Réflexion: L'espace dans Diablo, Diablo 2 et Diablo 3

JudgeHype | 06/07/2012 à 16h46 - 33

Mathieu Goux m'a envoyé un mail plutôt intéressant. Lecteur du site depuis de longues années, il a souhaité aller un peu plus loin en participant plus activement aux news et m'a envoyé un texte parlant du traitement et du sens de l'espace dans les jeux Diablo, en mettant notamment en exergue la particularité de Diablo 3. N'hésitez donc pas à le lire ci-dessous, et bien entendu à donner votre avis sur la question !

L'espace dans Diablo, Diablo 2 et Diablo 3

Introduction

L'une des premières choses qui m'a frappé lorsque j'ai joué à Diablo 3, c'est la façon que le jeu avait de construire l'espace et les environnements traversés, et ce bien différemment de son prédécesseur. J'ai alors cherché à relier la façon dont ces niveaux étaient construits avec l'histoire des jeux, en considérant que dans un jeu vidéo, l'espace est signifiant, c'est-à-dire qu'il suit et raconte en lui-même une histoire. Au-delà des environnements qui suivent la narration, la façon dont ils sont construits permet, en eux-mêmes, de construire l'intrigue.

Diablo, ainsi, a une progression verticale, puisque l'on demande au joueur de s'enfoncer encore et encore plus dans les profondeurs de la cathédrale de Tristram. À la façon de l'enfer de Dante, où chaque cercle s'enfonce de plus en plus vers le centre de la terre le héros du premier Diablo creuse véritablement sa tombe et se rapproche toujours plus de la bouche des enfers.

Diablo 2 s'apparente à une course en avant et les niveaux – avec l'exception notable de l'Acte II dont je parlerai ci-après – sont construits de façon linéaire : à partir d'un point de départ, la ville (le camp des Rogues, Lut Gholeim, les quais de Kurast etc.), le joueur va progresser de façon horizontale cette fois-ci, dans l'overworld, et de façon verticale dans les donjons. Cette verticalité va cependant dominer les deux derniers actes du jeu, en nous faisant descendre aux enfers dans l'acte IV et en nous faisant escalader une montagne dans l'acte V.

Diablo 3 est construit de façon très différente et introduit le principe de retour en adoptant une construction davantage inspirée par la logique du hub telle qu'on peut l'apercevoir dans les jeux de plates-formes en trois dimensions du type Super Mario 64.


Diablo 2 et la fuite en avant

J'ai déjà évoqué la façon dont la construction verticale de Diablo avait partie liée avec une descente aux enfers. La construction horizontale de Diablo 2, quant à elle, est cohérente avec la « course-poursuite » de l'histoire du jeu. Comme vous le savez, le héros de ce jeu est perpétuellement à la recherche « du rôdeur » mais celui-ci a toujours une longueur d'avance sur vous : il parvient à libérer Baal dans le tombeau de Tal-Rasha, lorsque vous affrontez Méphisto, Diablo est déjà revenu aux enfers, Baal corrompt la pierre-monde avant votre arrivée. Toujours en retard sur les événements, vous cherchez à rattraper l'histoire qui toujours vous échappe. La logique du « flash-back » qui charpente toute la narration du jeu est du même ressort : le récit rétrospectif de Marcus, sur lequel s'ouvre le jeu, n'a pour seule utilité que de le ramener au point de départ de son récit, sa rencontre, dans la prison, avec « Tyraël » et ce qui s'ensuit. Analysons dès lors de plus près la construction des niveaux de Diablo 2.

Les Actes de Diablo 2 commencent donc chacun par « une ville ». À partir de là, le joueur va évoluer dans un certain nombre d'environnements qui se suivent. Dans l'Acte I par exemple, le joueur traversera la Lande Sanglante, les Plaines Gelées, le Champ de Pierres, le Bois Obscur, le Marais Sombre, les Hautes-Terres, etc. avant de parvenir à la fin du chemin, les Catacombes, où attend Andarielle. Il est possible, et c'est d'ailleurs ce que font les speedrunners quand ils s'essaient à ce jeu, de partir du camp des rogues et d'aller jusqu'au boss de fin d'acte sans jamais se retourner ou revenir en ville, et toujours aller de l'avant, pour le terminer.

La chose peut se reproduire pour les Actes III, IV et V, mais non pour l'Acte II où le joueur se doit de revenir, au moins une fois, à Lut Gholein pour atteindre le tombeau de Tal-Rasha en passant par le palais du sultan. Aussi, si le joueur explore tout d'abord le champ est du désert, il arrivera à un cul-de-sac après avoir trouvé le cube horadrim et les morceaux du sceptre ; il doit ensuite revenir à Lut Gholein et explorer les caves du palais, traverser le Sanctuaire des Arcanes et, enfin, atteindre le tombeau de Tal-Rasha. Il faut remarquer cependant que ce retour en arrière n'agit pas réellement comme un hub, puisque la progression demandée, ici, est verticale jusqu'à trouver le portail vers les arcanes, puis horizontale, le tombeau nous ramenant dans le décor de désert du début de l'Acte II. Autrement dit, la chose est une « prise d'élan » permettant de propulser le joueur vers un canyon situé au-delà du cul-de-sac qu'il avait précédemment rencontré.

À côté de cela, cette progression horizontale linéaire connaît des débordements obliques, par l'intermédiaire de zones annexes, dont la complétion n'est pas nécessaire pour terminer le jeu, comme le Cimetière de l'Acte I, et de donjons à la progression verticale encore une fois.

