, on les entend juste chanter. »

Le démon resta perplexe, une combattante meilleure que lui ? Une humaine ? Il avait hâte de voir ça. S'apercevant que Detheron attendait la suite le nordique s'empressa de reprendre :

« - Trois autres marchent avec elle, il y'a un sorcier arrogant que je ne connais pas, un homme qui ne parle jamais et qui ne porte ni arme ni armure mais dont personne ne veut croiser le regard et une femme entièrement recouverte d'acier, dont la rumeur dit qu'elle est invincible. »

La femme de Vif-Argent. Azmodan l'avait prévenu, probablement la plus dangereuse. L'archidémon lui avait précisé qu'aucune arme ne pourrait la tuer, mais il avait prévu d'envoyer quelqu'un de précis pour s'en débarrasser.

« - Que peux-tu me dire d'autre ?
« - J'ai déjà tout dis à votre maître, mais j'ai fais ce qu'il m'a demandé, j'ai mis la pierre dans un des sacs des voyageurs.
- Bien, approuva Detheron. »

Le type sembla hésiter un instant puis demanda d'un ton qui ne se voulait pas trop précipité :

« - Vous pouvez libérer mes fils à présent ? Votre maître ma montré qu'ils étaient toujours en vie, c'était le pacte.
- C'était vrai jusqu'à hier, mais ils sont morts, désolé. Partez maintenant.
Le ton était sans concession et d'une dangereuse froideur, mais le visage de l'humain vira au rouge pivoine.
« - Quoi ? Pourquoi ? Je ne partirais pas ! »

Il voulut dire autre chose mais Detheron s'était déplacé si vite qu'il eut juste le temps d'écarquiller les yeux. Un objet très froid venait de déchirer son estomac pour le traverser de part en part. D'un coup de paume le démon repoussa violemment le corps en arrière qui glissa sur la lame et tomba lourdement au sol. L'humain pressa une main plein de sang sur sa blessure et grogna, battu.

« - Non il n'y a pas de combat héroïque, rien, juste la mort. »

Le nordique leva les yeux pour voir s'abattre l'épée et il mourut l'instant d'après.

Quatre combattants ? Il était seul avec l'aide de l'agent inconnu d'Azmodan. Les probabilités n'étaient pas en sa faveur. Les récits sur la « Danse-Lame » étaient peut-être exagérés mais Detheron avait apprit à ne jamais sous-estimer ses adversaires. Et si elle se trouvait au moins à moitié aussi redoutable qu'on le disait, avec l'aide des trois autres elle pouvait s'avérer mortelle. Il connaissait leur direction grâce à la pierre, un objet magique qui lui permettait de suivre ses proies à la trace en utilisant une autre roche traqueuse en sa possession.

Actuellement Detheron se trouvait déjà à quelques lieues du Bord du Monde en ayant emprunté un passage montagnard étroit. Il aurait pu suivre la Voie de Cristal cependant le chemin qu'Azmodan lui avait révélé était plus direct et moins dangereux. Sans la magie de divination du démon ce raccourci serait resté introuvable et hors d'atteinte, seuls quelques barbares nordiques devaient êtres au courant de son existence.

Le damné reprit la route en analysant de nouveau ses futurs adversaires. Une attaque frontale serait stupide, il lui faudrait d'abord découvrir ce que les humains comptaient faire pour aider Gaïa, de comprendre pourquoi il était si important qu'elle survive. Ensuite il pourra exécuter son travail. En une demi-journée il franchit rapidement la majeure partie de la distance qui le séparait du Bord du Monde. Il s'arrêta lorsqu'il arriva en vue des légendaires chutes d'eau comprenant le sens que les hommes pouvaient donner à cet endroit. Ce qui l'intrigua le plus fut la présence du chêne géant qui plongeait ses racines dans la Veine de Givre. Il devina rapidement que l'auteur de ce déploiement de magie devait être le principal ennemi d'Azmodan : Jotun, un druide aux pouvoirs impressionnant. La nuit commençait à tomber et ses cibles n'avaient pas encore bougées. Detheron décida donc d'installer son campement au pied de plusieurs immenses sapins enneigés. Il sentit qu'une présence l'observait, une présence surnaturelle puissante qui utilisait la divination. Le démon était protégé de ce genre de pouvoirs par une amulette en forme d'oeil qui le rendait invisible à la magie, il s'agissait d'un puissant artéfact qui faisait de lui un assassin encore plus redouté. Néanmoins cela rendit Detheron nerveux car le responsable de ces sortilèges intrusifs ne pouvait être autre que Jotun lui-même. Si il avait pleinement confiance en l'efficacité de sa protection il ne pouvait s'empêcher de penser que le druide avait quelques tours dans son sac lui aussi, il espéra que cela ne lui coûtera pas l'effet de surprise.

La présence se dissipa au bout de plusieurs minutes, l'observateur s'était retiré. Le druide ferait peut-être une autre apparition mais il devait avoir beaucoup d'endroit à surveiller et ne pouvait pas s'attarder souvent aux mêmes positions.

Detheron fit un feu sous les arbres pour cacher les flammes et la fumée à la vue. Il mangea et s'adossa au sapin le plus large, une habitude pour ne pas être poignardé dans le dos. Attaqué par le froid il referma sa cape sur lui, portant une attention distraite aux craquements du bois. Ainsi placé on aurait cru qu'il dormait mais en réalité il se reposait sans fermer l'oeil, il ne pouvait se permettre de sombrer totalement dans le sommeil en plein terrain ennemi. Il ouvrit totalement son esprit, percevant le son du vent, le bruissement des branches et le moindre crissement sur la neige. Un pied se posa à environ six mètres sur sa droite, bien que léger et agile il ne lui avait pas échappé.

Detheron fit mine de ne pas bouger, les yeux fermés et ses mains posées sur ses armes. L'intrus paraissait adroit mais si il ne s'annonçait pas dans les secondes suivantes il allait payer son audace. Il s'approcha doucement, l'assassin inspira silencieusement et se redressa d'un bond son épée au poing. L'air trembla et la lame géométrique dessina un arc de cercle foudroyant, s'arrêtant à quelques centimètres à peine de la gorge de l'arrivant.

« - Il semble que vous êtes à la hauteur de votre réputation, Detheron. »

La voix était langoureuse et insidieuse. Le regard brûlant d'une succube se posa sur le tueur agacé. Elle était grande et svelte, ses courbes parfaites à peine masquées par un tabard qui lui arrivait au dessus du genou. Ses vêtements n'étaient pas très épais et cela intrigua Detheron, il savait que les succubes avaient le sang chaud mais celle-ci devait porter autre chose pour la protéger du froid glacial car les démons n'aimaient pas les basses températures.

« - Je suis Illéisis, je ne suis pas votre ennemie, susurra t-elle doucement en s'approchant encore, méprisant le danger. »

Detheron cacha sa colère sous un masque d'impassibilité. Il n'aimait pas les infernaux et il détestait encore plus les succubes et leurs promesses enduites de miel empoisonné. Se retrouver avec une telle créature comme partenaire ne le réjouissait absolument pas. D'un regard expert il conclu néanmoins que l'arc que portait Illéisis était d'excellente facture et qu'à sa prestance elle savait sûrement s'en servir. D'un mouvement souple il rengaina son épée, refermant les pans de sa cape. Sans dire un mot il retourna s'installer à sa place.

Illéisis le suivit du regard avant d'aller s'asseoir à son tour en face de Detheron. La succube gardait un air faussement conciliant mais son sourire était réellement malsain. Intérieurement le damné savait très bien que sa nouvelle suivante le méprisait au plus haut point. Comme beaucoup de démon elle ne supportait pas de combattre aux côtés d'un non-pur, peu d'infernaux arrivaient à considérer qu'un être précédemment humain ait pu devenir si fort. Le silence qui s'installa entre les deux partenaires fut lourd de tension, aucun des deux ne semblait vouloir accepter l'autre. Finalement ce fut Illéisis qui, avec un sourire parfaitement calculé, osa entamer la conversation.

« - Qu'avez-vous prévu, maître Detheron ? »

Le damné faillit grimacer à l'évocation de ce titre dérisoire employé par la succube pour se moquer de lui plus qu'autre chose. Mais il cacha de nouveau sa réaction, ne souhaitant pas donner satisfaction à Illéisis.

« - Azmodan t'a t-il protégée contre la divination ? répondit froidement Detheron.
- Bien sûr, il a tissé un enchantement qui durera plusieurs semaines, je ne prendrais pas le risque de vous faire repérer... »

Comment cette succube comptait s'y prendre pour tuer la femme de Vif-Argent ? Elle n'avait pas l'air d'une sorcière et ne paraissait pas disposer de pouvoirs magiques capables de mettre la guerrière immortelle en danger. Detheron hésita à poser la question mais il garda le silence, il le saurait en temps voulu. La démone se pencha en avant, les flammes étaient à la limite de lui lécher la peau, même sa longue tresse de cheveux ne semblait pas craindre le feu. Elle plongea une main au coeur du foyer, à l'endroit le plus chaud. Son bras entier fut recouvert de flammes dansantes qu'Illéisis fixa avec l'air amusée d'une gamine.

Detheron ne fut pas impressionné, il savait que les succubes avaient une affinité naturelle avec le feu, certaines arrivaient même à le manipuler par la pensée sans utiliser de magie. Les dernières lueurs disparurent et la démone darda un regard brûlant sur l'assassin silencieux.

« - Alors qu'avez-vous prévu ? »

Il savait ce qu'Illéisis avait en tête, elle ne faisait pas allusions à d'éventuels plans pour arrêter les humains mais plutôt à quelque chose de beaucoup plus charnel. Les succubes aimaient le désir et la chair, elles jugeaient les hommes sur leur résistance à la tentation. Elles se laisseraient aller à n'importe qui, même un damné, pour mieux le tuer dans un instant de vulnérabilité. Ces plantes là étaient plus vénéneuses que les autres et Detheron ne voulait pas tomber sous le charme envahissant d'Illéisis. Il savait qu'elle essayerait de le contrôler d'une manière ou d'une autre au long de cette mission, peut-être même qu'Azmodan le lui avait demandé pour le mettre à l'épreuve.

« - Pas ce que tu as en tête, prépare toi à partir tôt. »

Chassant la position lascive de la démone de sa tête Detheron essaya de retrouver le calme intérieur. Elle le détestait et pourtant elle le voulait, comme un besoin irrépressible. Qui était le plus prisonnier, la succube de ses propres désirs ou l'homme dépendant de ses charmes ? Inspirant profondément il fit mine de fermer les yeux, les sens toujours aux aguets, ainsi il ne vit pas le visage contrarié d'Illéisis.

