Erreur 37 : Comment Blizzard a-t-il sauvé Diablo III du désastre ?

JudgeHype | 02/08/2017 à 13h50 - 40

Jason Schreier, rédacteur chez Kotaku, publiera en septembre un livre intitulé Blood, Sweat, and Pixels. Dans celui-ci, l'auteur raconte le développement de jeux qui ont connu une histoire mouvementée, à l'instar de Destiny, Star Wars 1313, Uncharted 4 ou encore... Diablo III.

Dans un article publié ces dernières heures, on peut lire un passage dédié au hack'n'slash de Blizzard. Il revient ainsi sur le soir du 15 mai 2012, date de sortie de Diablo III. Partout dans le monde, des centaines de milliers de joueurs vont se connecter à Battle.net pour découvrir la suite d'un jeu mythique. Mais certains vont hélas être confrontés à un boss implacable, l'Erreur 37.

Pendant de longues heures, certains joueurs tenteront en vain de se connecter, pestant contre l'impossibilité de jouer hors ligne. Chez Blizzard, une bonne partie des développeurs font la fête avec des centaines de fans à l'Irvine Spectrum et ne savent pas encore que l'enfer les attendent...

Comme l'explique Josh Mosqueira, tout le monde a été pris par surprise. Cela peut paraître inimaginable, mais ce fut réellement le cas. Quand il fut question de préparer l'infrastructure pour Diablo III, Blizzard s'est lancé dans différentes prédictions, et a décidé de les doubler, et même les tripler, pour que tout soit prêt pour le lancement. Mais ce ne fut pas du tout suffisant. Pendant deux jours, les ingénieurs vont se relayer pour régler les soucis, se rendant compte que les joueurs étaient notamment frustrés par des centaines, et même des milliers messages d'erreur souvent incompréhensibles.

À Irvine, c'est bien sûr le branle-bas de combat. Après 48 heures, les serveurs sont stabilisés et même si certains joueurs expérimentent parfois de petits soucis, les choses rentrent dans l'ordre. Blizzard s'excuse donc publiquement d'avoir déçu les joueurs, les encourageant à maintenant foncer vers le Seigneur de la Terreur pour lui régler son compte. Dans les semaines qui suivirent, cependant, Blizzard va se rendre compte d'autres problèmes. La difficulté montait ainsi beaucoup trop vite, le mode Armageddon s'avérant être extrêmement difficile d'accès. Pour en venir à bout, il faut des objets qui ne dropent, grosso modo, que dans ce mode de jeu. Les joueurs se tournent donc vers l'hôtel des ventes pour s'équiper, et le jeu perd ainsi l'une de ses fonctionnalités-clés, à savoir le plaisir de s'équiper sur base des milliards de loot qui tombent monstres après monstres.

Comment Blizzard ne s'est-il pas rendu compte de ces problèmes pendant le développement ? La raison est somme toute assez simple. En moins d'une journée, les joueurs ont accumulé plus d'heures de jeu que ce que tous les développeurs ont expérimenté pendant les années passées sur le développement du titre. Diablo III passe ainsi pour un pay-to-win et la série, passée au panthéon vidéoludique depuis longtemps, doit descendre de son piédestal...

Le jeu rencontre néanmoins un succès colossal, avec 10 millions d'exemplaires vendus en seulement deux mois. Si certains éditeurs se seraient contentés de cela et seraient passés à autre chose, Blizzard encaisse assez mal la déception des joueurs. La société, réputée pour sortir de véritables tueries, ne peut pas laisser passer ça et va tout faire, coûte-que-coûte, pour remonter dans l'estime de son public.

