Interview de Jospeh Lacroix, illustrateur pour le comic The Sword of Justice

Interview communautaire : Joseph Lacroix, Illustrateur de "Sword of Justice"

Bonjour Joseph, tout d’abord pour ceux qui ne te connaissent pas, peux-tu te décrire en quelques mots et nous expliquer comment a débuté l’aventure avec la BD « Pythons » ?

J’ai fait mon premier album aux éditions Soleil : « L’encyclopédie du mal » tome 1 avec Grégory Maklès au scénario. C’était une bonne expérience mais qui a tourné court pour "raisons commerciales". Jérôme Martineau qui dirige les éditions Carabas est un ami de longue date. Il voulait démarrer une nouvelle collection de BD qui soit entre le format américain et la BD française traditionnelle : 32 pages en couleur avec un rythme de parution assez rapide.

Gabriel Delmas et moi-même lui avont proposé une histoire médiévale teintée de fantastique : "Pythons"… une quête initiatique, une revisite de la légende du chevalier, du dragon et de la pucelle. On voulait un récit énergique,étrange. Visuellement, c’est proche d’un story-board,le trait n’est pas très défini. Comme on se sentait à l’étroit dans ces 32 pages, on a fait un épilogue pour le tome 2 en noir et blanc… des pages de combats entre le roi squelette Apothis et ses esclaves (voir image). Finalement "Pythons" ne ressemble ni vraiment à un comics ni à une BD franco-belge… Ce n’est pas un ouvrage classique… C’est plus une expérience graphique. J’en suis fier, j’ai le sentiment que Gabriel et moi sommes allés au bout de notre idée.


Comment se fait-il que ton chemin ait croisé celui de Blizzard ? Tu nous disais justement dans une interview précédente que c’était au travers de la BD "Pythons" que Blizzard t’avait découvert. Les BD n’appartiennent pourtant pas tellement à la culture américaine.

Oui, c’est grâce à « Pythons » et ces planches de squelettes que mon travail a été remarqué par Doug Alexander qui est directeur artistique pour les publications de Blizzard. Il a aussi été intéressé par le projet que je développais à cette époque : « Gauntlet ». C’est un conte noir sur des orphelins perdus dans un monde cauchemardesque, ils sont poursuivis par des monstres grotesques et terrifiants (voir image).

Il existe de multiples ponts entre la BD et les comics...les dessinateurs s’inspirent et s’influencent mutuellement depuis toujours. Si mon artiste de cœur est évidement Michael Mignola ; Mignola lui-même se réclame autant de Tardi, Pratt, Moebius ou Durër… que de Wrightson, Kirby ou Alex Toth. Il n’y a pas de frontières dans le dessin. C’est juste l’amour et la passion pour le travail d’un artiste qui vous fait dériver vers tel ou tel continent. Je pense que "Pythons" dans sa forme et dans son fond était une déclaration d’amour pour les comics et c’est ce qui a été remarqué par Doug Alexander.



Qu’est-ce que l’on ressent quand on est contacté par une société aussi prestigieuse que Blizzard ? Cela traduit une certaine reconnaissance de ton travail, non ?

Bien sûr ! C’est l’équivalent du fameux coup de téléphone de Spielberg dans le cinéma ! C’est incroyable : une surprise et une fierté ! Surtout, ça donne une énorme motivation pour se hisser à la hauteur de leurs espérances.


Comment s’est passé le briefing et qu’elle a été ta marge de manœuvre par rapport à celui-ci ?

On m’a principalement demandé de donner vie au monde de Sanctuary. Il existe dans le jeu, il existe dans les cinémathiques, il doit exister en comics. Il faut que ce soit sombre, épique et dynamique. J’ai fait des recherches graphiques pour tous les personnages principaux, pour des décors.

DC comics et mon éditeur Michael McCalister m’ont autorisé à vous montrer ces dessins pour cette interview et je les en remercie. Il y a Jacob bien sûr, le personnage principal, mais aussi beaucoup de recherches sur Khelric, le gigantesque barbare de l’histoire. J’avais comme consigne de chercher à "plaire à l’enfant de 10 ans qui se cache dans le cœur de chaque employé de Blizzard"… Ce sont leurs mots ^^.




Partir de la documentation de Blizzard pour créer un univers est un point de départ. Il faut encore pouvoir la dépasser. Quelles ont été tes sources d’inspiration ?