Agacée et lasse de son voyage elle se leva, Detheron capta ses pas légers s'éloigner, il devra faire attention à ce qu'elle ne tente pas de lui tirer une flèche. Le crissement de neige s'arrêta, elle avait donc peu avancée. Illéisis regardait l'horizon et croisa les bras, discernant les éternelles chutes du Bord du Monde. Là bas se trouvait son ennemie de toujours, Crista. Elle savait que sa Némésis ne devait plus être mort-vivante, elle avait tuée Adémènes l'Ange déchu et récupérée une âme. C'était une frêle humaine et plus l'implacable assassin qu'elle avait connue.

Néanmoins elle se rappela de son dernier combat avec Crista ou elles avaient faillit mourir toutes les deux, il fallait se méfier de cette guerrière plus dégourdie que bon nombre d'adversaires que la succube avait tuée. Ses souvenirs revinrent encore plus loin en arrière, au temps ou elle rencontra pour la première fois la mort-vivante. A l'époque Illéisis n'était pas encore au service de Vankhar et son rang valait à peine mieux que la piétaille infernale qui se déversait sur Sanctuary. C'était une simple éclaireuse, juste un peu plus prometteuse que les autres. Crista l'avait sauvée d'une embuscade tendue par des soldats humains. Elle avait réalisée cet exploit pour rejoindre l'armée infernale, chassée par son ancien peuple, assoiffée de vengeance.

Combien de fois avaient-elles remportées de batailles ensemble ? Illéisis ne saurait le dire... Mais il y en eu tant que cela attira l'attention d'archidémons comme Vankhar qui ne souhaitait avoir que les meilleurs éléments sous son commandement. Un sourire carnassier étira le visage de la succube : elle salivait d'avance le fait de se mesurer pleinement à sa meilleure ennemie.
Il y a ceux qui avancent et ceux qui meurent. Certains sont trop faibles pour avancer seuls, alors d'autres les aident au risque de ne plus avancer à leur tour. C'est une perte de temps, si l'on est pas capable de se débrouiller seul on ne mérite plus de vivre. La vie sait poser les pièges les plus douloureux, on peut s'arrêter un instant pour réfléchir mais on ne doit pas se projeter sans arrêt dans le passé et se lamenter sur ce que l'on aurait pu faire, de ce que l'on aurait pu améliorer. Nous sommes là et nous devons avancer avec ce que l'on a. Chacun possède une étincelle minuscule capable de se transformer en un feu ravageur si l'on se donne les moyens. Mais peu sont ceux qui décident de saigner et transpirer suffisamment pour en faire quelque chose, la plupart préfèrent rester à l'arrêt et mourir, car c'est plus sûr. Moi si je prends le temps de regarder en arrière, je suis déjà mort.

-Detheron Vaelezar-




Elle fixait son reflet dans l'eau, ses contours frémissant sur l'onde fraîche. Son doigt couru le long d'une cicatrice tracée sur sa joue droite, elle était si fine qu'on la discernait à peine. Crista n'arrivait plus à se rappeler l'origine de celle-ci, il y en avait tellement sur l'ensemble de son corps qu'elle finissait par en oublier leur histoire. Doucement la jeune femme prit de l'eau au creux de ses mains et la passa sur son visage, le vent frais saisit immédiatement sa peau, pénétrant ses sens et emplissant sa poitrine d'air glacé. Vivifiée elle se redressa et reprit ses armes qu'elle avait posée juste à côté, sur les berges de la Veine de Givre. Ses muscles se détendirent et elle tira habilement les lames hors de leur fourreau respectif pour réaliser quelques mouvements martiaux adroits. Le soleil se levait à peine et il n'y avait personne pour venir l'observer et rester figé devant tant de grâce et d'adresse. Son corps libéré par ce court entraînement Crista se sentit plus à l'aise, plus apte à combattre les futurs évènements.

Tranquillement elle alla s'asseoir sur une des immenses racines de Jotun, passant une main sur l'écorce rugueuse de l'arbre. Amusée elle releva l'index qui portait l'anneau confectionné par Lynésis, un véritable plaisir de pouvoir marcher au côté du froid matinal sans frémir. Alors qu'elle fermait les yeux un craquement sourd la fit sursauter, elle tourna vivement la tête vers la source du bruit, ce n'était pas une personne mais le chêne qui semblait s'éveiller. Un profond murmure s'envola, porté par la brise. Les mots qui s'arrachèrent au bois retentirent dans la tête de Crista comme autant d'échos :

« - Tu vas partir, Danse-Lame ? »

Le surnom fit apparaître un pâle sourire sur le visage de la jeune femme, elle inspira profondément de nouveau et lança d'un souffle :

« - Oui... »

Le sourire de Crista s'accentua soudainement alors qu'une nouvelle pensée traversa son esprit.

« - ... Jotun... Lame-Tonnerre ? »

Le silence qui suivit fit croire à la guerrière que le druide s'était déjà retiré. Mais brusquement sa voix grondante se répercuta de nouveau dans l'esprit de Crista :

« - L'être de Vif-Argent t'a donc fait part de mes liens avec Drekkor.
- Oui, mais ne t'inquiète pas, je garderais ce secret, j'ai juste quelques questions, des choses que je voudrais savoir. »

Jotun grogna une sorte d'assentiment et laissa la jeune femme continuer.

« - Pourquoi Hélèna ne se venge t-elle pas ? Elle partageait son âme avec Cevera et sa mort a brisé tout sens possible de son existence.
- Ce n'est pas si simple, commença le druide, Cevera n'est pas morte. »
Crista fronça les sourcils, la curiosité à vif.
« - En ce temps je ne pouvais m'opposer à mon père, je devais obéir aux décisions du clan. Mais je ne pouvais consentir à tuer ma mère de cette manière. J'avais une idée, un plan, mais rien n'a fonctionné comme je le prévoyais. »

Un tonnerre sourd ressemblant à un soupir éclata, le druide ne cachait pas ses regrets.

« - Puisqu'il s'agissait d'une puissante sorcière mon père voulait la tuer et disperser son âme pour être sûr qu'aucun rituel ne pourrait la ramener. Il n'avait aucune affinité avec la magie il m'avait donc chargé de cette partie de l'assassinat... »
Il s'arrêta de nouveau, la dernière phrase prononcée semblait cacher une rage difficilement contenue.
« - Les sorciers du clan sont tous morts durant le terrible affrontement et Cevera succomba à son tour alors que mon père retenait Hélèna. Au lieu de disperser l'âme de ma mère j'ai voulu la cacher dans un endroit sûr, un endroit ou je pourrais ensuite essayer de l'extirper pour la mettre dans un nouveau corps. Je l'ai donc transférée dans la guerrière de Vif-Argent.
- Hélèna a une âme ? !
- A l'état latent.
- Comment une âme peut-être dans cet état ?
- Je ne voulais pas que mon père ou un sorcier s'aperçoivent de la survie de Cevera, j'ai donc masquée l'âme dans un cocon de magie particulier, elle est emprisonnée ! Cela ne devait pas durer des centaines d'années, j'avais convaincue Hélèna de me suivre, de partir, convaincue que je ferais revivre ma mère et le lien qu'elle avait avec la femme de Vif-Argent ! »
La voix de Jotun vibra de colère, c'était la première fois que Crista voyait le druide d'habitude calme s'emporter d'une telle manière, les souvenirs qu'elle lui avait rappelé semblaient difficiles.
« - Le Vif-Argent est un alliage particulier dont j'ignorais toutes les propriétés, il a retenu ma magie et je n'ai jamais pu accomplir le rituel que je comptais mener, mes sorts de libération restèrent sans effet, c'était comme si la prison de l'âme de Cevera avait tissée un lien indestructible avec le Vif-Argent.
- Hélèna espère que tu puisses encore trouver une solution ?
- Oui.
- Ce n'est pas le Vif-Argent qui l'a empêchée d'avoir une âme quand Adémènes lui en a donné une, c'est parce la place était déjà prise...
- Oui, concéda de nouveau Jotun visiblement encore plus ennuyé.
- Et c'est aussi la promesse que t'a faite Adémènes, de trouver un moyen de libérer ta mère ? C'est comme cela, que, comme par hasard toi et Hélèna vous retrouviez dans la même histoire... »
Un rire sombre et amer résonna dans l'esprit de Crista, le druide s'étonna de voir que la jeune femme avait absolument tout devinée.
« - Tu es très perspicace Danse-Lame...
- Disons plutôt que j'ai eue le temps de beaucoup réfléchir à ces évènements, des choses me paraissaient incohérentes, comme ta participation aux projets du fou qu'était Adémènes.
- Tu as clairement un rôle à jouer dans l'avenir de Sanctuary et je pense que le monde n'a pas fini de chanter tes légendes. »

Crista ne su si Jotun était vraiment sérieux en lui faisant autant de compliments ou si il cachait juste sa surprise d'avoir été percé à jour. Néanmoins le rouge monta aux joues de la jeune femme, elle était toujours aussi gênée lorsque l'on parlait d'elle. D'autres questions bourdonnaient dans sa tête, Crista aimait comprendre le pourquoi des choses. Ce trait lui était resté même lorsqu'elle était devenue mort-vivante, la connaissance des adversaires et des alliés était une force et une arme à ne pas sous-estimer. Savoir dans quel monde on avançait et avec qui on marchait était un premier pas primordial pour la guerrière. Néanmoins elle ne voulait pas non plus trop accabler son interlocuteur et pour l'instant elle en savait déjà assez. La seule chose qui l'intriguait encore était pourquoi Jotun faisait croire qu'il n'était pas le frère de Drekkor ? Cette histoire là ne la concernait que peu et pourtant sa curiosité se faisait grandissante.

« - Je partirais... Demain. Pour le au-delà du Bord du Monde, je ferais ce que je pourrais.
- Je rêverais de pouvoir partir avec toi, Danse-Lame, mais je ne peux que te souhaiter bonne chance ! »

Crista hocha la tête en silence. Elle se leva et fit quelques pas, l'endroit était toujours aussi désert. Les rayons du soleil commençaient à caresser doucement sa peau, reprenant ses armes elle fit tournoyer Croc de Lune et la fit chanter une mélodie envoûtante. L'épée vibra au rythme de chaque étrange note comme l'appel irrésistible d'une sirène. La jeune femme réalisa plusieurs passes agiles contre le vent et termina en plantant d'un coup la lame dans la terre. A cet instant elle sentit que Jotun avait tourné son attention vers autre chose, probablement attirée par une autre affaire. Crista récupéra son arme et continua à s'entraîner jusqu'à ce que son corps soit couvert de sueur, ses vêtements collants à seau peau humide. Lassée elle passa une main dans ses cheveux, elle fut soudainement prise de l'envie de vérifier les paroles de la fée. Un sourire aux lèvres la jeune femme rangea ses lames et détacha son ceinturon pour le poser au sol, toujours à portée. Elle retira ensuite ses vêtements et posa un pied dans la Veine de Givre.