C'est ici qu'intervient Josh Mosqueira. Ce petit bonhomme a longtemps bossé chez Relic Entertainment, et travaille sur Far Cry 3 chez Ubi Soft quand Jay Wilson, actuel directeur du jeu, lui donne un coup de fil. Lui aussi a travaillé chez Relic et il connaît déjà Josh. Il lui propose ainsi de venir chez Blizzard pour travailler sur la version console de Diablo III. Nous sommes ici en 2011, avant la sortie du jeu, et Josh commence à bosser avec deux autres développeurs seulement. Ce moment est néanmoins crucial car au fil des mois, Blizzard laisse à peu près carte blanche à Josh et son équipe, qui évolue petit à petit, pour modifier ce que bon leur semble pour que Diablo III soit plaisant à jouer avec un pad dans les mains. D'innombrables aptitudes sont modifiées et c'est ici qu'intervient, par exemple, la décision d'apporter un bouton d'esquive aux personnages sur console.

Après un temps passé dans l'équipe principale pour l'aider à sortir le jeu en mai 2012, Josh retourne sur la version console. Dans les mois qui suivent, Blizzard va sortir de nombreux patchs destinés à améliorer la situation, avec par exemple l'arrivée des niveaux Parangon. D'un point de vue humain, l'équipe est nerveusement fatiguée. Tous fans absolus de Diablo II, la pression que se sont mis les développeurs est titanesque. Il fallait pondre une suite digne du jeu sorti en l'an 2000, voire même faire mieux. Jay Wilson, lui aussi, souhaite passer à autre chose après près de dix années passées sur le même titre.

Il demande alors à Josh Mosqueira de le remplacer. Ce dernier avait vu passer l'ouverture de poste en interne, mais aimait bosser sur la version console, qui se limitait à plus ou moins 25 développeurs. La Core Team, elle, est composée de 400 à 500 développeurs, cela n'a plus rien à voir. il accepte néanmoins le poste, principalement car il adore l'état d'esprit de l'équipe, qui veut tout, absolument tout faire pour continuer d'améliorer le jeu et qu'il soit enfin à la hauteur des attentes.

Quand Josh prend les commandes, il demande à ses collègues ce dont ils ont envie. Comment préparer Diablo III pour les années à venir ? Que faut-il y ajouter, quels problèmes fait-il solutionner ? Quand les joueurs parlent de Diablo II, ils parlent du jeu tel qu'il est avec Lord of Destruction. Ils n'abordent jamais le jeu original. Il est donc devenu rapidement clair que Reaper of Souls devait avoir le même effet sur les joueurs, et qu'il allait devoir propulser le hack'n'slash vers le niveau supérieur. LoD fut le résultat de l'analyse du feedback de millions de joueurs. Il allait falloir faire la même chose pour RoS. Et cette fois, pas question de se tromper.

Vu les décisions parfois radicales effectuées pour la version console, Josh Mosqueira se rend compte que la pression a rendu les développeurs assez conservateurs. Si le système d'aptitudes est bien accueilli, celui dédié à la difficulté, avec ses modes Normal/Cauchemar/Enfer/Armaggedon est trop lié aux deux premiers Diablo. Certes, cela fait partie de l'ADN du jeu, mais il faut parfois mettre un coup de pied dans la fourmilière pour avancer. Cet aspect très far west, voire naïf, du développement de la version console va beaucoup aider Josh à apporter non seulement de nouvelles idées, mais aussi et surtout à libérer les développeurs.

C'est ainsi que des décisions drastiques vont être prises, comme le développement du Loot 2.0, avec la réduction de 70% du drop des objets, ce pourcentage se transformant en or pour les joueurs. Par contre, le loot restant allait devoir être à la hauteur, quitte à réduire un peu la part d'aléatoire si chère à la série. Tant pis. Désormais, un joueur aura plus de chance d'obtenir un légendaire lié à sa classe qu'auparavant... 

C'est également pendant de longues séances de brainstorming qu'est arrivée l'envie de proposer le mode Aventure. Jusque là, les joueurs faisaient en boucle la campagne, et ce depuis Diablo en 1996. Mais ce qui fonctionnait en 2001 ne fonctionne plus aussi bien en 2012, et cette volonté d'être fidèle au concept original joue finalement à l'encontre des développeurs. Il faut donc répondre à l'envie de ceux qui souhaitent aller où bon leur semble en Sanctuaire. Cela n'avait jamais été imaginé par pur respect pour Diablo II. Les joueurs voulaient un Diablo II moderne, et l'équipe était trop orientée sur cet objectif. Il est donc temps de passer à autre chose, et au passage d'éjecter les modes de difficulté originaux.