J’ai eu accès à beaucoup d’images de Diablo III et j’ai été très impressionné. Visuellement, le jeu est époustouflant tant du point de vue des détails sur les personnages et les monstres que sur les décors et les arrières plans qui ont un traitement très proche de la peinture : tout en suggestion. Je pense que les fans de Diablo vont être ravis du jeu. Moi en tout cas dès que j’aurai le temps, j’irai m’y perdre un peu.

Mais finalement, je ne peux pas complétement y coller… Je pense que comme la plupart des artistes ou des dessinateurs, j’essaie de créer un récit que j’aimerais lire ou faire lire à mes amis et mes enfants. J’y colle mes obsessions… J’essaie de pousser un graphisme qui m’intéresse et je cherche souvent à évoquer plus qu’à définir complètement une ambiance parce que je veux que le lecteur reste actif et puisse imaginer aussi à partir de ce que je lui suggère.

Mes autres sources d’inspirations pour ce comics sont bien sûr : "Le cycle des épées" de Mignola, mais aussi "Thyl l’espiègle" de Dino Battaglia ou "Le Marquis" de Guy Davis que j’admire beaucoup. Quand je pense au Moyen Age, qui est la toile de fonds de l’héroic fantasy ou de la dark fantasy… Je vois surtout les gravures de Jacques Callot, celles de Dürer, les toiles de Jérôme Bosch et Bruegel qui sont les véritables témoins de cette époque. Voilà ce qui m’inspire mais est-ce que ça se retrouve dans mes pages ?


Es-tu toi-même joueur ?

Oui, j’ai joué à Diablo 2, en 1999 je pense, le jeu existait déjà depuis un petit bout de temps. Malheureusement, je n’ai pas pu tester la version en ligne. J’en garde un souvenir très fort : une longue descente aux enfers… Au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans les niveaux d’un donjon, tout devient plus sombre, dangereux et effrayant. Je veux vraiment que l'on retrouve cette progression dans le comics : qu’au fur et à mesure des pages, le noir prenne plus de place, que l'on ressente ce côté oppressant du jeu, sans espoir !

J’ai aussi beaucoup joué à WoW, au début … Et pour en témoigner mon avatar figure dans la scandaleuse BD de Grégory Maklès "Stevostin". J’étais Frelonvert ! Un admirable guerrier mort-vivant qui a été abominablement perverti et travesti dans ces albums ^^ Pour ceux qui connaissent cette BD, j’ai fait ce portrait fidèle du véritable Stevostin/Grégory Makles (voir image).
Plus sérieusement j’ai fait du PvE HL jusqu’à Burning Crusade et les 2 premières saisons d’arènes… j’ai adoré jouer à wow mais le travail et ma vie de famille m'ont poussé à ralentir puis à arrêter définitivement. Maintenant j’attends la retraite, haha !



Quels sont tes trucs et astuces pour porter seul le défi de l’illustration d’un comic "Blizzard" ?

Je pense qu’il faut en avoir très envie et être un peu fou ! Les délais sont tellement rapides pour produire des pages et les couvertures qu’il faut véritablement foncer, se faire confiance et se fier en l’expérience de Blizzard et de DC pour faire le meilleur comics possible dans le temps imparti. C’est un sprint d’un an ! C’est incroyablement épuisant et passionnant.

Graphiquement, il faut à mon avis et malgré tous les reproches possibles et légitimes des fans de Diablo, faire Son livre… Ça ne peut pas être exactement le même graphisme et le même réalisme que celui du jeu video. Mais il faut s’efforcer d’être dans l’esprit du jeu.

J’aimerais que le lecteur retrouve cette ambiance unique où son personnage accompagné d’une musique oppressante avance dans un étroit labyrinthe. Avec la certitude, mais en même temps l’appréhension, de savoir qu’au prochain détour va surgir une myriade de créatures diaboliques. Va-t-il survivre ? Cette atmosphère doit émaner des pages de BD, à travers le dessin mais aussi la narration graphique. C’est ce que je m’efforce de faire. Par contre, la volonté de Blizzard est de faire des comics avec des histoires qui soient plus dans la mythologie de Diablo et Sanctuary qu’une suite de pages de combats où l’histoire ne serait qu’un prétexte à illustrer ou évoquer le jeu. Tout ce que j’espère c’est que les fans de Diablo et les autres lecteurs qui ne connaissent pas le jeu pourront tout aussi bien trouver du plaisir et de l’intérêt à suivre ce récit.


Peux-tu nous expliquer comment se passe la relation entre le scénariste et l’illustrateur dans la réalisation d’un comic ?