« - Incroyable, murmura la bretteuse. »

En effet elle ne ressentit aucun froid, juste une eau tiède. Amusée elle se jeta totalement dans l'eau et commença à nager. Quiconque l'apercevant en train de se baigner dans ce courant glacial la prendrait immédiatement pour une folle, mais avec l'anneau de Lynésis l'eau était juste agréable après le long entraînement de la guerrière. Elle plongea sous l'eau durant presque une minute, observant le fond de la Veine Givre, croisant le regard de quelques poissons peu habitués à voir une telle créature au coeur de leur domaine. Crista remonta pour reprendre son souffle et remarqua la présence d'Hélèna près de la berge, à côté de ses affaires. La combattante de Vif-Argent l'observait avec les bras croisés.

« - Comment m'as-tu trouvée ? demanda Crista surprise par une arrivée si soudaine.
- Je vois ce que je veux voir, je trouve ce que je veux trouver. »

La phrase lancée avec un air prophétique fit sourire la nageuse, elle se rappela les capacités surnaturelles de sa soeur d'arme.

« - Je suppose que tu n'es pas venue prendre un bain ? »

Hélèna resta sans broncher, son casque sous son bras, le soleil illuminant ses cheveux platines. L'artisan qui avait fabriqué la femme de Vif-Argent avait parfaitement réussit son travail, le visage de la guerrière était si parfait qu'il aurait fait pâlir les plus désirables succubes des enfers.

« - Non.
Voyant qu'elle n'enchaînait pas Crista ajouta :
« - Alors quoi ?
- J'ai cru que tu serais en danger. »

L'humaine fronça les sourcils et ne peu s'empêcher de jeter un regard autour d'elle, à priori il n'y avait rien ou personne dans les environs.

« - En danger de quoi ? De qui ?
- Un être se cache avec une puissante magie, la divination de Jotun ne peut le voir mais moi je peux sentir les effluves du mana qui parcours le monde. Je ne peux voir qui il est mais je peux ressentir sa présence, c'est un être sombre.
- Un démon ?
- Pas nécessairement, mais cela reste une possibilité répondit simplement Hélèna. »

Crista se rapprocha de la berge et reprit pied.

« - Azmodan serait déjà au courant de nos intentions ? Bien qu'il n'est aucune affinité avec Gaïa...
- Je ne sais pas. Mais cet être s'est approché de toi, très près, tu n'as rien vu ? »

Le visage de Crista se ferma et ses yeux s'étrécirent. Bien qu'elle est du mal à le croire elle savait que la guerrière de Vif-Argent ne se trompait jamais sur ce genre de chose, si quelqu'un l'avait espionnée c'est qu'il s'agissait de la vérité. Certes l'attention de Crista avait été prise par sa conversation avec Jotun mais elle se maudissait de ne pas avoir été assez attentive.

« - Non je n'ai rien vu... Il doit être très doué... Ce n'est peut-être pas un ennemi, espéra la jeune femme sans trop y croire.
- Le meilleur oeil ne peut rien face à la magie. »

Crista était gênée par la situation mais Hélèna avait raison. Si l'étrange espion possédait suffisamment de pouvoir pour se dissimuler à Jotun elle aurait eu peu de chance d'arriver à le détecter. La jeune femme soupira pour chasser son agacement et sortie entièrement de l'eau, le vent frappant sa peau nue. Uniquement vêtue de l'anneau de Lynésis, ce qui l'empêcha de se transformer immédiatement en statue de glace, Crista s'approcha de ses affaires. A côté d'Hélèna et sa lourde armure à plaque elle avait l'air d'une demi-portion mais si elle était moins impressionnante en taille et en poids on pouvait aisément remarquer que chacun de ses muscles étaient finement travaillés. Rapidement elle enfila ses vêtements pour couvrir sa peau encore luisante d'eau et récupéra ses armes si précieuses.

« - Je vais rentrer préparer mes affaires pour le départ, annonça Crista en ajustant le col de sa chemise.
- Je resterais près de toi.
- Tu t'inquiètes pour moi ?
- Non.
- Pourtant...
La phrase de la bretteuse fut coupée par un regard foudroyant d'Hélèna.
« - Je penses que tu es la plus apte à diriger cette expédition, nos ennemis pourraient essayer de mettre un terme à ton existence, tu n'es plus immortelle.
- Je suis celle qui Danse avec les Lames. »

Prononça Crista en tentant d'imiter le ton sérieux de la guerrière de Vif-Argent qui ne sembla pas saisir la plaisanterie. Un léger sourire éclaira le visage de la bretteuse, amusé par l'impassibilité totale de sa soeur d'arme. Ce calme froid et cette apparente inexpression rappela à la jeune femme son propre comportement avec les autres humains, elle ne montrait habituellement aucune émotion. Finalement elle arrivait mieux s'exprimer avec les immortels et les créatures surnaturelles car elle les connaissaient beaucoup mieux que son propre peuple...

« - D'accord, mais je n'aime pas être maternée, concéda Crista. »

Hélèna ne répondit rien et se contenta de décroiser lentement les bras. Les deux femmes s'en allèrent vers le centre de la petite ville, trouvant leur chemin au milieu du labyrinthe de racines de Jotun. Elles traversèrent la place principale au pied du chêne, seuls quelques matinaux s'animaient sous le soleil levant, le reste de la communauté était silencieuse. Sans s'arrêter elles rejoignirent directement la maison enfoncée dans l'écorce prêtée à Crista. La jeune femme avait faim et n'avait pas encore déjeunée, dès qu'elle fut entrée elle attrapa ce qui lui tomba sous la main. Manger avait été un plaisir superflu pendant de longues années, ne servant qu'à régénérer ses plaies avec de la chaire humaine qui avait un goût qu'elle préférait oublier. Assise en face d'Hélèna raide et absente elle savoura sa nourriture, ses pensées se fixèrent sur l'âme de Cevera emprisonnée dans la guerrière de Vif-Argent, devait-elle lui dire qu'elle était à présent au courant ? Une idée risquée compte tenu des réactions parfois extrême d'Hélèna... Mais ce qu'avait surtout envie de dire Crista à sa soeur d'arme était qu'elle devrait pouvoir ressentir si une âme se trouvait quelque part en elle.

« - Hélèna... »

A l'entente de son nom la concernée posa immédiatement un regard acérée sur son interlocutrice. Les mots de Crista restèrent bloquée dans sa gorge, elle craignait que ses paroles soient interprétées comme de la pitié, chose qu'elle souhaitait à tout prix éviter.

« - Non rien... »

Ne marquant pas plus d'émotion les yeux blancs perle de la guerrière de Vif-Argent se remirent à fixer le vide. Le silence tomba sur la pièce mais il fut rapidement brisé par l'arrivée inattendue de Lynésis, qui sortie de nulle part, vola jusqu'à son amie pour s'arrêter juste en face de l'assiette posée sur la table.

« - Quelqu'un est passé durant ton absence...
- Qui pouvait se lever aussi tôt ? s'étonna Crista.
- Un homme au crâne rasé accompagné d'un autre avec une épée...
- Dex... Qu'est-ce qu'il souhaitait ?
- Il a dit qu'il comptait partir cet après-midi et qu'il voulait que tu sois prête. »
La bretteuse grimaça face à l'impatience de son allié.
« - Il a pas intérêt à trop me commander celui-là !
- Nous pouvons toujours nous en séparer, suggéra Hélèna qui quitta son mutisme.
- Si Jotun l'a choisit c'est qu'il devait avoir une bonne raison de le faire. Je suppose... Enfin je l'espère... »

Crista termina de manger et rassembla ses affaires, laissant sa robe pour reprendre son armure de cuir noire et ses vêtements de voyage. Elle jeta un dernier regard à son manteau, grâce à l'anneau de Lynésis elle n'en aurait plus besoin, cela faisait une chose de moins à transporter. La fée se glissa dans une des sacoches à la ceinture de la jeune femme. Elles quittèrent leur maison temporaire peu après le zénith, suivies de près par Hélèna, puis rejoignirent la place de la ville où attendaient Dex et son compagnon.

« - Par la Grâce vous voilà ! Il faut partir tant que le ciel est dégagé, un blizzard pourrait nous retarder. »

Crista ne répondit pas à la plainte de l'humain pompeux. Avec Jotun dans les parages il n'y aurait probablement jamais de mauvais temps pour les gêner mais elle s'abstint de le faire remarquer, se contentant de rester impassible. Ce fut sans dire un mot de plus que le groupe s'en alla encore plus au Nord, sur les terres qui s'étendaient avant l'immense Mer des Glaces. Il n'y avait rien d'autre que des landes neigeuses balayée par un vent frais et frappées par un soleil radieux. Le paysage devenait d'un blanc monotone et aucun animal ne paraissait pouvoir vivre à une période de l'année aussi hostile.

« - Cette vallée s'étire sur encore plusieurs kilomètres, après il faudra descendre sous la terre, commenta Dex après plusieurs heures de silence. »

Bien que Crista n'ait pas vraiment envie d'entamer la conversation avec l'épéiste qui l'accompagnait, l'histoire des souterrains l'intriguait. Comment l'homme pouvait être aussi sûr de lui ?

« - Sous terre ?
- Parfaitement, un passage que j'ai réussi à repérer grâce à mes pouvoirs, un endroit qui semble irradier d'une bien étrange aura. »

Le mot pouvoir avait été souligné par Dex, nul doute qu'il allait prendre plaisir à faire spectacle de sa magie. Crista secoua la tête et se concentra sur sa mission, il ne fallait pas se perdre en disputes et gardait ses piques pour plus tard. De toute manière en terme de fiabilité de détection Hélèna restait la plus à même pour la bretteuse, rien n'échappait à la guerrière de Vif-Argent et elle avait sûrement dû ressentir cette présence surnaturelle dont parlait Dex. Crista s'interrogea sur la forme que pourrait prendre Gaïa, elle n'arrivait pas à concevoir une entité présente dans toute chose, y comprit sa propre chair et ses os.

La compagnie marqua une pose à la tombée de la nuit, décidant de s'installer dans un des renfoncements de la vallée pour être un plus à l'abri du vent. Aucun nuage n'était présent pour cacher le coucher du soleil derrière les pics déchiquetés du Nord. Dex alluma un feu avec un sort simple et commença à sortir ses rations. Hélèna restait debout et à l'écart comme à son habitude, Crista s'éloigna un instant du campement pour aller la voir.