Avant l'annonce du jeu à la Gamescom 2013, l'équipe est extrêmement motivée car elle sent qu'elle est dans la bonne direction. Le boulot est cependant intense et la date butoir, auparavant prévue pour fin 2013, doit être postposée à l'année suivante. Il faut néanmoins abandonner d'autres fonctionnalités, tel le Devil's Hand. Il s'agissait de 52 démons extrêmement puissants et disséminés un peu partout dans le monde. Les joueurs allaient devoir les traquer, un par un, et collectionner les kills. Cependant, le boulot était trop conséquent et cette fonctionnalité fut abandonnée.

L'autre gros morceau est maintenant d'abandonner l'hôtel des ventes. L'idée de départ était de proposer un espace sécurisé aux joueurs, qui allaient parfois sur des sites tiers effectuer ce type de transactions, avec toutes les arnaques qui peuvent en découler. Mais l'HV va finalement réduire l'intérêt du loot, ce qui est inconcevable pour un jeu comme Diablo III. 

Un groupe de joueurs, nommé Ironborn, attire d'ailleurs l'intérêt de Blizzard. Le groupe joue, comme nous tous, à Diablo III, mais se passe complètement de l'hôtel des ventes. L'expérience est nettement plus agréable et cette communauté demande à Blizzard de proposer un mode "Ironborn" à son titre. Ce type de suggestion, ajoutée au feedback très négatif d'une partie de la communauté, va venir titiller Blizzard jusque dans les hautes sphères.

C'est lors d'une réunion que Mike Morhaime demande à Josh ce qu'il faut faire à son sujet. Selon ce dernier, il faut supprimer l'HV, purement et simplement. La décision se prend ainsi assez rapidement, car tous sont conscients qu'elle apporte plus de problèmes que de solutions. Josh estime d'ailleurs que Mike Morhaime y est pour beaucoup dans la décision. C'est un vrai gamer et il aime ses joueurs. Il savait que ce ne serait pas facile, mais que c'était la bonne décision à prendre. Le 17 septembre 2013, Blizzard annonce la fin de l'HV pour mars 2014, et une nouvelle ère s'ouvre pour la communauté.

La sortie de Reaper of Souls marque une nouvelle étape pour Diablo III, et rend espoir à tous. Même les messages d'erreur sont revus afin de les rendre plus clairs pour tout le monde. Dans les mois qui suivent, les joueurs sont au rendez-vous, et la version console est très bien accueillie, tant sur PS3 et Xbox 360 que l'année suivante sur PS4 et Xbox One. Diablo III continue d'ailleurs de se vendre comme des petits pains, avec 30 millions de copies vendues entre mai 2012 et août 2015. Un succès colossal.

Depuis lors, Blizzard n'a pas relâché ses efforts et nous avons eu droit à de nombreux patchs de contenu, tous gratuits. Seul le Nécromancien a demandé aux joueurs de mettre la main au portefeuille. Pour Josh Mosqueira, il est cependant temps de trouver de nouveaux défis, ce qu'il va faire avec Rob Pardo chez Bonfire Studios.

Blizzard est un des meilleurs studios de développement au monde, c'est indéniable. Mais l'histoire de Diablo III nous prouve que, même avec des moyens presque illimités, on n'est jamais à l'abri d'une erreur. Diablo III était un diamant brute, et Reaper of Souls est venu le tailler, tout comme Lord of Destruction pour Diablo II.

Comme le dit très bien Jason Schreier dans sa conclusion, de nombreux joueurs ont pensé, en 2012, que Diablo III était maudit. Mais il ne l'était pas.

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