Il n’y a pas de relation entre le scénariste et l’illustrateur aussi bizarre que cela puisse paraître. Je n’ai aucun contact avec Aaron Williams. Le fait de travailler avec DC et Blizzard entraine tout une procédure qui implique que je n’ai de contact direct qu’avec DC et Doug Alexander (pour éviter je pense que des décisions différentes soient prises à différents niveaux). Je reçois tout simplement le script définitif.

Ce qui est très intéressant avec le scénario d’Aaron Williams, c’est qu’il est très généreux en détails et très précis sur le découpage des séquences. Il décrit beaucoup d’évènements, de décors ou de personnages secondaires qui n’apparaissent finalement pas ou très peu dans le comics, mais ça me permet de bien visualiser l’univers et de choisir dans tous ces éléments ce qui conviendra le mieux pour ma narration en images de son histoire. Je peux rajouter ou modifier le contenu d’une case, mais bien évidemment je ne peux pas toucher au texte qui est entièrement de son ressort.


Etais-ce ton premier projet pour une société américaine ? Avec Blizzard, comment vous êtes-vous organisé pour mener ce projet à bien ?

Oui, c’est mon premier travail pour les USA. Il y a beaucoup d’aller-retour entre tous les intervenants, Blizzard et DC. Tout se passe par mail. Pour prendre un parallèle avec le cinéma, l’équipe Blizzard est le véritable réalisateur du projet. Elle choisit le scénariste, le dessinateur, le coloriste et le lettreur. Elle les fait travailler dans l’ordre et demande des corrections très précises au fur à mesure de chaque étape. Elle chapeaute chaque détail et valide le résultat final. Elle s’implique énormément. Elle est très encourageante et comme elle est composée de véritables artistes en plus d’être directeur artistique ou éditeurs, ses conseils et corrections aident tant sur la clarté de la narration, sur la cohérence du graphisme que sur la définition d’une ambiance. C’est la première fois que je travaille dans ces conditions et c’est très agréable parce qu’on se sent soutenu et poussé vers l’avant.
Pour illustrer ce travail d’équipe, voici les différentes étapes pour la réalisation d’une couverture : les esquisses, le crayonné, l’encrage et les couleurs par Dave Stewart. Chaque étape est commentée et validée par Blizzard. DC comics serait plutôt le producteur qui s’assure des délais, de la qualité générale du comics, de la fabrication et de la diffusion.



Il me semble que tu as dans ta boîte à projets celui d’un recueil de contes illustrés se déroulant à l’époque du moyen-âge. Est-ce que celui-ci va bientôt voir le jour ?

J’ai effectivement écrit quelques contes du Moyen Age, notamment « Trois frères » que l’on peut lire sur mon site. Etrangement, c’est un mode de récit qui me vient facilement et naturellement. Je ne savais pas trop quoi en faire mais récemment, j’ai reçu beaucoup d’encouragements et ça me donne envie de finaliser ce projet et peut-être l’illustrer. C’est nouveau pour moi mais j’espère travailler de plus en plus sur mes propres histoires.


Peux-tu nous parler de l’un ou l’autre illustrateur que tu aimerais mettre en avant et faire découvrir ?

C’est difficile parce que depuis quelques années mon attention est plus tournée vers les illustrateurs du passé que vers les contemporains. J’adore remonter le fil des influences d’un artiste et découvrir d’anciens dessinateurs méconnus ou un peu oubliés mais au talent incroyable comme Daniel Vierge ou Ivan Bilibine. Néanmoins, il y a deux artistes que je regarde depuis peu avec beaucoup d’attention : Sean Gordon Murphy « Joe the barbarian » et Eric Canette. Ils sont incroyablement talentueux et ils travaillent dans une ambiance sombre telle que je les aime. Ils n’énervent beaucoup ^^


Pour terminer cette interview, aurais-tu quelque chose à ajouter ?

Oui, ajouter ma voix à celle des centaines autres artistes qui se sentent orphelins depuis le 10 Mars 2012. Personne n’a créé de la bande dessinée avec autant de grâce, de poésie et d’audace que Jean Giraud Moebius. C’est véritablement un artiste au génie exceptionnel qui s’est éteint. Le plus grand dessinateur de son époque. Je conseille à tous les jeunes lecteurs de se plonger ou de se replonger dans ses œuvres : L’Incal ; Le monde d’Edéna, le Garage Hermétique, Blueberry bien sûr… Il y en a tellement. J’ai une pensée tendre pour lui, sa famille et tous ses élèves dont je fais partie.


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