« - Tu as vu quelque chose ? Demanda la bretteuse qui commençait à savoir comment décrypter la femme de Vif-Argent.
- La même présence qu'avant que nous partions, je sens qu'elle est proche mais je ne peux savoir où exactement.
- Elle nous suit depuis le départ ?
- Oui. »

Une personne ou un groupe suffisamment expérimenté en discrétion et en magie surveillait les mouvements des humains, ce qui déplaisait fortement à Crista. Son instinct lui criait qu'il s'agissait d'espions ennemis, Azmodan les suivaient de près, une raison de plus pour agir vite. Lorsqu'elle revint près du feu Crista remarqua que l'étrange homme qui suivait Dex avait disparu. Intriguée elle demanda au jeune mage :

« - Où est passé... Enfin... Comment s'appelle t-il ?
- Il part faire une sorte de « méditation » quelque chose du genre, ce n'est vraiment pas très important, répondit l'interrogé en balayant l'air de la main.
- Et son nom ?
- Son nom ? Je n'en sais rien, et diable je m'en fiche, il ne porte même pas mes sacs ! »

Crista soupira et alla s'asseoir à son tour. Dex l'exaspérait à chaque fois qu'il prononçait un mot, alors une phrase complète...

« - Êtes vous toujours aussi arrogant et irascible ? Demanda d'emblée la bretteuse.
- Arrogant ? Irascible ?
- Oui et arrêtez de répéter ce que je dis à chaque fois ça devient lassant.
- Je ne me laisserait pas insulter par une gamine tombée du nid plus tôt que les autres. Les MacMullen sont une grande famille de grands magiciens, formés aux arts les plus complexes et occultes... Le genre de concepts qui dépassent votre esprit étriqué et dégénéré par le trop grand nombre de coups prit sur la tête ! Alors s'il vous plaît, je vous en prie, cessez de m'importuner avec vos histoires et vos questions hors de propos ! »

La longue tirade aux accentuations pompeuses laissa Crista perplexe. Elle n'arriva pas à formuler une réponse immédiatement, l'unique mot lui venant à l'esprit étant une insulte. Inspirant profondément elle déclara en regardant droit dans les yeux électrisés du sorcier :

« - Arrogant et irascible c'est bien ce que je disais, je crois que ça suffira pour ce soir.
- Oui oui c'est cela, ouste ! »

Le mage marmonna encore quelque chose que Crista préféra ne pas entendre. Elle s'éloigna et alla se coucher dans l'ombre, profitant de la chaleur de son anneau pour rester loin de Dex. Hélèna restant éveillée toute la nuit elle s'endormit complètement avec Lynésis. La marche reprit aux premières lueurs de l'aube. L'humain silencieux était revenu et avançait un peu à l'écart du groupe en s'appuyant sur un épais bâton de marche. Au fil de l'avancée la vallée se refermait sur les voyageurs pour finalement se terminer à une chaîne de montagnes infranchissables. Ils s'arrêtèrent pour contempler cette terre inconnue des habitants de Sanctuary. Dex brisa le silence en déclarant d'une manière presque lyrique :

« - De l'autre côté se trouve la Mer des glaces, l'endroit le plus désolé au monde. Le passage que nous cherchons n'est plus très loin. »

Ne prêtant pas vraiment attention aux paroles du sorcier Crista remarqua plutôt le déplacement rectiligne de la guerrière de Vif-Argent vers la droite. Elle emboîta le pas à sa soeur d'arme sous le regard agacé de Dex.

« - Attendez mais où allez vous ? Il faut que je lance la divination et..
- Pas besoin de ça, coupa Crista en s'éloignant un peu plus.
- Pas besoin de ça ? »

Il n'obtint pas de réponse et l'homme silencieux se mit à suivre Hélèna à son tour. Marmonnant dans sa barbe le sorcier fut forcé de suivre le mouvement. Ils arrivèrent tous face à une parois rocheuse constellé de cavernes qui ressemblait à un village troglodyte.

« - Il faut emprunter un des boyaux, annonça la guerrière de Vif-Argent.
- Allons-y mais je me méfie de cet endroit, qui sait ce qui peut hiberner là dedans durant l'hiver ? »

L'avertissement de Crista fut acquiescé en silence malgré la contrariété de Dex qui n'avait pas eu à employer un de ses sorts.

A première vue les lieux étaient déserts mais le groupe n'avaient pas encore profondément pénétré les entrailles de la terre. Le vent gelé sifflait à travers les roches des cavernes, formant de fine pellicules de glace traîtres sur la pierre. Lorsqu'elle fut à peine entrée dans le réseau Crista demanda à la guerrière de Vif-Argent :

« - Nous sommes toujours suivis ?
- Oui.
- Faisons bien attention, ils auront moins d'espace pour se dissimuler peut-être arriveront nous à les surprendre. »

Les espions étaient audacieux, poursuivre le groupe dans un espace plus confiné allait être plus risqué. La bretteuse se demanda si ils savaient seulement où ils allaient mettre les pieds... Cet endroit recelait probablement de nombreux dangers tapis dans l'ombre, des obstacles capables d'arrêter des humains et des démons.

Les ténèbres s'accentuèrent, la lumière extérieure ne parvenait plus jusqu'aux voyageurs. Le groupe avait prévus des torches mais Dex éclata de rire à l'idée d'employer un moyen aussi sommaire dans un lieu aussi malsain.

« - Des torches, vraiment ? Allons gardons les mains libres... Lux ! »

Il tendit un index en avant un globe de lumière se mit à flotter au dessus du groupe, éclairant suffisamment pour voir à plusieurs mètres. Pour la première fois Crista dû avouer que le sorcier se montrait utile, ce qui n'allait pas arranger son égo.

« - Le Soleil des MacMullen, symbole d'ascension et très pratique, il peut aussi...
- Ça ne nous intéresse pas, trancha la bretteuse qui reprit sa marche.
- La prochaine fois je me contente d'un sort d'infravision et je vous laisse dans le noir, ingrate ! »

Crista haussa les épaules et laissa le sorcier continuer à parler seul. Elle remarqua que le sol descendait, il s'enfonçait de plus en plus sous la terre. La bretteuse hésita à laisser des marques pour se repérer par la suite mais ce serait laisser une piste toute faite pour leurs poursuivants. De toute manière Hélèna ne se perdait jamais, la guerrière savait toujours où elle devait aller. Progressant prudemment à travers les boyaux le groupe tomba sur une immense intersection.

« - Vous ne voulez toujours pas que j'utilise mes sorts ? N'attendons pas d'êtres perdus ! »

Crista ne répondit rien et observa sa soeur d'arme qui s'était figée. Cette attitude la bretteuse la connaissait aussi, et lorsque Hélèna prit sa masse et son bouclier cela confirma les doutes de la jeune femme.

« - On va êtres attaqués, c'est le moment pour vos sortilèges...
- Oui je sauve tout le monde, comme d'habitude. »

Le carrefour était un endroit idéal pour une embuscade. Les boyaux s'enfonçaient bien trop loin pour que le globe de lumière puisse les éclairer totalement. De plus des corniches s'étendaient au dessus du groupe ce qui faisait un endroit de plus à surveiller. Une série de crissement aigus résonna dans la caverne, d'étranges craquements qui n'auguraient rien de bon. Crista distingua une poignée de silhouettes quitter l'ombre du tunnel en face d'elle. Des humanoïdes, grands et maigres, à la peau blanche comme la neige et dotés de griffes noirâtres acérées. Ces créatures ne devaient jamais sortir des souterrains car leurs yeux étaient minuscules et semblaient se diriger avec leurs autres sens.

« - Qu'est-ce que c'est que ces abominations ? » Se demanda Crista.

D'abord une dizaines puis des vingtaines de chaque côté, elles encerclèrent le groupe puis se jetèrent en courant et en piaillant sur les voyageurs. Sans perdre de temps Dex invoqua une énorme boule de feu qui s'écrasa sur la première vague d'assaillants, carbonisant sur place plusieurs des créatures. Les cris stridents poussés par les monstres atteignirent leur paroxysme lorsqu'ils étaient lentement brûlés par les flammes. Ne craignant rien ni personne Hélèna s'avança et repoussa une charge d'un coup de bouclier qui fit valdinguer son premier adversaire. Elle riposta en fracassant le crâne d'un autre ennemi avec sa masse, une giclée de sans épais et noir tacha son armure dorée. D'un enchaînement rapide elle brisa net les côtes d'une créature trop ambitieuse avant de l'achever part une frappe dans la mâchoire, lui décrochant la moitié du crâne en un craquement affreux.

Voyant que Dex retenait ses ennemis sur deux fronts par des murs de flammes et des volées de projectile magique mortelles, Crista rejoignit le côté du combattant silencieux. C'était toujours sans un bruit qu'il cassait violemment les membres de ses attaquants avec son bâton. D'une vivacité incroyable il tournoyait avec son arme entre les monstres, ne leur laissant pas une seule chance de s'approcher. La bretteuse n'avait jamais observée un style de combat aussi étrange et efficace. Lorsque l'homme manqua de se faire encercler il réalisa un saut incroyable, sans aucun élan, et se propulsa hors de porté. Crista s'élança avec Croc de Lune et trancha les bras d'une créature puis mit fin à ses cris en l'égorgeant avec sa dague. Elle repoussa le corps d'un coup de pied et embrocha l'assaillant suivant, répandant une parti de ses entrailles sur le sol. Avec une dextérité hors du commun la bretteuse lança sa dague d'un même mouvement. Alors que l'arme se plantait dans le front d'un monstre qui s'écroula après avoir fait quelques pas, Crista dégainait déjà une autre lame pour l'enfoncer dans le cou d'une victime à portée. Sans perdre le fil de la situation elle avait repoussée les griffes de deux autres ennemis avec son épée, emportant une main au passage. Le tourbillon d'acier avait laissé le temps au guerrier silencieux de revenir. Il chargea et bondit en assénant un coup de haut en bas sur le crâne d'un monstre. Le choc effroyable tua instantanément la créature qui n'eut même pas le temps de crier. Sa contre-attaque ne s'arrêta pas là car il continua sa course en renversant deux autres assaillant d'un arc de cercle avec son bâton. Chaque frappe paraissait plus puissante que la précédente, comme si ses adversaires n'étaient que des étapes vers un assaut encore plus dévastateur. Crista cessa de compter le nombre d'ennemi que l'homme pulvérisait et se concentra sur les siens. Bien que désorganisés ils étaient en large supériorité numérique et le flot ne paraissait pas vouloir se tarir. Alors qu'elle tranchait méticuleusement la moindre griffe tendue dans sa direction la bretteuse remarqua que des créatures s'approchaient des corniches, prêtes à bondir. La première à attaquer tomba sur Hélèna qui l'envoya littéralement voler d'un coup de masse, le corps disloqué s'écrasa contre une paroi.