Faisons un point rapide ici : Diablo premier du nom avait une progression uniquement verticale, nous rapprochant au fur et à mesure de la porte des enfers. Diablo 2 a une progression majoritairement horizontale et sans retour ou presque, les progressions verticales, sous la forme des donjons, étant soit des quêtes annexes, non-nécessaires à la complétion du jeu, soit des moyens d'atteindre un autre plan d'horizontalité.


iablo 3 ou le miroir qui revient

Diablo 3 à présent, est d'un ressort parfaitement nouveau. S'il reprend à son compte l'horizontalité et la verticalité de ses prédécesseurs, il ne cherche pas à les copier mais bien à les concentrer pour faire de cet opus, à tous les égards, un épisode somme et conclusif.

Contrairement à Diablo 2, où l'histoire vous devançait et où aucune de vos actions, finalement, n'influençait le déroulement de l'intrigue, ici, vous fabriquez les évènements : courir dans tous les sens ne parvient qu'à faire tuer Cain, vous libérez Adria, vous condamnez les cieux à la déchéance. Vos actions sont plus destructrices que créatrices ou réparatrices, pourrait-on presque dire. Mais ce pouvoir a un prix, celui de l'incertitude : dans Diablo et Diablo 2, votre destination était toujours très claire. Ici, elle se construit au fur et à mesure des quêtes et de l'avancée de l'histoire. L'incertitude des motivations de chacun, le flou dans lequel les personnages sont habitent également vos gestes et vous ne pouvez pas, comme auparavant, foncer bille en tête d'un point « A » à un point « B » : vous êtes contraints, même au cours de vos parties suivantes, de consciencieusement suivre le chemin déterminé par l'histoire.

Si Diablo était une ligne orientée vers le bas et Diablo 2 une autre, dirigée vers la droite, Diablo 3 serait une marguerite, chaque ligne faisant finalement une courbe revenant toujours vers le centre que serait la ville, fût-elle la Nouvelle Tristram, le Campement Caché ou le Bastion de la Redoute. Si le cul-de-sac était la finalité du premier épisode et vous faisait affronter Diablo et s'il était une exception dans Diablo 2, il est ici signifiant et constitutif du jeu. Trouvons l'étoile tombée du ciel : on explore la cathédrale, on utilise un relais, retour en ville et à présent, nous devons explorer la zone nord. Mais c'est un autre cul-de-sac : une fois de retour en ville, nous devons à présent prendre un bateau pour Wortham et trouver le manoir de Léoric. Les Actes II et III sont du même acabit : on explore à droite, cul-de-sac, relais/portail, on explore à gauche, relais/portail etc. et ce jusqu'à la fin de l'Acte. Seuls les cieux cassent un peu cette monotonie même si l'on n'est pas à l'abri d'un retour en arrière, notamment après avoir battu Rakanoth.

Les relais eux-mêmes sont une image de cela : auparavant, on les trouvait sur le chemin nous menant à la fin de l'acte, où ils composaient autant d'étapes qui nous donnaient une chance de revenir en ville de façon exceptionnelle, et de repartir comme si de rien n'était ; là, ils se situent à la fin de ces « culs-de-sac » et nous ramènent à notre point de départ. Ce sont des objectifs, et non des jalons et l'utilisation que l'on en fait, encore une fois, est toute particulière.

Diablo 3 parvient également à reprendre à son compte la verticalité et l'horizontalité signifiante de ses deux premiers épisodes en les intégrant, de façon plus ou moins subreptice, au sein du jeu. La descente du premier Diablo est ici représentée par l'intermédiaire de la cathédrale de Tristram, le seul donjon du jeu qui possède quatre niveaux numérotés comme tels, là où tous les autres n'en ont que trois au grand maximum : même si, ainsi, le cratère d'Arréat nous demande de traverser une dizaine d'étages (les trois zones du cratère en lui-même, ainsi que les deux tours où l'on détruit les coeurs), il n'y a pas de « Cratère d'Arréat niveau 4 » : seule la cathédrale a ce privilège, ce qui rend son exploration plutôt éprouvante lors de notre première partie.

La structure horizontale du deuxième épisode est retranscrite ici par la reprise, presque identique, des environnements déjà traversés par le premier épisode et ce presque dans leurs moindres détails : outre les overworld qui reprennent des éléments et des quêtes déjà rencontrées, les deux premiers Actes de Diablo 3 reprenant les deux premiers de Diablo 2, le Bastion de la Redoute nous renvoie à Lord à Destruction et le Cratère d'Arréat aux Enfers. Mais l'on peut également construire des correspondances entre les geôles de Léoric et la Prison ou les caves du palais de Diablo 2, les archives de Zoltun Kulle et le Sanctuaire des Arcanes, le Cimetière des Oubliés et celui des Rogues... Je pense qu'il est possible de continuer encore. Là où je veux en venir, c'est que Diablo 3 nous propose de revivre, par l'intermédiaire de ces « micro-séquences horizontales », c'est-à-dire avant le fatidique retour au point de départ, un acte, ou une section d'acte, des jeux précédents.

Bref, que ce soit au niveau de l'intrigue elle-même ou de la construction des niveaux, Diablo 3 a véritablement un statut conclusif, nous permettant d'achever une quête commencée il y a de cela longtemps, dans la ville de Tristram.

Mathieu Goux


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