La guerrière de Vif-Argent disparu alors sous de nombreux d'adversaires qui profitèrent de cette diversion. Rapidement elle se redressa et repoussa les monstres qui s'étaient amassés, donnant du bouclier pour assommer ou des revers de masse pour fracasser les crânes. Ses blessures se refermaient presque instantanément mais cela ne sembla pas affecter le courage, ou la stupidité, adverse. Dex s'était entouré de flammes et il carbonisait les rangs des monstres à coup d'énormes orbes de feu. Une de ses mains gardait une lame chauffée à blanc pour les créatures les plus téméraires. Malgré sa magie il commençait à avoir du mal à retenir deux fronts en même temps et Crista commençait à se lasser des attaques aériennes depuis les
corniches. Fendant le crâne d'un énième attaquant elle hurla par dessus la mêlée :

« - On fonce tout droit, on ne tiendra jamais ici ! »

Espérant que tout le monde l'ai entendue elle commença à avancer, le guerrier silencieux l'aida à se frayer un passage dans la masse grouillante. En voyant à quelle vitesse l'ennemi se reformait et bloquait l'avancée la bretteuse eu un instant de doute : était-ce vraiment la meilleure solution ? Mais une onde de flamme ravageuse dégagea un bloc de créature des glaces, incinérant sans discussion toutes intentions belliqueuses. La brèche ainsi créé permis aux guerriers de s'engouffrer pour contourner les rangs en feu. Hélèna rattrapa Dex au pas de course, renversant les fous qui tentaient d'arrêter sa charge. Les voyageurs se regroupèrent et tentèrent de distancer les créatures. MacMullen leva un nouveau mur de flammes pour couvrir leur fuite et ils s'engouffrèrent dans un tunnel pentu. En bas du passage émanait une étrange lueur bleue.

« - Ça ressemble à un champ de force magique, lança Dex entre deux inspirations.
- C'est un cul-de-sac ? !
- Je l'ignore, tout dépend des envies de son créateur... »

Les premiers poursuivants pointèrent derrière eux, le murs de feu venait probablement de se dissiper.

« - Ils n'abandonnent jamais ceux-là, marmonna Crista en accélérant encore un peu plus. »

La compagnie arriva face à l'écran de magie. Il était trop opaque pour savoir ce qui se trouvait
de l'autre côté. Hélèna se tourna vers les monstres, attendant fermement leur arrivée. Crista s'approcha du mur et tendit une main vers l'étrange surface.

« - On passe à travers sans risque ? »
Dex soupira et arbora un air grincheux et résigné :
« - On essaye et on verra ! »

Ils s'élancèrent tous au travers du champ et passèrent sans encombre, comme si de rien était. Face à eux se tenaient trois personnes armées et visiblement prêtes à attaquer. Les deux groupes se jaugèrent longuement en silence. Dex fini par prendre la parole :

« - Une horde d'abominations, stupides certes, arrive. Pourrions-nous remettre cet échange de paroles passionnantes à plus tard ? »

Une femme portant un long manteau noir s'avança, elle tenait une épée dans chaque main.

« - Ils ne pourront passer le champ, il est dressé contre eux. Mais qui que vous soyez vous allez devoir déposer vos armes. »

Cette phrase accentua encore plus la tension entre les deux camps. Crista ne comptait pas se mettre aussi facilement en danger et malgré la fatigue du précédent combat elle était encore en état de combattre. Il fallait juste faire comprendre que tout le monde était du même côté, une évidence souvent ignorée par beaucoup d'humain.
Je suis née dans un fruit au pied d'un grand arbre que l'on appelle Sil. Il est mon père et ma mère et se dresse dans une forêt du Khanduras, je suis une fée ! Le commun croit que nous sommes immortelles, en réalité nous ne vivons que plusieurs siècles, ce qui est déjà amplement suffisant. Ils pensent aussi que nous jetons des sorts sur les mauvais enfants, les femmes adultères et les maris alcooliques. En réalité nous évitons la civilisation humaine. Nous vivons pour voir le monde et découvrir les merveilles qu'il contient. En fait il existe un rite de passage à l'âge adulte, un rite qui fait de nous des soeurs et non plus des filles, nous devons choisir un être et l'aider. Certaines aident un animal, une plante, un... humain. Nous devons l'aider à vivre, à rester au soleil. Moi j'ai choisit d'aider Sanctuary tout entier.

-Lynésis-


Le campement était beaucoup trop grand pour le nombre de personne qui s'y trouvait et une bonne partie semblait être à l'abandon. Après une longue discussion sur la raison de leur présence en ces lieux Crista et ses compagnons avaient été emmenés sous la tente la mieux aménagée. Ils avaient surtout été autorisés à garder leurs armes malgré une surveillance restée étroite. Jena Nuagel était une femme d'environ quarante ans, ses premiers cheveux blancs étaient apparus entre ses mèches blondes. Son visage était fin et fatigué, des yeux bleus cernés et las, elle avait l'air de celle qui regrettait une trop longue existence. Néanmoins sa posture était droite et sa voix puissante, c'était une guerrière expérimentée et une cheffe née. Le plus impressionnant restait l'immense cape couleur nuit qui enveloppait le moindre de ses mouvements.

Elle s'assit sur une vieille chaise rembourrée, les bras posés sur les accoudoirs. Un peu en retrait se tenait un homme assez vieux et vouté, appuyé sur un bâton gravé et engoncé dans un épais manteau de fourrure.

« - Vous venez pour le coeur de Gaïa ? Je ne savais même pas que ça existait, soupira Jena. »

Le groupe de Crista se tenait debout dans la tente, face aux braises d'un feu à peine entretenu. La guerrière de Vif-Argent commençait à s'agacer de devoir expliquer constamment la raison de leur voyage, sa voix métallique glaça la pièce :

« - Nous comptons poursuivre notre route, au plus vite.
- Ce n'est pas aussi simple, répondit Jena avec un regard noir.
Crista s'empressa de reprendre avant que Hélèna ajoute quelque chose d'encore plus direct :
- Mais pourquoi êtes-vous ici ?
- Je ne suis même plus plus sûre de savoir...
- Eh bien nous voilà avancés, marmonna Dex.
- Nous étions des explorateurs, nous devions cartographier cette partie du monde. Un blizzard nous a poussés dans ces cavernes et puis ce fut au tour de ces créatures de nous attaquer. Ce fut un assaut brutal alors que la plupart d'entre nous dormait. »

La mine triste de Jena en disait long sur le carnage qui avait dû avoir lieu.

« - Nous avons été forcés de quitter nos positions et la bataille nous mena encore plus profondément sous la terre... Ces bêtes ne sont pas si stupides, elles ont réussit à nous trainer là où elles le voulaient. Cet endroit était plus facilement défendable alors nos sorciers ont érigés cette barrière. Il a fallut de nombreux hommes pour y arriver.
- Ça n'a pas dû être facile, ces monstres sont innombrables, commenta Crista.
- Ce ne fut pas le pire...
- Comment ça ?
- Et quoi encore, un dragon ? » Ajouta Dex avec un air fatigué.
La Danse-Lame s'exaspéra des remarques du sorcier et lui lança rageusement :
- Fermez-là MacMullen ! »
Se mordant la langue le mage se retint de dire quoique ce soit mais croisa les bras et leva les yeux au ciel.

« - Je disais qu'il y a pire que ces monstres. Bloqués ici nous avons cherchés une autre sortie et nous nous sommes enfoncés un peu plus dans les profondeurs. A cet instant les hommes sont devenus fous et ce fut un vrai massacre, il n y avait plus rien d'humain en eux, ils ne valaient pas mieux que les bêtes des glaces qui nous avaient assaillis juste avant. »

A cet aveu la mine de Jena s'assombrit encore plus. Crista commençait à comprendre le regard las de la guerrière.

« - Que s'est-il passé exactement ?
- Nos esprits étaient comme comprimés par quelques chose... Ce n'était pas une maladie, c'était... autre chose. Ceux avec la volonté la plus forte ont survécus et ont dû tuer les autres. J'ai moi même ressenti cette folie et j'ai sombré pendant un instant, un instant durant lequel j'ai massacré mes plus proches compagnons. »

Elle s'arrêta sur ces paroles amères et ferma les yeux. L'homme derrière elle posa une main sur son épaule et la femme se redressa. Ses yeux se durcirent et elle déclara avec fermeté :

« - Je ne sais pas ce qui se terre là bas mais il s'agit du Mal absolu, personne ne doit y aller.
- Mais nous devons y aller, répondit Crista.
- Non vous n'irez pas. Je ne peux permettre que quelqu'un rencontre ça, c'est de la folie de vouloir aller là bas, vous ne vous rendez pas compte... Nous avons dressé un portail qui empêchera quiconque de descendre dans cet enfer.
- Mais vous n'allez pas vous mettre à « garder » cet endroit ? Demanda Dex en revenant subitement dans la conversation.
- Cela presque vingt années que nous sommes ici pour empêcher les voyageurs de commettre la même erreur que nous.
- Vingt ans ? ! Mais vous êtes complètement malades, détraqués... C'est peut-être dû à la carence de sol-... »

Réalisant le nombre de regards noirs posés sur lui Dex s'arrêta pour soupirer et balaya l'air de la main.

« - Disons... Ce n'est « pas très malin ».
- Si nous avons survécus c'est parce que les Anges nous ont confiés cette mission.
- Ah... Ca change tout en effet, railla MacMullen avec acidité. »

Voyant que la discussion allait s'engager sur une pente peu constructive Crista prit de nouveau les devants :

« -Nous voulons juste passer, des démons menacent Sanctuary, il se pourrait qu'une solution se trouve là bas, sous terre.
- Rien de bon qui puisse vous aider à combattre les infernaux ce trouve dans ces ténèbres. Et je ne peux croire que la guerre recommence, Diablo et ses frères ont été tués et bannis.
- On vous a déjà dit que vous étiez butée ? Lança Dex d'un ton provocateur.
- Ça suffit j'en ai assez de vous voir avec vos insultes. Sortez et repartez d'où vous venez, c'est ce que vous avez de mieux à faire.
- Nous allons devoir passer, d'une manière où d'une autre, déclara mécaniquement Hélèna.
- Partez ! »

Crista entraina son groupe à l'extérieur avant qu'un véritable conflit éclate. Jena n'avait plus qu'une poignée d'homme sous ses ordres, des guerriers probablement expérimentés mais fatigués, rien de suffisant pour les arrêter. Dès qu'il fut hors d'entente Dex jura et pesta sur les survivants.

« - Si seulement ils avaient pu tous mourir ça aurait été tellement plus simple ! Pour rester aussi longtemps dans ce trou il faut être clairement dégénéré, ça serait un service rendu de les tuer.
- Je me demande pourquoi vous êtes ici Dex, quel intérêt retirez vous de tout ça ? Interrogea Crista.
- Quel intérêt j'en retire ?
- C'est vraiment maladif de répéter mes phrases...
- Oh idiote ! Enfin... Mes intérêts dépassent votre petit entendement, essayez juste d'abandonner l'idée de comprendre.
- La ferme. »

La dernière phrase de Crista était glaciale. Le sorcier comprit qu'il approchait les limites et n'ajouta rien.

« - Que faisons-nous, Danse-Lame, demanda Hélèna absente de la dispute.
- Je ne pense pas qu'ils aient encore toute leur tête... Le traumatisme et le temps resté enfermés ici ont laissés des marques. Ce qu'ils ont vus était si terrifiant qu'ils ne nous laisseront jamais passer... D'ailleurs ils ont peut-être raison, il y a bien quelque chose qui a décimé leurs rangs.
- Oui oui leurs cerveaux sont ravagés c'est certain ! Allons, repartons d'où nous venons ! Je vous laisse le soin d'annoncer à Jotun que l'on confie le sort de Sanctuary à une poignée d'imbéciles totalement enfumés. Une idée fantastique ! »

Crista se massa les tempes pour ne pas exploser. Au fond Dex n'avait pas tord : Le groupe ne pouvait se permettre de faire demi-tour. Mais la jeune femme avait du mal à se résoudre à combattre Jena. La diplomatie semblait vouée à l'échec et il y avait deux gardes qui se relayaient en permanence devant le passage qu'ils devaient emprunter. Dans l'absolu ce n'était pas le principal problème, le portail qu'avait évoquée Jena paraissait être un obstacle beaucoup plus important. La bretteuse eu soudainement une autre idée :

« - Utilisez la magie pour les endormir ou quelque chose comme ça, c'est possible ? Ensuite nous pourrions nous intéresser à la barrière installée par leur sorcier.
- Les tuer serait beaucoup plus simple, annonça MacMullen qui ajouta rapidement après un silence : je suis un mage de combat, pas un charlatant ! Les tours de passe-passe je les laisse aux prestidigitateurs et aux amateurs.
- Ça veut dire que vous ne pouvez pas le faire ?
- Je trouve cette phrase vraiment dégradante pour mon talent, grinça Dex.
- Par les Puissances... Oui ou non ?
- Eh bien si nous en sommes là... Il se trouve que... Enfin... Quelle sotte de me demander des choses pareilles !

Crista s'approcha d'un pas, expirant lentement et les mains posées sur ses armes. Le sorcier ne semblait pas même lui prêter attention, continuant à soliloquer durant quelques secondes. Lorsqu'il retomba face à la bretteuse il sursauta, la jeune femme n'était plus qu'à un mètre de lui.

« - Oui et bien non je ne connais pas d'enchantement du genre que vous recherchez !
- Et pour simplement désactiver le portail et passer, je doute que les hommes de Jena nous courent après.
- Désactiver le portail ?
- Oui...
- Si je commence à tenter de dissiper ce sort leur mage, bien que probablement inférieur en compétence, sera immédiatement averti de l'assaut et ils ne manqueront pas d'essayer de nous attaquer, il n'y aura pas d'effet de surprise. De plus de tel monolithe de magie sont conçus pour résister aux assauts des autres sorciers, cela prendrait des jours, peut-être même des semaines pour le désactiver seul ! Surtout si celui qui l'a bâti est encore en vie, cela donnerait lieu à un duel mental long et fastidieux... Allons incendier tout ça et gagnons du temps !

Abandonnant tout espoir de tirer autre chose du mage grincheux Crista se tourna vers la guerrière de Vif-Argent.

- Hélèna tu es d'accord ?
- Je combattrais.
- Et... Le... Silencieux ?

L'humain massif hocha lentement sa tête chauve. Lynésis s'extirpa à cet instant du sac de la bretteuse.

« - Moi aussi j'ai mon mot à dire !
- Allons donc... Mais qu'est-ce que c'est que ça encore ? Grogna Dex entre ses dents.
- Vas-y Lyn.
- Je comprends bien que nous avons pas le choix, ces soldats sont totalement traumatisés. Il faudrait les emmener de force à la surface mais c'est impossible à cause des monstres qui rôdent dans les cavernes...

MacMullen céda à une nouvelle remarque pleine de sarcasmes :

- Après ces évidences pouvons-nous passer à autre chose, s'il vous plaît.
- Un instant... »

La fée disparue sous le regard interloqué du magicien. Elle ne resta visible que pour Crista et elle lui glissa à l'oreille :

« - Cette décision doit-être dure à prendre pour toi, tuer des humains. »

La bretteuse hocha la tête en silence. Cette simple phrase suffit à réveiller les sentiments enfouis en elle. Une promesse qu'elle aurait aimée tenir : Ne plus avoir à tuer que pour se défendre. Hélèna ne ressentait rien et Dex paraissait prêt à tout pour arriver à ses fins. Quant à l'homme silencieux il restait un mystère.

« - Je... Dois rester seule un moment.
- Je savais que je devais entièrement diriger cette expédition, vous êtes encore trop jeune pour prendre des décisions de ce genre. J'ai une meilleure expérience et ... »

Crista avait déjà tournée le dos et n'écoutait plus l'insupportable sorcier.

« - Et voilà que l'on m'ignore, ça ne mènera à rien de bon, croyez moi ! Enfin je suppose que l'on va devoir attendre la fin de ce cas de conscience.
- Silence, mage. Vos paroles me dérangent, cracha Hélèna d'une voix lourde de menaces.

La Danse-Lame alla s'asseoir sur un rocher plus à l'écart, Lynésis assise dans le creux de sa main.

« - Tu as quelque chose en tête, Lyn ?
- Ça ne va pas vraiment t'étonner mais Dex a oublié de te parler de quelque chose. »

Les sourcils de Crista se froncèrent, qu'avait encore fait le mage ?

« - De quoi parles-tu exactement ?
- Les portails sont souvent conçus de la manière qu'il décrit mais pas ici. Ce n'est pas un mur temporaire, il est invoqué depuis des années et leur sorcier serait mort de fatigue à le maintenir aussi longtemps. Il doit donc utiliser un autre moyen, un objet ou quelque intermédiaire pour qu'il n'est pas à entretenir l'enchantement chaque jour. Il suffit de le détruire et la voie sera libre !
- J'ignorais que tu connaissais ce genre de chose.
- Jotun invoque souvent des portails et à chaque fois il les lient à des gemmes, les joyaux sont souvent utilisés pour leur capacité à mieux retenir la magie.
- Donc de cette manière, pas de « duel mental » et pas de perte de temps. Il suffit de le détruire en pleine nuit, réfléchit Crista à voix haute, merci Lyn. »

La bretteuse revint vers ses compagnons avec un demi-sourire. Dex qui s'impatientait attaqua immédiatement :

« - On peut y aller maintenant ?
- D'abord vous allez repérer la source qui alimente le portail, et n'essayez pas de me mentir à nouveau, déclara Crista avec un air faussement calme.
- Mentir ? Allons bon vous ne m'avez jamais demandé mon avis après tout, c'est d'une mauvaise foi...
- Bon, trouvez la source maintenant. »

Le sorcier grommela, peu enclin à coopérer. Mais n'ayant plus vraiment le choix il invoqua rapidement un sort et se concentra, les yeux fermés.

« - Oui je vois... Attendez... Mais... Qu'est-ce que c'est que ça encore ? »

Il rouvrit les yeux, l'air surprit par ce qu'il venait de découvrir.

« - Ces gens sont plus désespérés et fous que je ne le pensais... » annonça t-il sombrement.

Crista se lassa du jeu du mage et enchaîna :

« - C'est à dire ?
- C'est à dire qu'ils ont liés le sort à eux-mêmes. Ils ne devaient posséder l'objet adéquat ! Dans l'urgence de leur fuite ils ont employés des moyens plus sommaires. L'énergie vitale d'êtres vivants peut-être un raccourci pour de tels sorts.
- J'ignore si il dit la vérité cette fois-ci, murmura Lynésis à son amie perplexe.
- Admettons et on ne peut couper ce lien ?
- Si bien sûr, commença Dex, en les tuant tous. »

Les possibilités offerte à Crista se restreignaient. Jena devait abandonner et consciemment couper le portail, ce qui semblait impossible, ou sinon tous les soldats devraient mourir. Ces hommes étaient condamnés à l'oubli dans une caverne perdue après le Bord du Monde depuis vingt années. Leurs familles, si ils en avaient encore, avaient sûrement acceptées leur mort. La bretteuse n'était pas certaine qu'ils puissent reprendre une vie normale si on leur en donnait l'occasion. Mais ces faits n'excusaient pas des meurtres supplémentaires. Elle acceptait de devoir tuer des humains si ils attaquaient en premier, elle n'était pas naïve et savait que certains hommes étaient pires que des démons... Mais ceux-là étaient des explorateurs, des gens qui tentèrent de découvrir le monde avant que cela ne tourne mal. Bien que dégoûtée Crista dû se rendre à l'évidence : Elle ne pouvait repartir en arrière, il n y aurait d'autre solution que l'affrontement.

« - Ça ne me plaît pas mais il n'y a plus le choix.
- On y arrive enfin. »

La petit pique de Dex fut accueillie par un regard incendiaire de la jeune femme. Serrant les poings elle prit la tête du groupe et avança en direction du portail. Il s'agissait d'une immense pierre noire dressée en travers de l'accès vers les profondeur. L'absence de granularité ou de variation sur la surface de cette étrange roche lui donnait un aspect peu naturel. Un soldat était assit en tailleur devant le passage, son épée posée face à lui. Son visage fatigué se tourna vers les arrivants, il se leva lentement, l'arme au poing.

« - Capitaine ! »

Son cri rauque semblait avoir traversé d'épaisses couches de poussière avant de résonner dans toute la caverne. Malgré son usure apparente le garde semblait encore très alerte et prêt à se défendre, l'entraînement et la discipline prenait le pas sur tout le reste. Jena arriva d'un pas mesuré, suivie de deux soldats et du vieux sorcier. Son ample cape noire masquait ses bras, impossible de savoir si ses mains étaient déjà sur les poignées de ses armes. Un profond silence s'installa entre les deux camps.

« - Je savais que ça ne mènerait à rien de bon, soupira Jena Nuagel. »
Crista garda une attitude pacifique et tenta de s'expliquer à nouveau.
« - Nous devons passer, l'enjeu est énorme et nous ne pouvons plus faire demi-tour.
- Là derrière il n'y a que le chaos, la mort, l'Enfer. Vous parlez de démons, il y en a sûrement derrière ce portail. Si nous ouvrons cet accès ils seront libres d'attaquer ce monde par une nouvelle brèche.
- On peut éviter que du sang soit versé inutilement...
- Repartez et il n'y aura aucun affrontement. Par la Grâce ne me forcez pas... »

La diplomatie n'avait jamais été le point fort de Crista. De plus les humains abandonnés ici agissaient sous une autre logique, persuadés d'avoir été investis d'une mission. Elle aurait tant voulu éviter un combat... Mais elle ne voyait aucun échappatoire à l'entêtement des gardiens.

« - Ça ne mène nulle part, grommela Dex. »

Les deux combattantes croisèrent leur regard, Crista capta une lassitude immense chez son adversaire. Elle souhaitait la mort mais son honneur et sa fierté de guerrière, son but, lui avait interdit de se la donner elle-même. Jena voulait en finir l'arme au poing. La capitaine ferma les yeux un court instant, un instant durant lequel le temps sembla s'arrêter. Lorsqu'elle posa de nouveau son attention sur Crista un arc électrique paru crépiter entre les deux femmes. Un mouvement de tête imperceptible s'échangea et l'affrontement commença.

Elles dégainèrent en même temps et s'élancèrent l'une sur l'autre comme deux danseuses prêtes à ouvrir le bal. Un éclair d'acier tonna et leurs lames se croisèrent, elles maniaient la même combinaison d'arme : une épée et une dague. Les autres soldats se jetèrent sur le groupe de Crista, ils étaient une dizaine au total. Ils avançaient en cercle et attaquaient de manière coordonnée. Dex dressa rapidement une barrière magique devant lui, il avait anticipé l'éclair de son rival qui vint s'écraser contre la protection.

« - Haha ! Il va falloir faire mieux que ça ! »

Alors qu'il préparait une riposte Hélèna s'engagea sans hésiter contre cinq soldats. Sa masse repoussa une série de lance puis elle envoya bouler un ennemi d'un coup de bouclier. Elle ne s'arrêta pas là et enchaîna en brisant un bras trop exposé. La victime hurla et tomba en arrière, l'horrible fracture ouvrit sa chair et aggrava encore sa blessure. Le guerrier au bâton se mit dos à la combattante de Vif-Argent et déviait les attaques en faisant le moins d'effort possible. Lorsqu'une ouverture se présentait il fouettait ses adversaires comme un maître corrigeant ses disciples trop maladroits. Alors que l'affrontement calculé se transformait progressivement en une mêlée sanglante Crista et Jena s'éloignaient du coeur du combat.

Les deux femmes échangeaient des coups parfaitement calculés. La rapidité de la Danse-Lame était plus impressionnante car son corps était beaucoup plus jeune et souple. Mais Nuagel gardait un flegme incroyable et arrivait à anticiper les attaques de son adversaire pour ne pas se fatiguer. Après une nouvelle passe Crista décida de prendre plus de recul. Elle jaugea un instant sa cible puis s'élança en faisant mine de lancer sa dague. La feinte fonctionna puisque Jena leva son épée pour dévier le projectile, aussitôt Crista fit un pas de plus et pointa Croc de Lune en un estoc vers le ventre exposé la capitaine. A l'instant ou la lame allait atteindre son but l'air se distordit, il se comprima puis reprit sa texture normale mais Jena n'était plus là. Fouettant le vide Crista perdit un peu son équilibre et sentit une brûlure abominable dans son dos. Elle ne pu empêcher un gémissement, la douleur vrillant ses nerfs, elle roula en avant puis pivota. L'enchaînement fut exécuté avec grâce malgré la blessure. Jena s'était téléportée et se tenait en garde, sa lame ensanglantée. L'imposant manteau noir de la guerrière semblait émettre un léger crépitement comme si le tissu était chargé d'électricité. Crista avait déjà entendu parler de tels objets : Les capes de transfert étaient extrêmement rares et permettaient de se déplacer instantanément sur de courtes distances. Un tel artefact entre les mains d'une combattante expérimentée comme Jena changeait la tournure de l'affrontement. Crista décontracta chacun de ses muscles, sentant le liquide poisseux qui coulait le long de son dos, son propre sang. Elle inspira et attaqua de nouveau d'un coup en diagonale avec son épée. L'assaut fut stoppé par les lames croisées de Nuagel qui esquiva ensuite la dague de Crista d'un pas de côté. La capitaine repoussa son assaillante d'une pression sur ses armes et enchaîna d'un coup de pied au torse qui la força à reculer encore plus. Se rétablissant à la vitesse de l'éclair Crista revint immédiatement sur son adversaire en déviant un estoc avec sa dague. Croc de Lune frappa de haut en bas, bloqué de justesse par Jena. L'acier crissa et les deux guerrières se dégagèrent l'une de l'autre. Elles se remirent en garde et Nuagel chargea la première pour disparaître de nouveau de la vue de son adversaire. Crista fit instantanément volte-face et dévia au dernier instant une lame qui entailla seulement le cuir de son armure, trop proche de Jena pour la frapper efficacement avec Croc de Lune elle répliqua par un coup de pommeau qui fracassa l'arcade de la capitaine. Le choc la fit tituber et Crista pressa son avantage en écartant les armes de son adversaire pour frapper de sa dague en plein coeur. Jena n'avait pas le temps de ramener son épée pour parer l'attaque et elle était trop déséquilibrée pour esquiver, elle tenta une manoeuvre beaucoup plus audacieuse : Elle lâcha son épée et attrapa le poignet de Crista avant qu'elle ne l'atteigne et le tordit vers le bas. La main encore encore armée de Jena garda Croc de Lune hors de portée et la capitaine frappa d'un coup de genou dans l'aine. Si sa cible avait été un homme elle aurait probablement été paralysée par la douleur... Néanmoins si Crista cria et serra les dents elle réussit à dégager son poignet et entailla le bras de son adversaire sur une bonne longueur. Nuagel encaissa en silence et se recula promptement. Les duellistes se fixèrent de nouveau et Jena se volatilisa dans un crépitement d'énergie, mais cette fois-ci elle ne chercha pas à prendre son adversaire à revers, elle se téléporta directement à l'endroit où se trouvait Crista ce qui eu pour effet de faire valdinguer la bretteuse plusieurs mètres en arrière, frappée par une force invisible.

« - Je commence à en avoir assez de cette magie... »

Le grommellement de la Danse-Lame ne parvint pas à Jena qui profita du moment pour récupérer son épée. Elle jeta un rapide coup d'oeil au reste de l'affrontement : La moitié de ses soldats étaient tombés, pulvérisés par Hélèna et le guerrier au bâton. La combattante de Vif-Argent se moquait éperdument de ses blessures et continuait à briser les os de sa force inhumaine. Le mage du camp paraissait aussi en mauvaise posture, Dex se contentait de sorts défensifs et venait directement harceler son ennemi à l'épée qui semblait beaucoup moins doué avec une lame. Un sourire amer se dessina sur le visage las de Nuagel, des souvenirs anciens de la surface, du soleil qu'elle n'avait plus vu depuis vingts années, revinrent à son esprit. Crista passa à l'offensive et les deux guerrières firent de nouveau chanter l'acier. Malgré sa blessure la Danse-Lame restait plus vigoureuse et endurait mieux, Jena commençait à fatiguer sur un affrontement aussi prolongé et manqua plusieurs fois de commettre des erreurs fatales. Sentant qu'elle ne pourrait gagner si le duel s'éternisait elle se lança dans une série d'assauts furieux. Ses lames sifflèrent à une vitesse incroyable pendant plusieurs secondes, Crista pensa pouvoir être dépassée jusqu'à ce que la densité des attaques diminue et qu'elle capte une faille dans la garde délaissée de son adversaire. Elle recula en gardant Croc de Lune pointée vers l'avant pour contrer les coups de Jena et lança sa dague d'une manière désynchronisée, preuve d'une dextérité supérieure à de nombreux combattants. Le couteau fila droit vers sa cible mais Crista savait déjà ce que Nuagel allait faire car elle n'avait pas d'autre choix. L'air se distordit et la Danse-Lame passa une main dans son dos pour dégainer une autre dague d'un geste fluide et avança au lieu de se retourner immédiatement. Un courant d'air glacé passa sur sa nuque mais Crista avait parfaitement calculée l'allonge de Jena et le coup ne provoqua qu'un frisson le long de l'échine de la bretteuse. Et lorsque Crista se retourna pour lancer une nouvelle dague elle prit Nuagel au dépourvu : La capitaine ne pensait pas que l'on pouvait dégainer aussi vite. Le dard d'acier se fraya un passage dans la chair, entre les côtes, se longeant profondément dans un poumon. Jena hoqueta et lâcha ses armes. Elle allait tomber lourdement sur le sol mais Crista l'attrapa et accompagna sa chute. Un filet de sang perla à la commissures des lèvres de la mourante. Elle toussa et agrippa un des bras de la Danse-Lame.

« - J'espère que tu réussiras... J'aurais aimée... Voir... Le... Le soleil. »

Crista ne su quoi dire. Elle regrettait l'affrontement et le sang versé. Une femme de la trempe de Jena ne méritait pas de mourir aussi loin des siens et pour une cause aussi futile.

« - Je suis désolée. »
Un pâle sourire éclaira le visage de la capitaine.
« - Non... Je ne suis pas morte seule ici, j'ai vécu une dernière fois... Un... Combat... »

Les paroles de Jena s'envolèrent en murmures et ses yeux se fermèrent, son corps s'affaissa et elle mourut. Crista soupira et leva les yeux pour se retrouver face à face avec ses compagnons de route. Aucun ne paraissait réellement blessé. Reposant le corps de son adversaire la Danse-Lame allait dire quelque chose lorsqu'elle s'arrêta net. Elle fronça les sourcils et jeta un regard noir à Dex qui ne prêtait pas vraiment attention à la situation.

« - Mage... »

La voix lourde de Crista ne dérangea pas MacMullen dans ses obscures pensées.

« - Sorcier ! »

Cette fois-ci l'homme daigna à tourner la tête :

« - Mais qu'est-ce que vous me voulez ?
- Le portail... Est toujours là... »

Dex haussa un sourcil interrogateur et pivota sur lui-même, il s'arrêta une seconde et mima la surprise mais Crista n'était pas dupe. Elle se leva lentement et se posta très près du sorcier.

« - Comment expliques-tu cela ?
- Je ne sais pas... Peut-être que l'un d'eux n'est pas complètement mort, on devrait vérifier.»

Les muscles de la guerrière se crispèrent, elle fit un immense effort pour ne pas crier dans l'oreille de son interlocuteur.

« - Ils sont tous morts. Si il y avait un survivant Hélèna l'aurait immédiatement vu. Une possibilité tu as menti...
- Je trouve ça un peu fort, vous n'avez aucune preuve, j'ai peut-être fait une erreur ! »

Crista jura et retourna au cadavre de Jena. Elle passa ses mains dans le col de la capitaine et y attrapa une chaîne en argent. En tirant sur le bijou elle remarqua un pendentif constitué d'une pierre parfaitement noire, similaire à la matière qui composait le portail.

« - Lyn, à ton avis ? »

La fée agrippa la main de son amie et se contenta de hocher doucement la tête. Les yeux de la bretteuse se fermèrent un instant. Elle avait tuée pour rien, un goût amer envahit sa bouche. Dex se pencha par dessus son épaule, il déclara d'un air innocent :

« - Un pierre portail ? C'est incroyable que je ne l'ai pas détectée ! Je pense qu'un sort devait la masquer... Ou sa proximité avec avec son ancienne...
- La ferme ! Tu as mentis et je déteste ça !
- Oui oui j'ai mentis c'est vrai, admit MacMullen en balayant l'air de la main, mais quelle importance ? Elle n'aurait jamais donnée la clé ! J'en avais assez tergiverser, il fallait agir.
- On aurait pu l'obtenir d'une manière différente, sans passer par le massacre.
- Je vous en prie, ces hommes tenaient plus de zombis condamnés que d'humain conscient, ça ne compte pas vraiment. »

La condescendance de Dex était abominable. Crista se redressa et porta la main à son épée, bouillante de rage.

« - Je vais te faire passer l'envie... »

Avant que le mage ne dise quoique ce soit Lynésis se posta entre les deux combattants.

« - Stop ! Ce n'est pas le moment ! La division n'est pas permise dans une mission aussi importante.
- Ah tient écoutez donc votre amie, la voix de la raison ! Et fichez moi la paix... S'il vous plaît. »

Un regard meurtrier posé sur MacMullen, Crista resta figée pendant plusieurs secondes, partagée entre l'envie d'évacuer sa rage ou d'inspirer profondément. Lyn lui jeta un air suppliant, lui incitant à éviter le conflit. Finalement la bretteuse céda et se contenta de tourner les talons pour ne plus avoir le détestable Dex en vue.

« - Et vous devriez vous soigner au lieu de vous donner en spectacle, il y a une horrible balafre dans votre dos ! »

Crista ignora cette dernière pique et s'éloigna de quelques pas avant de devoir en supporter une autre.

« - Le tuer aurait été s'abaisser à son niveau, lança Lynésis en s'approchant de l'oreille de son amie.
- Il l'aurait bien mérité en tout cas...
- L'exécution de sang-froid ce n'est jamais la meilleure solution.
- Je sais ! ... Excuse moi je ne voulais pas m'énerver comme ça.
- C'est normal que tu sois énervée, ce sont les sentiments et ça ne se contrôle pas forcément, consola la fée.
- Je n'ai vraiment pas l'habitude de ça, merci.
- Il faut que tu te soignes, tu saignes encore beaucoup et il ne faut que ça s'infecte.
- Oui ça me fait un mal de chien ! »

Crista retourna voir son groupe. Hélèna était en train de rassembler les corps au même endroit.

« - Dex, tu vas creuser des tombes, ordonna la bretteuse d'un ton glacial.
- Quoi ? Je n'ai pas que ça à faire !
- Si tu n'as que ça à faire, et si on ne les avait pas tués tu n'aurais pas eu à le faire.
- Demandez plutôt à votre laquais, cracha MacMullen en désignant la guerrière de Vif-Argent.
- Fais-le bon sang ! Dois-je te rappeler qui Jotun a désigné pour diriger l'expédition ? »

Le ton commençant de nouveau à monter, Dex se contenta de marmonner pour lui même et de regarder ailleurs, comme si de rien était.

« - Bien bien... Cessez donc de me harceler, je vais le faire puisque c'est comme ça... »

Lorsqu'il passa à côté de la femme de Vif-Argent celle-ci le foudroya du regard. MacMullen regretta pendant un instant la phrase qu'il avait prononcé juste avant, se rappelant qu'il était en compagnie d'un être immortel.

« - Hélèna j'ai besoin de toi, viens avec moi... Et toi le guerrier silencieux, garde un oeil sur Dex, qu'il fasse ce que je lui ai demandé. »

Il acquiesça et croisa les bras, puis se tourna vers le mage bougonnant.

Une fois à l'écart Crista s'étonna d'avoir donnée autant d'ordres, elle n'avait pas l'habitude. Ce qui était certain c'est qu'elle n'avait ni scrupules ni mal à commander MacMullen... Elle entra dans une des tentes délabrées avec Hélèna.

« - J'ai du fil et une aiguille, il faut que tu me recouses, ça n'arrête pas de saigner et ça pourrait s'infecter, annonça la bretteuse à sa soeur d'arme.
- Je peux faire ça. »

Crista s'assit sur un tabouret et commença à retirer les sangles de son armure, puis décolla doucement le cuir de sa peau meurtrie avec une grimace. Il lui fallut plusieurs secondes pour y parvenir, la transpiration mêlée au sang séché n'aida pas à la manoeuvre. Une fois posée à terre la cuirasse magique se répara d'elle-même ! De sombres fibres s'étirèrent jusqu'à combler totalement l'entaille qui lardait le cuir. Crista regretta que ça ne soit pas aussi simple pour elle, Hélèna avait un immense avantage à ce niveau là. La plaie sanglante fendait la moitié de son dos pâle déjà couvert de cicatrices plus anciennes. Lynésis s'approcha et posa ses mains de chaque côté de la blessure.

« - Je vais arrêter l'hémorragie pour l'instant et limiter l'infection avec ma magie. »

Fermant les yeux, la jeune femme ressentit une agréable vague de chaleur parcourir son échine. La douleur s'envola partiellement et les nerfs se calmèrent, anesthésiant un peu le corps de Crista. Elle entendit ensuite Hélèna retirer ses gants d'acier, une main gelée mais délicate se posa sur l'épaule nue de la bretteuse. Lorsque l'aiguille pénétra la chair, Crista serra les dents à s'en briser la mâchoire. Le calvaire dura un long moment, le soin fut plus douloureux que la blessure en elle-même qui durait le temps d'une affreuse brûlure. Même si elle n'était pas du genre douillette la jeune femme ne pu s'empêcher de se tortiller plusieurs fois, immédiatement stoppée par la poigne incroyable d'Hélèna.

Après avoir enroulée une large bande autour de l'entaille fraîchement refermée la guerrière de Vif-Argent se recula et se redressa, immobile. Crista se leva et commença à passer doucement sa cuirasse. Si il était conseillé de laisser une plaie respirer l'endroit était trop dangereux pour prendre le risque de se dispenser d'une armure. Lorsque les deux femmes quittèrent la tente elles purent entendre Dex en train de jurer de manière particulièrement grossière sur la gente féminine. La bretteuse soupira et s'approcha du sorcier assit sur un cailloux, soulevant des monceaux de terre du bout de l'index grâce à sa magie.

« - Toi, le vieillard, tu as de la chance, tu n'es pas écrasé par le lourd fardeau d'être l'unique lanceur de sort de cette compagnie... Tu ne sais pas ce que c'est que d'être tout le temps sollicité, de ne jamais avoir le droit de décevoir, d'être le conseiller et l'exécutant des basses oeuvres, celui qui fait tout mais qui ne reçoit que de l'ingratitude et rien d'autre ! »

Le « vieillard », qui n'était d'autre que le combattant muet se contentait de fixer un point loin devant lui, sans vraiment paraître prêter attention aux lamentations de Dex. Crista se posta juste derrière le mage, sans un bruit.

« - Et cette gamine qui commande, c'est le monde à l'envers ! Je me demande ce qui a pu pousser le vieux Jotun à prendre une pareille décision... Oui d'accord elle est prometteuse avec une épée, mais bon sang, ce n'est qu'une petite morveuse capricieuse ! Ses géniteurs, probablement des paysans de basse extraction, aurait dû frapper plus fort avec la ceinture ! A lui en arracher la peau du séant !
- Vous avez fini ? Demanda calmement Crista.
- Que-QUOI ENCORE ? ! »

Le mage furibond se leva et se retourna d'un bond, lorsqu'il croisa le regard glacé de la jeune femme il baissa son index et la motte de terre qui flottait derrière lui retomba d'un bruit mat. Ce fut avec une petite voix qu'il ajouta :

« - Ah bien sûr oui j'ai fini. Par ailleurs...»

Il toussa et ramassa quelque chose qui était posé derrière lui.

« - Vous devriez prendre ceci, ça serait vraiment du gâchis de le jeter comme ça ! J'aurais pu le conserver mais je ne supporte pas très bien la téléportation, ça me donne des nausées et des crampes d'estomac très désagréables. Un peu comme lorsque je vous par-... »

Il s'arrêta et reprit en regardant en l'air :

« - Oubliez ça... Prenez-le juste. »

Crista fronça les sourcils et récupéra la lourde cape noire corbeau de Jena. Un manteau de transfert. Elle ignorait le fonctionnement exact du vêtement mais pour une fois Dex n'avait pas tord : Il aurait été dommage de perdre un tel artefact.

« - A votre mine ahurie j'imagine que vous en ignorez les subtilités ? Très bien inutile de poser les questions, le bon seigneur que je suis va vous expliquer lentement. »

Un voile de colère passa rapidement sur le visage de la bretteuse. Elle le dissipa rapidement d'un profond soupir, attendant la suite.

« - Un tel objet emmagasine de l'énergie magique au court du temps, absorbant le mana présent partout autour de nous. Ensuite il vous suffit de vous concentrer sur l'endroit ou vous voulez aller, il faut que cet endroit soit en vue sinon c'est impossible. A cet instant il suffit de prononcer mentalement que vous voulez vous y téléporter et cela devrait marcher. Je pense que l'objet pleinement chargé peut vous permettre de vous déplacer quatre fois ou quelque chose approchant, et qu'il met environ une journée pour être totalement gorgé de mana. Un singe pourrait y arriver, ce n'est pas très compliqué ! Essayez donc pour voir... »

Elle passa la cape sur ses épaules et attacha le fermoir. Le tissu était épais et confortable. Crista visualisa Dex et se concentra, un sourire sur les lèvres. Le vêtement crépita et l'air se distordit, la bretteuse disparue en un flash et le sorcier vola en arrière, retombant sur les fesses. Il lança d'horribles imprécations et frappa le sol de ses deux mains comme un enfant enragé.

« - AH ! Très amusant en effet ! EFFRONTEE ! Idiote ! Mais par les puissances qu'est-ce que j'ai fais ? ! Bon vous êtes contente ...? Oui bien sûr... Bien sûr... » Le reste de la phrase se perdit en marmonnements.

Crista hocha la tête avec un large sourire.

« - Bien... Bien... Ne comptez plus sur moi pour vous faire des cadeaux... Morveuse ! Malpeste ! »

Un long moment encore s'écoula durant lequel Dex jura dans sa barbe, maudissant la guerrière et ses ancêtres.

Plus en hauteur, sur une corniche hors de vue, une silhouette se tenait dans l'ombre. Elle observait la situation d'un oeil critique. Detheron s'appuyait sur la paroi derrière lui, détaillant minutieusement la Danse-Lame. La meilleure combattante humaine ? Elle paraissait chétive et encore bien trop jeune pour être aussi redoutable... Mais il avait apprit à ne surtout pas se fier aux apparence et aux aprioris : Une véritable gamine n'aurait jamais pu se frayer un chemin dans un endroit aussi dangereux. Le démon était pensif, il avait déjà commencé à échafauder un plan sérieux pour abattre ses cibles. Il devait encore observer, il devait découvrir ou se trouvait Gaïa et négocier avec elle. Pour l'instant il avait laissé l'insupportable Illéisis en retrait pour préparer une embuscade, il s'en servirait en temps voulu. Tout se préparait sans problèmes.
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